Roland Desné et Marcel Dorigny ont entrepris de rassembler certains articles d’Yves Benot, disparu en 2005 (1). D’une bibliographie abondante, ils ont extrait des écrits portant sur trois thèmes : l’Afrique postcoloniale, que Benot a étudiée sur le terrain, l’anticolonialisme du XVIIIe siècle et le demi-siècle qui a suivi la Révolution française. L’originalité de la production d’Yves Benot est particulièrement marquée pour ces deux derniers domaines.
Egalement spécialiste fort anciennement connu et reconnu de l’histoire coloniale, André Nouschi fait le bilan d’un demi-siècle de recherches (2). Bilan non polémique, fondé sur une connaissance approfondie des archives non seulement de l’Algérie, sa terre de naissance et de prédilection, mais d’autres pays naguère colonisés. En résulte un ouvrage dense, à la documentation méticuleuse, mais répondant à un genre plus qu’honorable : la mise au point généraliste. André Nouschi affirme que le public qu’il vise en priorité est celui des « enfants de France et des territoires colonisés ».
Tout autre – mais convergente – est la préoccupation de Claude Liauzu (3). L’historien, particulièrement en pointe dans la dénonciation de la loi de février 2005, publie un ouvrage de réflexions sur « treize siècles de cultures de guerre entre l’islam et l’Occident ». L’auteur part d’une constatation : beaucoup de musulmans pensent l’Occident comme un problème, beaucoup d’Occidentaux redoutent l’islam. Et ces deux mouvements se nourrissent l’un l’autre. Comment, en terre musulmane, la propagande haineuse contre « nos » valeurs trouve-t-elle plus facilement, depuis quelques années, un terreau fertile ? Comment, en Occident, en est-on arrivé à cette confusion disqualifiante entre islam et intégrisme, puis terrorisme ?
Pour étayer sa présentation, Liauzu a lu et analysé une énorme production livresque. Il décrit fort bien, avec des centaines de citations précises et précieuses, la mise en place des argumentaires opposés. Et l’on constate, quelque peu effrayé, que ces volontés d’exclusion, en terre d’islam comme en Occident, ne sont pas seulement opposées... mais complémentaires. « La société mondiale en gestation ne pourra pas ne pas être plurielle. Elle doit assumer cette réalité qui est la fin des “puretés” des sociétés. Toutes sont traversées par l’altérité, et l’uniformisation n’est pas l’horizon le plus certain », conclut l’auteur.
Notes
(1) Yves Benot, Les Lumières, l’esclavage, la colonisation, La Découverte, Paris, 2005, 336 pages, 29,50 euros.
(2) André Nouschi, Les Armes retournées. Colonisation et décolonisation françaises, Belin, Paris, 2005, 447 pages, 29 euros.
(3) Claude Liauzu, Empire du mal contre grand Satan. Treize siècles de cultures de guerre entre l’islam et l’Occident, Armand Colin, Paris, 2005, 356 pages, 24 euros.