Paul-Louis Thirard était né le 30 octobre 1932 à Lyon, comme Bernard Chardère, le fondateur de Positif, revue créée en 1952 qui s’est rapidement fait une réputation d’irrévérence, d’anticonformisme et d’antimilitarisme, en pleine guerre d’Algérie. Dans ce cocktail détonnant de la gauche antistalinienne, de surréalistes, d’anarchistes, de communistes peu orthodoxes et de socialistes en rupture de ban, la nouvelle recrue lyonnaise, présente dès le numéro 13 (1955), apporte une touche militante non dénuée d’esprit. Ainsi, il est l’auteur de deux canulars qui révèlent un mélange de pataphysique et d’humour d’Europe de l’Est : le réalisateur Maurice Burnan et le cinéma « dubrovien », qu’il a inventés de toutes pièces.
Tropisme italien
Plus sérieusement, il défend les films polonais d’Andrzej Wajda ou de Jerzy Kawalerowicz et suit de près ce qui se passe dans les pays socialistes. Avec Michèle Firk, qu’il accompagne à La Havane en 1963, il se fait l’écho des premiers pas du cinéma castriste. Catholique dans une revue qui pratique l’anticléricalisme comme sport de combat, il est sensible aux premières œuvres de Federico Fellini, où le spiritualisme prédomine encore sur l’éclosion des désirs. L’auteur d’Amarcord finira par être en tête des préférences des « positivistes » assagis.
Le tropisme italien de Thirard le porte vers la comédie populaire, héritière du néoréalisme d’après-guerre et de la commedia dell’arte, mais aussi vers les cinéastes qui expriment une modernité en constante réinvention. Alors que les monographies consacrées à des réalisateurs ne sont pas encore à la mode, il signe, dès 1960, une première étude sur Michelangelo Antonioni (Serdoc, Lyon), élargie plus tard en collaboration avec Roger Tailleur (Editions universitaires, 1963). Il est aussi le coauteur de Luchino Visconti, cinéaste (Persona, 1984 ; Ramsay Poche, 1999). Parlant couramment l’italien, il est un interlocuteur privilégié des critiques péninsulaires et, souvent, leur traducteur.
Dans les pages de la revue et au ciné-club Action, Thirard se fait l’avocat des films qui s’insurgent contre la guerre d’Algérie. Face à la censure et aux interdictions, il fait l’éloge de Chris Marker et de Yann Le Masson. Il est l’auteur de deux textes qui ont valeur de manifeste, « Pour un cinéma hors-la-loi » et « Un manifeste pour un cinéma parallèle » (1962). Les débats qui agitent le documentaire bien avant Mai 1968, avec le cinéma vérité, le cinéma direct, le cinéma d’intervention, le cinéma militant, le trouvent en première ligne.
L’Algérie bouleverse sa génération. Alors qu’il milite au Parti socialiste unifié (PSU), Michèle Firk l’introduit dans le réseau Jeanson, qui soutient les indépendantistes algériens. Il se fait « porteur de valises », aidant la Fédération de France du FLN clandestin, et signe le « Manifeste des 121 » pour le « droit à l’insoumission ». Après le PSU, il rejoint La Voie communiste, qui regroupe des dissidents du Parti communiste français et des trotskistes. Inspecteur des impôts, il est syndiqué à la CGT. En 1975, il adhère à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR).
Il est un des animateurs de Midi-Minuit Fantastique (1962-1972), revue culte qui a mérité une réédition intégrale (Rouge Profond, 2014). Il collabore à d’autres publications au gré de ses engagements : Tribune socialiste, Les Lettres nouvelles, Les Lettres françaises, Cinéma, Partisans et, surtout, Rouge. Il est membre de l’association 813, les Amis des littératures policières. Pendant cinq décennies, il continue à écrire et à participer aux réunions du comité de rédaction de Positif les dimanches après-midi. Son collègue Michel Ciment a dit qu’il « est probablement celui qui en résume le mieux l’esprit ».
Paulo A. Paranagua