La Chine n’est pas invitée au sommet de Singapour, mais c’est un Boeing 747 d’Air China qui a transporté depuis Pyongyang le dirigeant nord-coréen jusqu’à la cité-Etat. Un service rendu « à la demande de la partie nord-coréenne », a confirmé le porte-parole de la diplomatie chinoise, lundi 11 juin, à Pékin. Visible sur toutes les télévisions du monde, le logo d’Air China a symbolisé le rôle retrouvé d’un grand frère bienveillant pour la Chine de Xi Jinping auprès de son turbulent voisin, après une longue période d’hostilité mutuelle.
La visite de Kim Jong-un à Pékin fin mars, un mois avant le sommet entre les dirigeants de Corée du Sud et du Nord à Panmunjom, fut une « opportunité en or pour Pékin », analyse le nouveau rapport de l’ONG International Crisis Group (ICG) publié lundi sur les enjeux du sommet Trump-Kim.
C’est alors la première fois que Xi Jinping rencontre Kim Jong-un. Il est le premier dirigeant étranger rencontré par ce dernier depuis qu’il a succédé à son père en 2011 – « ce qui a probablement renforcé l’aptitude de Xi Jinping à influencer le cours des négociations futures en jouant sur son désir évident de soutien diplomatique et économique », notent les analystes d’ICG. Suivra un autre sommet, début mai, dans la ville portuaire chinoise de Dalian. Sa scénographie, bucolique et récréative, incarne la nouvelle entente retrouvée.
L’activisme diplomatique de Pékin dévoile en creux ses inquiétudes : Pékin n’a cessé ces derniers mois d’insister sur le fait que la Chine n’était pas « marginalisée » sur le dossier nord-coréen, ou encore, qu’elle « ne pouvait être écartée de la signature d’un traité de paix » – la Chine est signataire de l’armistice de Panmunjom de 1953.
PÉKIN SEMBLE DÉSORMAIS EMPRESSÉ DE DONNER DES ASSURANCES DE SOUTIEN ÉCONOMIQUE À PYONGYANG
Peu rassuré par le caractère imprévisible de Donald Trump et de Kim Jong-un, Pékin a craint à la fois un échec du sommet, si l’un des deux avait claqué la porte au risque d’une escalade militaire, mais aussi un enchaînement incontrôlable de décisions qui lui échapperaient – jusqu’à l’éventualité d’un retournement, à terme, de Pyongyang au profit de Washington, semblable à celui qu’une Chine alors à couteaux tirés avec l’Union soviétique avait opéré en 1979 avec l’établissement de relations diplomatiques avec les Etats-Unis.
Pékin « mène traditionnellement sur le dossier nord-coréen une politique retorse, qui vise moins à soutenir la Corée du Nord qu’à saper les efforts américains », expliquent dans une analyse à paraître les sinologues Jean-Yves Heurtebise et Emmanuel Dubois de Prisque, corédacteurs en chef de la revue Monde chinois Nouvelle Asie.
Le programme nucléaire coréen, rappellent-ils, « est brutalement relancé en 1992, après la brouille entre les deux “partis frères” chinois et nord-coréen, alors même que les Etats-Unis avaient unilatéralement retiré leurs armes nucléaires de Corée du Sud en 1991 ». Pyongyang se sent trahie par l’établissement cette année-là de relations diplomatiques entre Pékin et Séoul et ne croit plus en la protection nucléaire chinoise.
Dans les années 2010, la Chine tentera d’entraîner Kim Jong-il, qui a procédé en 2009 à un second essai nucléaire et s’est retiré des pourparlers à six organisés par la Chine, vers un développement économique à la chinoise. Mais l’arrivée au pouvoir en 2011 de Kim Jong-un, qui accélère le programme nucléaire et balistique, marque une rupture, confortant Xi Jinping dans son attitude beaucoup plus ferme envers son voisin.
« La rigidité n’est plus de mise »
La Chine appliquera donc avec un empressement croissant, à mesure que se profile l’hypothèse d’une action militaire américaine, les sanctions onusiennes contre une Corée du Nord ultra-dépendante d’elle en matière d’approvisionnement et de revenus d’exportation.
Or des signes de réchauffement sont aussi visibles dans ce domaine : l’atmosphère a changé à la frontière sino-nord-coréenne, où « la rigidité n’est plus de mise », nous dit un observateur sur place, qui a constaté un « flot nourri de camions » sur le pont qui relie Dandong à la Corée du Nord. Pékin semble désormais empressé de donner des assurances de soutien économique à Pyongyang – ce qui renforce la position de celle-ci dans les négociations à venir et la rend redevable envers lui.
C’est le message envoyé par l’accueil en Chine, pendant dix jours en mai, d’une vingtaine de responsables provinciaux nord-coréens menés par le vice-président du Parti du travail, Pak Tae-song, pour « apprendre du développement économique de la Chine ». La délégation, la première envoyée en Chine depuis 2010, a été reçue par Xi Jinping, puis par les responsables politiques des quatre régions visitées, dont Shanghaï.
Même s’il n’est pas en théorie conciliable avec les résolutions onusiennes, ce soutien économique chinois donne à la Chine un levier, notamment pour les longues négociations qui pourraient s’ouvrir après le sommet du 12 juin. Pour LuChao, expert chinois à l’Académie des sciences sociales du Liaoning, joint au téléphone, la Chine a forcément un rôle capital à jouer : « S’il y a un accord sur la question de la dénucléarisation, la Chine devra jouer le rôle de garant de l’accord, et elle est le seul pays qui puisse être un intermédiaire. »
Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)