De mémoire de bonze, on n’avait jamais vu ça : la junte militaire thaïlandaise, au pouvoir depuis le coup d’Etat de 2014, a récemment lancé une opération de « nettoyage » sans précédent dans les rangs les plus élevés de la hiérarchie du clergé bouddhiste.
Accusés de corruption, trois hauts dignitaires du Conseil suprême du Sangha (communauté des bouddhistes), la plus haute autorité bouddhiste dans un pays où cette religion représente un « pilier » essentiel du royaume, ont été arrêtés. En tout, 45 monastères ont été visés par des opérations policières et une dizaine de moines de rang plus modeste sont passés de la cellule monacale à celle de la prison après avoir été défroqués. « C’est la purge du siècle ! », s’est exclamé le juriste Khemthong Tonsakulrungruang sur le site Internet New Mandala.
Les accusations sont sévères : il est reproché aux bonzes d’avoir conduit des opérations frauduleuses consistant à reverser à des officiels une grande partie des sommes attribuées par le Bureau national du bouddhisme, organisme chargé de répartir un confortable budget annuel d’un montant équivalent à 110 millions d’euros aux quelque 37 000 temples-monastères de Thaïlande. Ces sommes, censées être utilisées pour la construction de bâtiments monastiques ou le développement de l’éducation religieuse, auraient été détournées, impliquant à la fois des membres du bureau et des religieux.
Parmi ces derniers figure l’abbé du très célèbre Wat Saket de Bangkok, plus connu par les touristes sous son appellation de « temple de la montagne d’or » : un policier a affirmé que 130 millions de bahts thaïlandais (3,5 millions d’euros) auraient été versés sur une dizaine de comptes en banque appartenant au vénérable.
Discrète traversée du Mékong
Ces révélations ont terni l’image d’une institution respectée par la population, mais dont la réputation a été éclaboussée ces dernières années par des scandales à répétition en raison du comportement de certains moines, plus intéressés par l’accumulation des biens que par celle des « mérites », comme le veut la tradition du bouddhisme theravada.
L’affaire s’est corsée le 24 mai, quand l’un des plus fervents soutiens du régime, le moine Phra Buddha Issara, a été appréhendé. En 2014, le bonze avait exhorté les foules en arguant de la nécessité d’un coup d’Etat – qui finit par se produire… Ce zèle n’a pas payé : il a été arrêté au cours d’une opération particulièrement musclée de la police. Des commandos l’ont surpris sous sa moustiquaire après avoir défoncé à coups de marteau la porte de la chambre de son monastère de province.
Le dernier rebondissement a eu lieu vendredi 1er juin : le révérend Phra Phrom Methee, quatrième membre du Conseil suprême du Sangha à être sous le coup d’un mandat d’arrêt, s’est enfui au Laos en traversant discrètement le Mékong.
L’ampleur de ces opérations policières laisse perplexe. La junte militaire n’a de leçons à donner à personne en matière de corruption – comme l’a illustré cet hiver l’« affaire des montres » : le ministre de la défense, le général Prawit Wongsuwan, a été pris en photo lors de différentes occasions avec, au poignet, des montres de grandes marques ; il est soupçonné de posséder un attirail de montres d’une valeur d’environ 1 million de dollars (800 000 euros).
Pourquoi, dès lors, la junte s’attaque-t-elle au clergé bouddhiste ? La question reste en suspens. Peut-être le régime militaire espère-t-il redorer son blason en s’attirant la gloire d’avoir « purifié » un clergé à la réputation déclinante, avancent certains analystes.
Bruno Philip (Bangkok, correspondant en Asie du Sud-Est)
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