Il existe sur la Corée du Nord toutes sortes d’experts. Du pire faucon à la plus blanche colombe, en passant par ceux qui ont tout vu et tout compris depuis leur hôtel à Pyongyang. Sans oublier le pur technicien balistique, ou encore le brillant généraliste des relations internationales qui, lui, n’a nul besoin de se rendre sur place pour décrypter les grands rapports de force.

Le niveau de fermeture du pays, la rareté de l’information fiable qui en sort, créent une demande. Sur ce marché, mieux vaut se fier aux humbles. Le journaliste Sébastien Falletti, qui couvre l’actualité asiatique pour Le Figaro et Le Point, est de ceux-là. Il cherche à comprendre, peut-être parce que c’est son métier, mais surtout par curiosité personnelle devant la mystérieuse dynastie des Kim et les secrets de sa longévité au pouvoir.

Après avoir coécrit le témoignage d’une jeune femme qui a fait défection (Corée du Nord, neuf ans pour fuir l’enfer, Michel Lafon, 2012), il s’est lancé dans un ouvrage en forme de point d’interrogation, ne prétendant pas apporter de réponse définitive là où il n’en a pas, mais suivant un sentier journalistique.

Plus efficace que son père

Le reporter emmène le lecteur dans ses bagages et tente à ses côtés de comprendre pourquoi le régime né de la division, en 1945, de la péninsule à l’issue de la seconde guerre mondiale tient encore en 2018, la guerre froide déjà loin derrière, et malgré les sanctions et les crises avec les Etats-Unis. Tout cela pour que, finalement, son dirigeant s’asseye un matin de juin 2018 au côté du promoteur immobilier fait président de la première puissance mondiale.

L’auteur tente de comprendre la vision, la stratégie, l’histoire politique et personnelle, et la psychologie de Kim Jong-un. De sa scolarité dans un lycée proche de Berne, où il doit prétendre être le fils de son chauffeur, jusqu’aux progrès fulgurants du programme balistique depuis que le jeune homme a succédé à son père, en 2011, pour parvenir à trois tirs de missiles intercontinentaux l’an dernier et démontrer que le sol américain est désormais à sa portée et qu’il doit être pris au sérieux.

Ce voyage conduit de Washington à Pékin en passant par Tokyo et Séoul, ainsi que par des séjours en Corée du Nord. « Au royaume des Kim, l’illusion d’être en reportage se dissipe dès l’atterrissage », reconnaît-il d’emblée.

Sébastien Falletti explique comment un jeune dont le physique, le style vestimentaire et le goût pour les trains blindés invite aux spéculations le plaçant entre l’adolescent immature, D^r No et D^r Folamour, se révèle en fait tout à fait capable d’imposer son pouvoir et de parvenir à la dernière longueur de la course à la bombe, là où son père s’était montré moins efficace. Se résoudra-t-il à faire une croix dessus après une poignée de main à Singapour ?

Harold Thibault