Ni Monsanto ni Bayer, et aucun représentant de la Glyphosate Task Force, le consortium d’entreprises commercialisant la molécule active du Roundup. Le programme des auditions de la commission spéciale du Parlement européen sur la procédure d’autorisation des pesticides se remarque surtout par ses grands absents. Aucun d’entre eux, cependant, n’avait été invité : l’industrie figurait bien au menu des auditions mardi 15 mai, mais elle était représentée par son organisation de lobbying, la European Crop Protection Association (ECPA). Si l’absence de Monsanto est un point d’achoppement symbolique, il n’est pas le seul.
Créée le 6 février pour répondre aux « préoccupations » exprimées sur l’évaluation du glyphosate, la commission « PEST », composée de trente eurodéputés, doit notamment analyser « l’indépendance de la procédure vis-à-vis des entreprises et la transparence du processus de décisions ». Classé cancérigène probable pour l’homme par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) des Nations unies, mais blanchi par les agences européennes, l’herbicide a été réautorisé par les Etats membres pour cinq ans en novembre 2017.
« Le Parlement ne devrait pas s’autoproclamer justicier »
Or les travaux de la commission PEST, que préside le Français Eric Andrieu (Alliance progressiste des socialistes et démocrates), semblent déjà dans l’impasse en raison de désaccords majeurs entre les coordinateurs des groupes politiques. Avec la droite appuyée par les centristes de l’Alliance des démocrates et des libéraux (ALDE) d’un côté, la gauche et les Verts de l’autre.
La coordinatrice pour le Parti populaire européen (PPE, droite, majoritaire) n’en fait pas mystère : son groupe avait contesté le principe même de la création d’une commission spéciale. « Nous voulions éviter de faire un procès à Monsanto », explique Angélique Delahaye, qui estime que « le Parlement ne devrait pas s’autoproclamer justicier » et « s’attaquer à une entreprise ». C’est d’ailleurs en raison de l’opposition du PPE que le mandat de la commission ne porte pas sur le glyphosate mais sur les pesticides en général.
« Les négociations en coulisses sont vraiment très dures. Les coordinateurs des groupes PPE, ALDE et ECR [conservateurs et réformistes] ne veulent rien entendre, font bloc et rejettent les propositions des autres groupes, raconte Michèle Rivasi (Verts-Alliance libre). On privilégie des auditions très institutionnelles, où la parole critique est réduite à son minimum. »
Traducteur automatique
Le 2 mai, la députée néerlandaise Anja Hazekamp (Gauche unitaire européenne, GUE) a claqué la porte, exaspérée par « une enquête dont le seul but est de sauver les apparences » et qui, selon elle, « joue le jeu de l’industrie au lieu d’enquêter efficacement sur ce qui s’est mal passé et sur ce que nous pourrions mieux faire ».
Les documents issus des réunions des coordinateurs de groupes montrent que, à des experts indépendants et à des ONG, sont préférés des acteurs du système réglementaire dont le rôle est au cœur des questionnements. C’est le cas de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et de l’institut allemand de gestion des risques, le BfR, qui avait copié-collé de nombreux passages du dossier fourni par les industriels dans le but d’obtenir la réhomologation de l’herbicide.
Mais certains d’entre eux compliquent également la tâche de la commission. Le BfR a bien envoyé ses trente pages de réponses aux questions préliminaires qui devaient servir de base pour son audition de mardi, mais la veille seulement… et en allemand. Les eurodéputés ne disposaient pour travailler que d’une version approximative passée dans un traducteur automatique. « Le fait qu’une instance allemande réponde à une demande détaillée en allemand est une procédure totalement normale, a écrit le BfR au Monde dans un courriel. Cela doit aussi être vu comme une expression de la diversité européenne, car l’allemand est reconnu comme une langue officielle de l’UE. Les réponses ont été soumises dans les délais. »
La commission a neuf mois pour mener à bien sa mission, avec un vote du rapport final prévu en décembre.
Stéphane Horel