C’était rappeler ces combats anti-impérialistes et anticoloniaux, la mobilisation de la jeunesse à l’échelle internationale, mais aussi la puissante grève générale de 10 millions de travailleur·e·s en France pendant plusieurs semaines et le « mai rampant » italien qui a suivi. Ce tournant de la fin des années 1960 fut un puissant stimulant pour des dizaines de milliers de militant·e·s et favorisa la construction de nombreuses organisations révolutionnaires dont des sections de la IVe Internationale. C’est ce souffle que notre camarade Alain fit passer dans le congrès, comme une perspective ouverte vers l’avenir, la convergence internationale manifestée en pleine lumière en 1968 trouvant aujourd’hui des échos dans la multitude des résistances et des combats menés dans le monde entier.
Le contraste entre cette évocation et la situation présente faisait d’autant plus ressortir le travail nécessaire d’analyse de la situation mondiale, de bilan de l’action des mouvements sociaux et de construction d’organisations de lutte anticapitaliste.
Les militant·e·s ont eu, en effet, à traiter de nombreuses questions apparues depuis le congrès précédent de 2010. Aussi, le climat de ce congrès traduisait à la fois le poids des attaques et des reculs, mais aussi l’enracinement dans les luttes sociales de résistance et la persévérance dans le regroupement des forces militantes.
Celles et ceux qui étaient présents, veulent réfléchir et construire en s’appuyant sur les acquis d’une Internationale militante qui a la volonté de bâtir des rassemblements politiques au cœur de tous les combats sociaux. Notre Internationale rassemble aujourd’hui 55 sections et organisations sympathisantes dans 40 pays, regroupant au total plus de 13 000 militant·e·s [1].
Ce congrès est revenu sur une situation marquée par les explosions révolutionnaires de la région arabe, les expériences des gouvernements populaires d’Amérique latine, les flambées des Indignados, d’Occupy et de Nuit Debout, la résistance du peuple grec aux injonctions de la Troïka, les mobilisations féministes massives contre les violences, les viols et les féminicides, pour imposer les droits des femmes. Mais il était aussi marqué par les gouvernements de Trump, Poutine, Erdogan, Netanyahou et Duterte, la dérive réactionnaire de nombre de gouvernements en Europe. L’ensemble de ces éléments politiques se déroule dans un contexte de crise prolongée d’un système capitaliste accumulant crises financières, crise écologique, crises sociales et politiques.
Les mouvements populaires et révolutionnaires n’ont pas réussi dans cette période à contrer solidement les offensives réactionnaires et notamment les remises en cause des acquis sociaux obtenus dans les vieux pays industrialisés lors des décennies précédentes. Les montées révolutionnaires dans le monde arabe ont laissé place à des gouvernements réactionnaires et, en Bolivie, en Équateur et au Venezuela, les gouvernements populaires n’ont pas tenu leurs promesses de transformations économiques remettant en cause le système. L’offensive capitaliste menée contre le peuple grec a réussi à faire jouer au gouvernement Tsipras le rôle d’exécuteur des attaques de la Troïka. Enfin, tant en Europe qu’au Moyen-Orient et en Asie, des forces réactionnaires religieuses ont réussi à s’enraciner dans les couches populaires, y développant des campagnes violentes contre les femmes et les homosexuel·e·s.
Les délégué·e·s manifestaient donc la volonté de se construire car les dernières années ont renforcé la nécessité de se regrouper pour agir dans un monde où les guerres, les violences, les attaques menées contre les travailleur·e·s et les opprimé·e·s ont pesé encore plus lourd faisant s’accroitre la nécessité de la solidarité, de la cohérence internationaliste, et aussi d’une orientation anticapitaliste et révolutionnaire prenant les problèmes à la racine.
Analyses de la situation
En premier lieu, eut lieu le débat sur la phase actuelle de la mondialisation capitaliste et l’analyse des puissances impérialistes, du chaos politique et de ses implications. Analyse des rapports de forces entre l’impérialisme américain qui, même affaibli, reste la principale puissance militaire, maîtresse des principaux leviers économiques, et la montée en puissance dynamique de la Chine qui mène une politique impérialiste grâce à sa présence militaire en mer de Chine et sa puissance d’investissement économique international. La grande majorité des délégué·e·s se retrouva d’accord avec ce cadre d’analyse. Des interventions soulignaient en même temps les résistances internes à la politique de l’administration Trump et la puissance des mobilisations des femmes et des ripostes aux violences racistes aux États-Unis. D’autres camarades témoignèrent de l’agressivité et de la présence croissante des capitaux chinois en Amérique latine et en Afrique mettant la main sur de vastes terres agricoles, mettant en péril les productions traditionnelles et les tissus sociaux. L’importante présence de camarades venu·e·s des pays d’Asie permettait de donner toutes les dimensions de cette situation sociale chaotique dans laquelle, néanmoins, notre Internationale développe de solides organisations, bien implantées dans les classes populaires, en particulier au Pakistan et aux Philippines.
L’Amérique et l’Europe étaient solidement représentées parmi les 180 militant·e·s qui ont participé aux débats de ce congrès. La présence de délégués de nos organisations du Maghreb et celle de camarades investi·e·s dans les tâches de solidarité internationaliste auront permis que la situation dans la région arabe soit présente dans nos débats, malgré l’absence de délégué·e·s du Moyen-Orient (mis à part la Turquie) et d’Afrique subsaharienne (mis à part l’Afrique du Sud), traduisant à la fois des difficultés réelles de venue en Europe mais aussi la faiblesse de nos forces.
Le deuxième débat traitait de la destruction capitaliste de l’environnement et de l’alternative écosocialiste. C’était le troisième congrès mondial à traiter de cette question déjà mise en cœur de nos tâches en 2003.
Malheureusement, la situation n’a fait que devenir encore plus catastrophique depuis 15 ans. La résolution adoptée insiste sur la responsabilité essentielle du système capitaliste, et pas de l’humanité en général, dans la destruction de l’environnement. Il y a eu un accord général pour lier indissolublement combat contre les désordres climatiques et combat pour l’éradication du système capitaliste en tant que mode de production. Cet objectif exige que les populations deviennent maîtresses de leur destin, ne s’en remettent pas à la main du marché dans le cadre d’un capitalisme vert mais agissent pour la satisfaction de leurs besoins sociaux, à commencer par l’appropriation publique des ressources, tout en remettant en cause les politiques extractivistes et les grands travaux inutiles. Le débat aura fait ressortir la place des femmes et des communautés paysannes dans ces combats, le rôle de Via Campesina et l’investissement militant de nos organisations, particulièrement aux Philippines, au Bangladesh, au Pakistan et au Brésil, mais aussi au Canada et aux États-Unis, particulièrement contre l’oléoduc Keystone, et en Europe dans les mobilisations autour des COP de Copenhague et de Paris, ainsi que dans la mobilisation en France contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ou encore en Allemagne autour du mouvement de désobéissance civile Ende Gelände (« ça s’arrête ici et maintenant ») qui s’oppose aux mines de lignite.
Le débat suivant concentrait à la fois l’analyse de la croissance et des transformations du salariat à l’échelle mondiale – avec la montée des formes d’emploi précaire – et le bilan des mouvements de résistance et des affrontements populaires.
Les camarades défendant deux résolutions minoritaires (la Plateforme pour une internationale révolutionnaire et « Nouvelle époque… ») ont insisté sur la croissance numérique de la classe ouvrière au niveau mondial et sur sa place centrale dans les luttes.
Pour la majorité, le problème qui nous est posé n’est en rien celui d’une décroissance numérique de la classe ouvrière. Au contraire, au cours des dix dernières années, il y a une croissance du salariat, dans la production comme dans les services, notamment dans les nouveaux pays industrialisés. Mais cette croissance numérique se couple avec un affaiblissement politique du mouvement ouvrier dû à plusieurs causes essentielles : une est la crise des organisations traditionnelles réformistes, sociales-démocrates et staliniennes dans les vieux pays industrialisés, usées pour les premières par leur politique de gestion du libéralisme, et pour les secondes entraînées dans la chute des systèmes staliniens. Un autre élément d’affaiblissement vient évidemment des défaites accumulées ces dernières années, avec en Europe et sur le continent américain la remise en cause frontale des politiques de compromis social, s’attaquant à de nombreux acquis en matière d’emploi et de protection sociale. De même, le développement de nouvelles classes ouvrières notamment en Asie (Chine, Inde, Turquie…) ne s’est pas fait dans le cadre du rapport de force du siècle dernier. Cette situation de défensive n’a pas pour autant supprimé la volonté de luttes des exploité·e·s et des opprimé·e·s, et les luttes sociales menées – par exemple au Maghreb, en Amérique latine, en Europe – ces dernières années ont été la manifestation de cette combativité. La discussion a donc fait ressortir plusieurs points forts : l’affirmation de la combativité ouvrière dans les nouveaux pays industrialisés, le poids décisif de la jeunesse dans toutes les mobilisations de ces dernières années et la place du mouvement féministe avec des générations de jeunes militantes animant non seulement les combats féministes mais étant aussi au cœur de tous les combats. Ensuite, plusieurs délégué·e·s soulignèrent une interconnexion solide entre les exigences liées à l’entreprise, les questions de discrimination, d’environnement, de combat contre les violences. Ces liaisons sont encore plus fortes dans toutes les luttes menées dans les zones rurales, souvent contre les multinationales et les interventions militaires. Les expériences de résistance, de reprises de production dans un cadre autogéré ont aussi été soulignées.
Ce débat donna lieu à de nombreuses prises de parole de jeunes, notamment des camarades femmes, témoignant de leur intervention dans les mouvements de masse et enrichissant le débat, tant sur les luttes syndicales en Italie ou aux États-Unis que sur les mobilisations dans la jeunesse. De même la solidarité au Pakistan autour de notre camarade Baba Jan, menacé de la prison à perpétuité pour avoir pris part à la mobilisation paysanne contre les expulsions de terres. Au final, la dérive autoritaire de nombreux gouvernements ne diminue pas pour autant la puissance de nombreuses actions remettant en cause l’exploitation capitaliste et les oppressions.
Notre rôle et les tâches de construction
Le dernier point – sur le rôle et les tâches de notre Internationale et de ses sections – fut le point de convergence des discussions précédentes et des questions sur lesquelles s’étaient formées deux plateformes alternatives.
Ces dernières années, nos débats se sont centrés sur plusieurs expériences de nos sections dans la construction de partis plus larges, jouant un rôle utile dans la lutte des classes et à même de mener le combat contre le capitalisme. Ainsi furent tirées les leçons des expériences récentes de nos camarades dans Podemos au sein de l’État espagnol, du PSOL au Brésil, de l’Awami Workers Party au Pakistan, du Bloc de gauche au Portugal, de l’Alliance rouge-verte au Danemark, de l’orientation vis-à-vis de Syriza.
Les débats se sont centrés sur plusieurs questions : la situation de mondialisation capitaliste agressive, de chaos et de désordre international n’a pas pour autant fermé la porte à des éruptions révolutionnaires et des crises politiques majeures. Les anticapitalistes à l’échelle mondiale ont aujourd’hui de lourdes responsabilités : construire des organisations politiques utiles pour la résistance au quotidien et capables de se confronter à des crises posant la question du pouvoir. Face à la critique de deux positions nettement minoritaires, le texte adopté par le congrès défend la nécessité tenir les deux bouts de la démarche. La résistance exige de forger des outils qui s’opposent aux politiques de gestion de l’austérité, d’où qu’elles viennent. Toutes les situations débattues durant ce congrès montrent donc la double nécessité de construire lorsque cela est possible des rassemblements politiques larges et efficaces et de défendre en leur sein une orientation anticapitaliste et écosocialiste conséquente. Cela confirme le choix de maintenir dans tous les cas l’organisation des militant·e·s de la IVe Internationale.
Ce congrès a confirmé un travail de cohésion, de réflexion et de rassemblement politique qui permet de rajeunir les directions de nos organisations et celle de notre Internationale. C’est aussi la solidité de ce travail qui permet que dans des pays où des divisions ont eu lieu au sein de nos sections, comme c’est le cas récemment au Brésil ou en Italie, l’Internationale reste un trait d’union qui pourrait permettre, à terme, comme cela vient d’être le cas en Allemagne, de réunifier nos forces dans une même organisation.
La présence de plusieurs nouvelles organisations invitées, à l’instar du MAIS brésilien ou du The Struggle pakistanais, témoigne aussi de cette volonté de rassemblement démocratique dans notre Internationale. Dans le même état d’esprit, toujours au Brésil, le MES a désormais le statut d’organisation sympathisante de la IVe Internationale et le nouveau Comité international est mandaté pour pouvoir accorder ce même statut à Súmate du Pérou.
Enfin, le Congrès a été l’occasion de réaffirmer notre choix de construction de notre Internationale avec des outils d’élaboration par des séminaires réguliers, le développement de nos Instituts de formation d’Amsterdam, de Manille et d’Islamabad et l’initiative annuelle du rassemblement international des jeunes en Europe. Ces efforts de formation portent leurs fruits dans le rajeunissement de la nouvelle direction élue. Par contre, dans l’ensemble des participant·e·s à ce congrès, il n’y avait que 25 % de femmes, même si bon nombre des organisations de l’Internationale ont respecté la parité dans leur délégation, et il y a 40 % de femmes dans la nouvelle direction.
Léon Crémieux