L’une des meilleures expériences de ceux parmi nous qui étaient membres de la LCR [Ligue communiste révolutionnaire dans l’Etat espagnol] a été d’apprendre à nous connaître et de fusionner avec ce groupe si proche de nous qui avait été formé par les membres d’ETA VI [6e Assemblée de l’ETA qui rompait avec la politique militaire d’ETA]. Et plus spécifiquement de traiter avec Troglo. A partir de différents points de départ et d’expériences diverses, soudainement, dans la chaleur de la lutte anti-franquiste, de l’aspiration commune à une société socialiste et grâce aux bonnes influences des membres de la LCR française et de la IVe Internationale, nous avons pu converger dans nos options et nos projets, avec un fort degré d’accord. Et, en outre, ils étaient des gens loyaux.
J’ai mis du temps à connaître Troglo. Je ne me souviens pas exactement quand, mais je suis sûr que nous avons commencé à nous rejoindre à l’occasion de son transfert à Madrid pour qu’il puisse prendre part à la direction du parti unifié. Dans ces années-là, j’ai pu voir à quel point il était facile de se disputer avec Troglo, car il défendait passionnément ses idées et ses propositions, mais aussi combien il était encore plus facile de parvenir finalement à un accord sur ce qu’il fallait faire. Le plus important. Et tout cela dans une atmosphère de relations amicales, sans conditions. C’est une chose à mettre en relief aujourd’hui, dans un moment où la concurrence entre les individus et l’absence de débat politique dominent la vie des forces de changement.
Il est impossible de résumer en quelques lignes une vie pleine d’activité révolutionnaire d’une personne avec une grande capacité d’initiative et un dévouement infini à la cause. Je soulignerai deux aspects qui n’ont pas été abordés dans les articles In memoriam précédents et qui me touchent plus directement. Après l’échec de l’unification avec le Mouvement communiste – une fusion qui a impliqué le prix injuste et erroné de quitter le IVe – Troglo et moi avons senti une obligation morale et politique de réparer les dommages causés ; nous avons été complices du « retour » au CEI [Comité exécutif international] des militants d’Euskalerria qui partageaient avec Troglo le besoin nécessaire d’établir cette relation et des gens qui, en Euskalerria et dans le reste de l’Etat espagnol, se sont regroupés dans des structures marquées par la continuité : Izquierda Alternativa, Espacio Alternativo, Izquierda Anticapitalista et finalement Anticapitalistas et qui voulaient faire partie de l’organisation internationale.
Au cours de ces années, notre amitié et notre collaboration se sont renforcées, même si nous n’avions pas le même projet politique organisationnel ayant trait à la construction du parti, mais nous partagions beaucoup d’idées, de points programmatiques et de façons de voir la relation entre la lutte sociale et la lutte politique. Et en particulier la vision écosocialiste.
L’autre point que je voudrais souligner est que Troglo, sur la base de l’initiative des Rencontres écosocialistes qui ont commencé à Genève, ont continué à Madrid, puis ont eu lieu à Bilbao, grâce à ses efforts alors qu’il était déjà très malade, a établi ainsi une collaboration très étroite avec les Anticapitalistas et les organisations écologistes de l’Etat espagnol. Grâce à ses propositions et à son engagement, ces rencontres se poursuivront à Lisbonne en novembre 2018.
Tout d’abord. C’est dans les relations établies avec Troglo que j’ai compris d’une manière simple que l’on peut avoir une position politique ferme pour défendre les droits du peuple basque et, en même temps, ne pas avoir à recourir aux ressorts identitaires. C’est du moins ce que j’ai compris. Et, en même temps, il était internationaliste et solidaire de la lutte des peuples comme peu l’étaient.
Ensuite. En tant qu’ami, Troglo ne m’a jamais laissé tomber et j’ai appris sa capacité d’affection dans ses relations quand j’en avais le plus besoin en 2008 et 2009, dans les différents voyages qu’il a fait pour échanger. Juste pour discuter entre un bus et un autre. Pour paraphraser et inverser la devise sandiniste, pour Troglo, la tendresse est solidarité entre les personnes. Et il l’a pratiquée.
Enfin. Le 31 décembre 2016, Sophie, Josu, Marga et moi sommes allés le voir dans sa ferme. Heureusement, nous sommes arrivés et nous ne nous sommes pas perdus dans ces routes et ces virages entre montagnes et vallées. A la fin de l’année, il a continué à nous faire des propositions de travail : un accord entre fondations – que nous n’avons malheureusement pas encore concrétisé –, une initiative sociale contre la précarité avec les secteurs chrétiens et, comme il l’a dit, la préparation de la quatrième édition des Rencontres écosocialistes. Il nous a transmis ses messages et propositions. Nous les garderons.
Troglo est vivant, le combat continue.
Manuel Gari