Le 22 mars est une date symbolique dans les mémoires militantes, notamment dans celles de la gauche radicale. Il s’agit en effet du jour où, au début du printemps 1968, un collectif d’étudiantEs de Nanterre ont lancé un appel à « la discussion » et à « l’action » contre la répression policière, dans le but revendiqué de « rompre avec des techniques de contestation qui ne peuvent plus rien ». Un appel qui sera suivi d’effet, avec l’organisation de diverses initiatives à l’université de Nanterre, transformée en laboratoire de la contestation. Parmi les signataires de cet appel figuraient plusieurs des futurs animateurs étudiants du soulèvement de mai-juin 1968, ce qui a amené à considérer le « mouvement du 22 mars » comme l’un des précurseurs du mouvement de mai-juin. Retour, dans ce dossier, sur ce 22 mars 1968, en essayant de comprendre à quel point, loin d’être un coup de tonnerre dans un ciel serein, il s’est inscrit dans un contexte général de remontée des luttes sociales, en premier lieu ouvrières, et de remise en question, par une génération tout entière, de l’ordre établi, qu’il soit national ou international.
68 : L’irruption d’une jeunesse contestataire
Les « événements » de 1968 ont souvent été perçus comme la conséquence de l’arrivée à maturité d’une nouvelle « génération », pour reprendre le titre du fameux ouvrage qu’Hervé Hamon et Patrick Rotman firent paraître en 1988, pour le vingtième anniversaire de mai 1968.
Une telle conception a d’évidentes limites, puisque qu’elle tend à réduire la vague d’insubordination qui balaya la France au printemps 1968 à la seule insurrection de la jeunesse, ce qui ne permet pas de prendre toute la dimension de ce mouvement de masse, marqué par la plus grande grève générale que le pays ait jamais connue. Elle présente néanmoins un intérêt dans la mesure où elle met en exergue l’une des nouveautés majeures des années 1960 : l’irruption, en France comme dans le reste du monde, de la jeunesse comme actrice à part entière du mouvement social.
Génération « baby-boom »
Quelles étaient les caractéristiques de cette génération contestataire de 68 ? D’abord le fait qu’il s’agissait d’une génération nombreuse, issue du « baby-boom » de l’après-guerre. En 1968, 33,8 % de la population française avait moins de 20 ans, ce qui donnait à la jeunesse une place toute particulière dans le pays. Ensuite, il s’agissait d’une génération qui avait grandi dans le contexte du puissant bouleversement des structures sociales que la croissance des Trente Glorieuses avait engendré. Cette rapide mutation de la société française avait donné un profil nouveau à cette génération, comme en témoignait par exemple sa nouvelle et massive déchristianisation, qui la situait en rupture avec la société d’un pays resté profondément traditionnel. La jeunesse avait ainsi du mal à trouver sa place dans un pays gouverné par un vieux général, un pays étouffé par le poids de l’église, de l’armée et de l’ordre moral. Celui-ci était si fort que l’État gaulliste allait même jusqu’à penser qu’il était de son devoir de veiller à la vertu de ses jeunes citoyennes, en interdisant aux hommes l’accès des cités universitaires des étudiantes.
Ce malaise générationnel, provoqué par une croissance économique trop rapide pour que les structures sociales puissent suivre, n’était pas spécifique à la France. Il caractérisait alors toutes les jeunesses du monde qui, portant leurs regards hors du seul cadre national, se reconnaissaient dans une même culture musicale mondialisée qui, de Bob Dylan aux Rolling Stones, était marquée par son caractère contestataire. Le souffle de modernité que portaient ces nouvelles générations s’inscrivait en effet dans une vague progressiste alimentée par l’effet propulsif de la révolution russe, alors distante de seulement un demi-siècle. Elle se conjuguait avec les effets de la révolution anticoloniale qui s’invitait tous les soirs, à travers la guerre du Vietnam, sur les écrans de télévision qui entraient alors massivement dans les foyers français.
Massification de l’enseignement
Cette génération 68 avait aussi été modelée par une très profonde transformation des structures éducatives, qui avait permis à de nouvelles couches sociales d’accéder à l’enseignement secondaire et supérieur. Entre 1966 et 1970, le pourcentage de bacheliers était en effet passé de 12,5 à 20,1 % de la classe d’âge. Dans un pays qui comptait alors moins d’un demi-million de chômeurEs, où les jeunes entraient sur le marché du travail dès l’âge de 14 ans, les usines avaient vu arriver une nouvelle génération d’ouvriers, souvent passée par l’enseignement secondaire. Celle-ci était d’autant moins portée à accepter les règlements tatillons qui régissaient la vie d’usine qu’elle se sentait souvent surdiplômée par rapport aux tâches d’exécution qu’exigeait l’organisation tayloriste du travail.
La massification de l’enseignement permettait aussi à de nouvelles couches sociales d’accéder à l’université, dont les effectifs avaient triplé en dix ans. Le monde universitaire connaissait ainsi une brutale expansion que symbolisaient les nouvelles facultés construites en 1964 à Nanterre, à proximité immédiate des bidonvilles où s’entassait la main-d’œuvre immigrée. Loin des sarcasmes sur les « petits-bourgeois de Nanterre », cette nouvelle jeunesse étudiante était souvent issue de couches modestes, voire populaires, et était bien placée pour savoir que la France des années 1960 était celle des bas salaires et des longues journées de travail. Elle était aussi bien placée pour savoir que les classes populaires restaient largement à l’écart de la nouvelle « société de consommation », puisqu’un ménage français sur deux n’avait alors pas de lave-linge et qu’un sur quatre n’avait pas de réfrigérateur. Ces étudiants, qui avaient souvent trouvé dans les Héritiers de Bourdieu et Passeron, paru en 1964, un manifeste de leur temps, étaient porteurs d’un puissant désir d’égalité sociale. Comme devait le dire Daniel Cohn-Bendit en avril 1968, cette jeunesse étudiante n’avait qu’une hantise, celle de « devenir les futurs cadres de la société qui exploiteront plus tard la classe ouvrière et la paysannerie ».
Culture anti-autoritaire
Enfin, la génération 68 partageait aussi souvent une même culture anti-autoritaire qui la distinguait clairement de la génération précédente, construite dans la lutte contre la guerre d’Algérie. Cela se traduisait en particulier par sa forte réticence vis-à-vis des organisations réformistes, qui se trouvaient alors toutes en difficulté. Particulièrement remarquable était le déclin de l’Unef (voir également page 3).
Emblématiques étaient les difficultés que traversait l’UEC, l’organisation étudiante du PCF, qui avait, dans les années 1960, traversé une longue série de crises et de scissions. Celles-ci avaient permis la naissance de nouvelles organisations révolutionnaires, avec la création en 1966 de la JCR, ancêtre de la Ligue Communiste, et de l’UJC(ml), qui devait donner naissance à la Gauche prolétarienne. Pour être alors très actives, ces nouvelles organisations d’extrême gauche n’avaient toutefois qu’une audience des plus limitées : même dans les facultés de Nanterre, qui étaient alors considérées comme un bastion gauchiste, il n’y avait sans doute en mars 1968 que 130 à 140 militantEs, divisés en de nombreux groupes. C’est dans ces difficultés des organisations traditionnelles de la jeunesse qu’il faut situer le souffle nouveau qui donna naissance au mouvement du 22 mars, mais aussi aux Comités d’action lycéens (CAL) qui étaient apparus en février 1968, afin de lutter contre l’esprit de caserne qui régnait alors dans les lycées.
Laurent Ripart
1967-1968 : des grèves ouvrières radicales annonciatrices de la grève générale
Les années 1967-1968 furent le théâtre de la multiplication des conflits dans les usines, avant même l’explosion de mai. Élément particulièrement notable : la place centrale qu’y occupent les jeunes générations.
La classe ouvrière, affaiblie par le coup d’État de 1958, ne relève la tête qu’en mars 1963. date de la grève des mineurs pour les salaires et contre les licenciements. Suivie par les employéEs, parfois même les cadres des mines, elle est soutenue par une exceptionnelle solidarité. Elle dure un mois, malgré la réquisition tentée par De Gaulle. Cette année-là, il y aura près de 6 millions de jours de grève, contre 1,14 million en 1958 [1]. Après la pause électorale de 1965, les luttes reprennent en 1966 (2,5 millions jours de grève), violentes et brutales. Des barricades sont dressées à Redon, au Mans. Le 17 mai 1966 se tient une des plus importantes journées d’action organisées depuis 1958, appelée unitairement par la CGT et la CFDT, une première depuis bien longtemps.
Multiplication des conflits
En 1967, ces conflits localisés et durs se multiplient, et il y aura 4,5 millions de jours de grève. Très emblématique est le conflit des Rhodiacéta, usines de textiles artificiels, où les grévistes renouent avec les occupations. La grève commence en février à Besançon (3 000 salariéEs). Les syndicats annoncent une grève le lundi contre le chômage partiel. Dès le samedi précédent, l’équipe sortante commence la grève sans attendre et occupe. La grève s’étend à Lyon-Vaise, à Péage-de-Roussillon. Elle va durer 5 semaines. L’occupation des locaux entraîne un fort mouvement national de solidarité, et au niveau local, avec un comité universitaire de soutien, il y a une véritable effervescence. Alors que la revendication initiale portait sur le refus du chômage partiel, l’accord prévoit des augmentations de salaires. Cette réponse est refusée par une partie des ouvriers qui dresse une barricade devant l’usine. Les gendarmes mobiles interviennent. La reprise est votée à une très courte majorité. Malgré ces résultats mitigés, la grève de la Rhodia constitue une expérience fondamentale des luttes précédant 1968.
À Saint-Nazaire, les mensuels des chantiers navals arrêtent le travail 63 jours pour l’augmentation des salaires et contre les primes à la tête du client. À cette époque, les ouvriers sont payés à l’heure et les mensuels sont perçus comme les collaborateurs des patrons. Leur grève est une nouveauté. Les grévistes organisent des manifestations, le soutien de la population est massif. 3 000 femmes dans la rue, le comité de soutien organise la distribution de nourriture, les coiffeurs « rasent gratis » un jour pour les grévistes…
Il y a aussi des grèves chez Berliet, dans les mines de fer en Lorraine, avec occupation. Chez Dassault, des débrayages surprises se multiplient dans ce que les travailleurs appelleront la grève « tam-tam » : certains jours, il y a 5 minutes de grève toutes les heures et des manifestations dans les ateliers accompagnées par un orchestre improvisé…
Le cas emblématique de la Saviem
Le 17 mai 1967, une grève générale interprofessionnelle unitaire CGT, CFDT, FO et FEN, contre les projets d’ordonnances sur la sécurité sociale, qui visent à faire disparaître la gestion par les organisations syndicales, est l’occasion de manifestations très massives. Les ordonnances seront adoptées le 27 août : beaucoup s’en souviendront un an plus tard.
En mars, trois jours d’émeutes se sont succédé en Guadeloupe suite à une agression raciste. Le 25 mai, les forces de police tirent sur une manifestation d’ouvriers du bâtiment demandant une augmentation salariale, faisant 5 morts et une centaine de blessés. Le mouvement de révolte qui suit dure trois jours, faisant des dizaines de morts (l’estimation la plus probable est de 87).
En octobre, trois manifestations violentes embrasent la ville du Mans, successivement les agriculteurs, les ouvriers de Renault, et enfin ceux de Jeumont Schneider, Glaenzer-Spitzer et Ohmic. Les manifestants convergent vers le centre-ville, bousculent les barrages de CRS et donnent l’assaut sur la préfecture.
Le 23 janvier 1968, Caen prend le relais. Une grève d’une heure est appelée à la Saviem (4 000 salariéEs) pour l’obtention d’une augmentation de salaire et le respect des droits syndicaux. La base, pour l’essentiel composée de jeunes travailleurs (environ 500), déborde les syndicats, défile en cortège dans l’usine et entraîne les autres. L’usine est occupée, des piquets de grève sont mis en place toute la nuit. L’autoritarisme de la maîtrise est dénoncé. Le lendemain, la manifestation des Saviem retrouve les grévistes de Jaeger et Sonoral qui sont eux aussi en grève illimitée, la police charge, les affrontements sont violents. Le 27 janvier, d’autres usines (Moulinex, SMN) en grève de solidarité rejoignent la manifestation. Les jeunes travailleurs, rejoints par une centaine d’étudiants venus prêter main forte, débordent le service d’ordre syndical aux abords de la préfecture dans laquelle ils essaient de pénétrer. La chambre patronale, la préfecture, les banques n’ont plus de vitres. Près de 200 personnes sont blessées dans une nuit d’émeute. Le 30 janvier la grève s’étend à l’ensemble des entreprises métallurgiques de la région : 15 000 grévistes.
Le 2 février le vote sur la grève donne 502 voix pour la poursuite de la grève et 272 pour les actions à l’intérieur de l’entreprise. Les organisations syndicales, jugeant trop faible le nombre de votants, décident la reprise du travail. Celle-ci a bien lieu le lundi 5, mais à 14 heures, sans aucune consigne, 3 000 ouvriers quittent à nouveau le travail, manifestent dans l’usine et s’en vont !
Un nouveau cycle de lutte
À Redon, le 11 mars, alors que les délégués syndicaux discutent avec le patronat, à la mairie, pour une augmentation de 30 centimes, les jeunes ouvriers barrent la voie ferrée Paris-Quimper et se heurtent violemment aux CRS. Les mois suivants, d’autres grèves se développent, dans la métallurgie, les banques, à Air-Inter. Des manifestations locales ayant une dimension régionale se multiplient : Pays de Loire, Nord-Pas-de-Calais, Bretagne, etc.
Toutes ces grèves témoignent d’une combativité qui ne trouve pas à s’exprimer dans les initiatives officielles des syndicats. Elles se produisent dans des usines qui n’ont cessé de grandir depuis 10 ans, en embauchant massivement (il y a 300 000 chômeurEs). On entre dans la période où la proportion d’ouvriers en industrie est la plus importante en France : 35 % de la population. Ces grèves ouvrent un nouveau cycle de lutes ouvrières qui va se développer jusqu’à la fin des années 1970. Les jeunes y ont un rôle moteur dans la détermination des formes de lutte. Ces jeunes, souvent peu qualifiés et soumis à une autorité insupportable des chefaillons, sont peu syndiqués et sans expérience de lutte. Les directions syndicales contrôlent peu cette base qui ne les reconnaît pas, pour la première fois depuis des décennies.
Ils joueront un rôle important, en écho des barricades étudiantes, dans le déclenchement des grèves de mai-juin 1968 et les formes qu’elles prendront, mais ne pourront constituer une force alternative à celle des directions syndicales, notamment de la CGT, ni à celle du PCF.
Patrick Le Moal
D’où vient le « mouvement du 22 mars » ?
Crédit photo : DR
La simultanéité mondiale des mouvements de jeunes des années 1960 correspond à une remise en cause généralisée de l’ordre politique établi après la Seconde Guerre mondiale. Le Mouvement du 22 mars, qui va jouer un rôle particulier en mai-juin 1968, est né de la conjonction de la radicalisation anti-impérialiste et du refus de l’ordre moral dans une université qui explose.
Dès l’année 1965 la guerre du Vietnam est le principal amplificateur des revendications contre l’ordre mondial : la révolution vietnamienne refuse le partage du monde et combat seule pour le « socialisme ». La guerre menée par l’État le plus puissant du monde contre un pays peuplé de paysans pauvres, au nom du danger du communisme, cristallise l’indignation morale devant les atrocités commises, l’énormité des moyens mis en œuvre, et surtout sape le bien-fondé de la division est-ouest du monde. Des mobilisations massives contre cette guerre aux USA, au Japon, en Allemagne de l’Ouest… résonnent avec celles qui se développent en France, où elles se situent dans la tradition de l’opposition à la guerre d’Algérie. En janvier 1968 l’offensive du Têt polarise l’intérêt et l’activité de l’avant-garde étudiante. Des manifestations européennes ponctuent cette radicalisation, à Bruxelles, à Berlin.
Pas un jour sans un débrayage d’amphi
Au plan universitaire, à la rentrée 1967, le gouvernement avait engagé une offensive visant à instaurer une sélection à l’entrée à l’université (déjà !), pour orienter les étudiants en fonction des disponibilités et éliminer les autres. Le 9 novembre, l’Unef appelle à une manifestation contre la sélection à l’occasion de la « rentrée solennelle » : 5 000 étudiantEs s’affrontent aux gardes mobiles. Dans les facs, pas un jour sans un débrayage d’amphi, les occupations de bureaux se multiplient. À l’université de Nanterre, 10 000 étudiantEs sont en grève générale pour une semaine, élaborent des cahiers revendicatifs. Dans les cités universitaires, les étudiantEs abolissent les règlements intérieurs et imposent la liberté de circulation filles/garçons et les libertés politiques. La tension monte à Nanterre et, le 29 janvier, le doyen appelle la police pour faire disparaître une exposition contre la répression : ils sont chassés de l’université à coups de bancs, de pierres et de planches.
C’est dans ce contexte de montée régulière de la radicalisation que le 20 mars, lors d’une manifestation organisée par le Comité Vietnam national (CVN), « pour la victoire du peuple vietnamien contre l’impérialisme américain », trois cents jeunes saccagent le siège de l’American Express. Six militants sont arrêtés, dont Xavier Langlade, de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR), étudiant à Nanterre. En réaction, le 22 mars, les militantEs s’emparent de l’émetteur central de l’université, badigeonnent de slogans les murs intérieurs. Une assemblée générale de 600 à 700 étudiantEs exige la libération des militants interpellés. Il est décidé d’occuper, le jour même, le dernier étage de la tour universitaire où siège le conseil de la faculté : « Là, 142 des 150 occupants votaient une journée d’action pour le vendredi 29 consistant à remplacer les cours par des débats sur les luttes anti-impérialistes, les luttes étudiantes/luttes ouvrières, les luttes étudiantes dans les démocraties populaires, université et université critique » [2]. Le doyen suspend les cours pour deux jours, et 500 étudiantEs participent à des débats dans un campus désert, gardés à vue par deux colonnes de CRS. Le mouvement du 22 mars était né. La semaine suivante, une nouvelle journée est organisée le 2 avril avec un représentant du SDS [3] allemand : 1 200 étudiantEs scandent « Che Che Guevara, Ho Ho Ho Chi Minh ».
Un mouvement de masse
La totale liberté d’expression politique est gagnée dans la faculté. « S’est constitué un mouvement de masse auquel participent de nombreux éléments inorganisés et certains groupes (anarchistes et JCR surtout) au prix de concessions réciproques et sur la base d’une expérience politique commune qui est le point de départ au débat, sans que l’accord sur une « ligne » soit un préalable à l’action. Dans ce mouvement, les militants faisaient l’expérience de la démocratie directe, les « inorganisés » censuraient l’affrontement intergroupusculaire habituel de sorte que s’est produit un dégel des frontières entre groupes et surtout un élargissement considérable de la sphère d’influence des militants d’avant-garde » [4]. Dénoncé par les maoïstes comme 100 % réactionnaire car il détournait les étudiantEs de la voie juste (« servir le peuple »), ignoré par les militants lambertistes et les prédécesseurs de Lutte ouvrière, mais soutenu par la JCR (malgré les réticences initiales de certains de ses membres), le mouvement du 22 mars va devenir une très importante force d’impulsion politique.
Le 27 mars, Daniel Cohn-Bendit, membre du 22 mars, est interpellé. Conflits et incidents se multiplient. Après une manifestation massive de la CGT le 1er Mai, la première autorisée depuis 10 ans, la fermeture de l’université est décidée le 2 mai, alors que huit étudiants sont convoqués devant un conseil de discipline.
Le Mouvement du 22 mars quitte alors son bastion, le 3 mai, pour se rendre à la Sorbonne. À la mode nanterroise, des débats et groupes de discussion se succèdent dans la cour et les amphis, jusqu’à l’entrée des policiers qui arrêtent des centaines d’étudiantEs. La première manifestation de protestation commence immédiatement, qui s’affronte à la police dans le Quartier latin. Le cycle qui va conduire à la nuit des barricades est enclenché.
Patrick Le Moal