Les prévenus ont été reconnus coupables d’avoir tué trois employés de la société Long Son et d’avoir blessé treize autres personnes lors d’échauffourées survenues le 23 octobre 2016.
Cette tragique affaire est un exemple supplémentaire de l’extrême violence des conflits fonciers dans les campagnes au Viêt Nam.
Le lieu du litige : un terrain forestier de 1 079 hectares situé dans la commune de Quang Truc, district de Tuy Duc qui se trouve à une dizaine de kilomètres du Cambodge.
En février 2008, l’administration de la commune avait transféré ces terres à la société Long Son Co. pour y développer un projet d’agroforesterie. En juin 2013, ce projet était alors placé sous la direction de Nghien Thien Xuan Suu.
Un groupe d’agriculteurs avait effectué la mise en culture de ces terrains depuis longtemps en y plantant des caféiers et des anacardiers (qui produisent des noix de cajou). Aucune indemnité ne semble leur avoir été proposé. Les relations entre le nouveau directeur et plusieurs familles de fermiers s’envenimèrent au fil des mois, ces dernières ne désirant pas perdre le fruit de leur labeur.
Mai Thi Khuyen l’épouse du principal accusé a raconté les multiples intimidations et brutalités endurées : « Les familles vivaient dans l’insécurité depuis des années. Nous étions inquiets et angoissés, surtout la nuit. Une voiture avec les voyous de Long Son passait et repassait régulièrement. Les cultures ont été saccagées, à plusieurs reprises les fermiers ont été battus. » Les familles ont porté plainte au niveau de la province. Les autorités ont déclaré que la société Long Son ne devait pas détruire la propriété des fermiers, mais rien n’a changé.
Une délégation s’est alors rendue à Hanoi pour obtenir de l’aide. Le Premier ministre a déclaré que « la propriété du peuple ne doit pas être détruite à coup de bulldozer ». Thi Khuyen affirme « les gens ont été très heureux d’entendre ces paroles et de savoir que l’Etat et le Parti se préoccupent ainsi d’eux. Les gens avaient foi en ces déclarations ». Mais les attaques ont repris de plus belle, encore plus violentes. Les sbires de la société ont battu encore plusieurs personnes, ont attaché des personnes âgées à des souches d’arbres, des femmes molestées ont fait des fausses couches… [1] Les autorités locales font preuve d’inertie et ne font pas cesser le harcèlement contre les agriculteurs.
Le 23 octobre 2016 Nghien Thien Xuan Suu, ayant réuni une trentaine de personnes munies de gourdins et autres armes ainsi que d’un tracteur pour niveler la zone, investit les lieux. Tous s’emploient alors à raser les plantations. Dang Van Hien à l’aide d’un fusil de chasse de sa fabrication tente alors d’intimider les assaillants en tirant en l’air pour les faire fuir. Lapidé par les gens de la compagnie ,il fit feu sur eux. Deux voisins : Ninh Viet Binh et Ha Van Truong dont les cultures étaient, elles aussi, menacées de destructions se joignirent à la bataille. La fusillade tua trois employés de la société Long Son et en blessa treize autres, le reste du groupe préférant se sauver. A l’issue de la rixe, devant le bilan tragique des évènements Dang Van Hien s’enfuit. Quelques jours plus tard il se rendait aux forces de police.
Lors du procès l’avocat des cultivateurs a demandé au tribunal de tenir compte du fait que son client avait agi en riposte à une violente provocation, et n’avait pas, avant l’engrenage fatal, l’intention de commettre « un acte de violence ». Le tribunal populaire de Dak Nong infligea néanmoins la peine capitale à Dang Van Hien, responsable de ces trois morts, et condamna Ninh Viet Binh et Ha Van Truong, à respectivement 20 ans et 12 ans de prison. Tous les trois ont été reconnus coupables de meurtre. Un autre fermier, Doan Van Dien, a été condamné pour avoir aidé Hien à échapper à la police à neuf mois de prison pour « dissimulation de crimes ».
Le même tribunal lors du même procès a également condamné Nghien Thien Xuan Suu, directeur adjoint de Long Son Co, à six mois d’emprisonnement, et son assistant, Pham Cong Thien, à quatre ans de prison pour avoir « détruit ou délibérément endommagé les biens d’autrui ». En effet, le groupe a détruit plus de 330 arbres, causant des dommages d’un total de 73,6 millions de VND (3 242 $ US) aux récoltes de Hien, Thang et d’un troisième homme nommé Trieu Phu Cao.
Le tribunal a estimé que les deux responsables de la société avaient violé la loi en « rassemblant » un groupe d’employés de Long Son pour s’emparer du terrain par la force, même, si celui-ci leur avait été attribué.
Pétition en ligne
Le jugement a été rendu dans une atmosphère houleuse de cris et de larmes. La police a dû intervenir pour maintenir le calme. La sentence a suscité un choc et de la colère parmi la population. Une pétition mise en ligne réclamant au président de la république Tran Dai Quang et à la Cour suprême d’entreprendre un « examen sérieux » du verdict à l’encontre de Hien avait, dès le 8 janvier, réuni 400 signatures dont celles de cinq ONG [2]. Un journaliste indépendant basé à Nha Trang, Vo Van Tao, déclarait au service vietnamien de Radio Free Asia que l’incident de Dak Nong avait « suscité la colère et un choc parmi le public ».
« Quand j’ai reçu la pétition demandant à l’Etat de reconsidérer le verdict, je l’ai immédiatement signée, puis je l’ai postée sur ma page Facebook, et j’ai contacté des intellectuels que je connais dans le pays et à l’étranger pour me rejoindre ».
« Nous partageons la même opinion, nous pensons tous que cette sentence est extrêmement injuste. »
Beaucoup d’observateurs, notent que l’agriculteur s’est trouvé dans l’obligation de défendre ses terres face aux actions délictueuses de l’entreprise Long. Il aurait dû être jugé pour « meurtre provoqué » en vertu de l’article 95 du Code pénal vietnamien, qui prévoit une peine d’emprisonnement maximale de sept ans.
Les signataires en tant que citoyens vietnamiens, « exigent justice du gouvernement ». La pétition allègue également que le système juridique et les organismes chargés de l’application de la loi ne protègent pas les citoyens et qu’ils sont plutôt des « outils utilisés par des groupes d’intérêts spéciaux » pour priver les gens de leurs terres. La société sera « instable et chaotique » quand les gens ne feront plus confiance au gouvernement pour agir dans leur intérêt ajoutent-ils.
Les litiges fonciers restent la principale source de protestations au Vietnam. Selon les médias, 70% des plaintes déposées contre le gouvernement en 2012 constituent le principal motif de plainte des citoyens vietnamiens, a déclaré le Premier ministre Nguyen Xuan Phuc lors d’une réunion.
Dominique Foulon
Carnets du Viêt Nam