À première vue, quoi de mieux que cette manifestation d’appui aux infirmières organisée par QS à Montréal le 24 février prochain, et quoi de mieux que d’avoir pu s’insérer avec habileté dans la lutte contre la réforme Barette en lançant une pétition rassembleuse et massive, exigeant la démission de l’arrogant ministre de la santé.
Il n’en demeure pas moins que bien des interrogations de fond ont pu surgir à ce propos, surtout lorsqu’on s’arrête au type de stratégie actuellement privilégiée par QS, et qu’on relie l’organisation de cette manifestation du 24, au plan d’action mis en branle par QS le 18 février dernier, à l’occasion du lancement, via « la plateforme internet mouvement », de la campagne électorale de QS 2018.
De quoi s’agit-il ? En fait de rien de moins que de l’orientation stratégique que cherche à se donner QS pour les prochains mois ; une orientation stratégique dont finalement on a peu parlé jusqu’à présent au sein du parti, mais dont on commence à voir peu à peu se profiler la substance sous l’appelation suivante : la stratégie du « parti mouvement ».
La stratégie du parti-mouvement ?
Il est vrai qu’à QS, on a tendance à être marqué par le pragmatisme et par conséquent par la volonté de voir « de facto » ce qui peut marcher ou fonctionner avant d’en faire la théorie ou de réfléchir à tout ce que cette idée pourrait impliquer de positif ou de négatif. Et dans la conjoncture actuelle, alors que les avancées néolibérales sont si nombreuses et que les mouvements sociaux semblent tellement sur la défensive, il peut paraître tout à fait séduisant de voir dans la mobilisation solidaire et dans son organisation énergique sur le terrain, la clef qui permettrait de débloquer la situation dans laquelle les forces de gauche peuvent se trouver au Québec, en particulier à la veille des élections provinciales de 2018. D’autant plus si l’on imagine que QS doit pouvoir être tout à la fois « un parti des urnes et de la rue [1] », c’est-à-dire un parti qui ne trouve pas uniquement sa force au parlement, mais aussi à travers les luttes des divers mouvements sociaux.
Peut-on pour autant en rester à QS à de telles généralités, aussi nobles soient-elles par ailleurs ? Pas si sûr ! Car on doit aussi pouvoir se donner les moyens de définir précisément en même temps à quel type de mobilisation on veut participer et surtout autour de quelles idées phares (de revendications clef), on veut le faire. Et sur ces deux points, il faut le dire, on n’a guère pour l’instant de réponses disponibles à se mettre sous la dent.
À quel type de mobilisation sociale veut-on participer ?
À moins, justement , de faire appel à l’idée de « parti-mouvement », une idée qui pourtant est loin d’être aussi évidente qu’il n’y paraît, surtout lorsqu’on s’arrête à certains des résultats qu’elle donne, en particulier en France à travers l’expérience de la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon. On en connait le principe : puisque les mobilisations sociales semblent à l’heure actuelle, dans la période que nous connaissons, plutôt piquer du nez, eh bien ce sera à partir du parti (de QS donc) qu’on va les prendre en charge, en se transformant en un mouvement susceptible d’influer, par sa présence et son activité, sur tel ou tel enjeu politique ou social donné. Par exemple en organisant à partir de QS une manifestation d’appui aux infirmières, et en cherchant à rassembler le maximum de gens autour de cette initiative mobilisatrice ! Apparemment rien de mieux, de plus juste, etc... sauf que cette belle initiative doit pouvoir s’insérer –si elle ne veut pas être substitutive ou encore donner l’impression d’être récupératrice ou encore sectaire et imposée de l’extérieur---- dans les dynamiques des mouvements sociaux réellement existants, en tenant donc compte de toutes leurs complexités, de leurs forces et faiblesses (les syndicats infirmiers, les associations de médecins, de malades, etc.) [2]. Car, en dernière analyse et compte tenu de la conjoncture dans laquelle nous nous trouvons, ce qu’il s’agit de stimuler, c’est le mouvement social depuis ses bases mêmes ; ce qu’il s’agit d’abord de faire avancer, c’est l’ensemble du mouvement social, en oeuvrant, chaque fois que cela est possible, à la réunification de ses forces déjà si fragmentées. D’où d’ailleurs l’idée de « front social de luttes » qui permet justement à cette diversité d’acteurs –non pas d’être gobée ou absorbée par un parti mouvement— mais au contraire d’être stimulée par lui, à la manière par exemple d’un chef d’orchestre rythmant dans une même mesure les efforts de tous et toutes. Pour l’instant, c’est là où a échoué la France insoumise, notamment dans sa lutte contre « la loi travail », en n’œuvrant qu’à une mobilisation partielle et sectaire autour de ses propres mots d’ordre, et en se montrant incapable de participer à la création, avec par exemple les syndicats les plus combatifs, d’un véritable front de lutte large et démocratique, seul capable de faire reculer le gouvernement Macron.
Autour de quelles idées phares, veut-on se mobiliser ?
Autour de quelles idées phares, veut-on se mobiliser ? Telle est la seconde question de fond qu’on aurait envie de se poser, après avoir suivi dimanche dernier le lancement de la campagne de QS. Car que nous propose-t-on pour l’instant ? De nous mobiliser « en suivant l’exemple de Bernie Sanders » (sic) et « en devenant un grand mouvement capable de canaliser, dans des actions concrètes, la colère des gens » (resic). Et de commencer à le faire en nous regroupant, par le biais d’internet et de « la plateforme mouvement », en participant à l’organisation de 4 grands rassemblements qui auront lieu dans les prochaines semaines : à Sherbrooke, à Québec, Rouyn Noranda et Montréal. Avec en principe comme perspective clef celle de « décentraliser le pouvoir politique », de « redonner du pouvoir aux gens » (sic). Sauf que là aussi, on oublie bien des médiations ou des nuances. Et d’abord le fait que « cette colère des gens », avant de lui trouver une forme organisationnelle, il faut d’abord être capable de lui donner des mots, de l’exprimer au travers de revendications phares, d’un projet de pays par exemple, d’une compréhension commune de la conjoncture qui puissent faire écho à cette colère souterraine qu’on sent à juste titre partout. Autrement dit, ce qui est premier –et cela est particulièrement vrai pour l’expérience Sanders quand on en fait l’analyse— ce n’est pas l’organisation technique (la plateforme internet), c’est le message politique et les formidables aspirations au changement que Bernie Sanders a su catalyser (notamment à travers quelques revendications clefs), l’organisation internet ne venant que renforcer, démultiplier la force de ce message initial [3]. Or ce qui fait problème dans ce début de campagne de QS, c’est justement que l’effort ne paraît être mis que sur l’organisationnel, mais pas sur le message, pas sur les revendications que l’on devrait privilégier, pas sur la vision politique que l’on devrait partager dans cette période pré-électorale (et discuter en délibérant ensemble à son propos). Donnant ainsi l’impression –une impression malheureuse et bien évidemment fausse— que l’on ne fait appel aux militants que pour les jobs de bras et d’organisation (les téléphones à faire), que pour donner forme à de grands et impressionnants rassemblements dont on ne nous fait pas apparaître la matière première, le contenu, le message politique qui devrait pourtant être notre vrai fil d’Ariane.
Bien sûr, il ne s’agit là que d’impressions, de premières réflexions, en sachant que QS est un parti en processus, un parti qui avance à tâtons aussi, et qui cherche. Puisse-t-il dans les prochains jours nous aider à apporter quelques lumières à toutes ces interrogations !
Pierre Mouterde