Alors que la scène politique grecque est en proie à la fièvre des rassemblements et de la zizanie entre alliés au gouvernement (Syriza et Anel), à l’arrière-plan la question du nom de l’ARYM [1] est un épisode supplémentaire du conflit entre l’OTAN et la Russie, chacun cherchant à accroître son influence sur l’ensemble de la région. Nous abordons ci-dessous la question de savoir « à qui appartient la Macédoine ».
La question du nom de la Macédoine, un attrape-gogos des néonazis de l’Aube Dorée, selon le dessinateur Michalis Kountouris, efsyn.gr
À qui appartiennent les Balkans ?
Les discussions-négociations sur la « question macédonienne » se déroulent à la fois sur les plans international et intérieur. D’une part, le gouvernement se traîne dans une négociation pour satisfaire encore une fois une consigne des USA, en essayant de prouver que la Grèce peut être le gardien approprié des intérêts US dans les Balkans. La première « épreuve » est la question de l’ancienne république yougoslave de Macédoine : Pour une grande partie de la société grecque, cette question tourne autour de son nom, pour les USA, autour de l’adhésion rapide et harmonieuse de ce petit État à l’OTAN.
Le deuxième niveau, qui à première vue n’a pas grand-chose à voir avec le premier (pour lequel la ligne est fixée d’avance) est le niveau de la politique intérieure, ou politicienne. Depuis des semaines, et encore plus intensément après le rassemblement de Thessalonique, les partis, et principalement la Nouvelle Démocratie (ND) se sont engagés dans une série de manœuvres politiques et de prises de position, chacun avec ses propres objectifs. Au premier plan de l’actualité figurent les relations entre les deux partis alliés au gouvernement, les deux éléments (centre droit et extrême droite) qui constituent la ND et, comme de coutume dans les grandes affaires politiques, des scénarios d’élections anticipées sur la « question de la Macédoine ».
Dans le climat d’instabilité générale, caractérisé par une avalanche de déclarations et les tensions internes de ces jours derniers, quelques points apparemment incontournables, connus de tous ou tenus secrets, déterminent les événements :
« La Macédoine est grecque », proclame une poupée portant un casque de soldat d’Alexandre dans une devanture de magasin à Thessalonique, le 21 janvier 2018. Photo : Konstantinos Tsakalidis / SOOC
Point 1 : La « question macédonienne » ne déclenchera pas d’élections anticipées
La question du nom de la Macédoine a généré des conflits directs et indirects, à l’intérieur du gouvernement, entre les représentants de l’aile « gauche » de SYRIZA [2], comme Panos Skourlétis et Nikos Filis, et l’extrême-droite de l’ANEL, (Dimitris Kamménos, Christos Katsikis). Le ministre de la Défense et président de l’ANEL, Panos Kamménos, a déjà affirmé à plusieurs reprises qu’il ne voterait pas une proposition de nom composé où figure le terme « Macédoine ». Cette image alimente des conjectures sur la perte de cohésion de la majorité gouvernementale et donc sur l’éventualité d’élections anticipées. Il semble cependant que ces appréciations soient trop hâtives et trop simplistes.
Nos sources rejettent cette éventualité et font état d’un « accord » entre Tsipras et Kamménos, qui prévoit que, dans le cas d’un vote de confiance, l’ANEL soutiendra le gouvernement. Ce n’est pas un hasard si, dans toutes leurs prises de position officielles, les membres de l’ANEL ne laissent entrevoir aucune sortie du gouvernement (à l’exception de Chris Katsikis, qui a menacé de démissionner de son mandat parlementaire). Thanassis Papachristopoulos par exemple, a clairement indiqué que le gouvernement n’a « pas une chance sur un milliard de tomber », tandis que Dimitris Kamménos, même quand il entre en conflit avec les députés de SYRIZA, ne laisse en rien envisager une fin possible de la coalition gouvernementale.
Lundi également, un reportage de Real [3] qui faisait état d’un éventuel retrait du gouvernement du ministre de la Défense, mais de son soutien dans le cas d’une motion de censure, a provoqué une réaction de sa part. Peu de temps après le démenti de la publication (« cette information est totalement infondée ») Kamménos a souligné dans ses déclarations que « les membres de l’ANEL exerceront loyalement leurs fonctions jusqu’au bout des 4 ans de l’ accord de gouvernement passé avec Tsipras ».
« Notre nom c’est notre âme »
Point 2 : La « question de la Macédoine » n’affole pas ANEL (apparemment)
Alors, les « cris » que poussent les cadres d’ANEL à propos du mot « Macédoine », sont-ils juste pour la galerie ? Peu ou prou. Dans le cas où les négociations atteindraient la phase finale, où l’accord devrait être adopté par la Chambre (ce n’est pas encore gagné), il n’est pas exclu que les députés ANEL votent contre. Ce ne sera pas un revers pour le gouvernement, qui saura suffisament à l’avance s’il peut obtenir le soutien de l’opposition. « Tsipras ne demandera pas au Parlement de voter sur un projet, à moins de savoir s’il a des chances d’être adopté », dit une source.
Par exemple, le nom de « Nova Macedonija », assorti d’amendements appropriés à la Constitution de l’État voisin accompagnés d’autres changements symboliques (par exemple, celui du nom de l’aéroport [4], ce à quoi s’est engagé le Premier ministre de Macédoine Zoran Zaev), pourrait être accepté par certains députés de l’opposition, ce qui permettrait au gouvernement d’atteindre un nombre satisfaisant de 180 « oui ». Le rejet pourrait également être accompagné par le retrait des ANEL des postes ministériels qu’ils occupent, ou même le retrait de Panos Kamménou du ministère de la Défense, ce qui pourrait être considéré comme « un geste symbolique. »
Comme les négociations avec la Macédoine est sont encore à un stade précoce, il est difficile d’écarter toute manœuvre politique de la part d’un parti qui est actuellement « assis entre deux chaises », clamant sur tous les tons qu’il n’accepte pas le terme « Macédoine », mais appporte néanmoins son soutien à une négociation autour de ce même terme (les cinq noms proposés par Nimetz [5]), décliné sans différence notable entre les variantes. Mais nous pouvons (et nous le pourrons encore plus facilement à mesure de la progression des pourparlers) nous faire une idée de l’ampleur de cette marge de manœuvre. Si la chute du gouvernement est exclue du scénario, le vote pour, le vote contre ou simplement le vote selon la conscience de chacun ne le sont pas.
Il est pas difficile d’imaginer la tactique de communication d’ANEL dans le cadre de ce scénario, dans le cas où l’accord sur le nouveau nom de l’ARYM ne lui conviendrait pas : « Nous avons voté contre, notre président a démissionné, que pouvons-nous faire de plus ? » Telle sera sa ligne de défense, le cas échéant.
Ensuite, en ce qui concerne le soutien d’ensemble au gouvernement, c’est ainsi que l’a décrit hier Thanasis Papachristopoulos (porte-parole des députés ANEL) : « Nous sommes également unis avec SYRIZA par la lutte contre la corruption, l’affairisme, la dictature médiatique et un système politique qui nous a amenés où nous en sommes aujourd’hui », a déclaré le parlementaire, entre autres choses.
La Grèce n’est pas à vendre, parce que le Christ l’a achetée
Point 3 : Le Palais Maximou veut organiser des élections en mai 2019
Dimanche, le président de l’Union des Centristes, Vassilis Leventis, a affirmé que lors de sa rencontre de samedi avec Alexis Tsipras, le Premier ministre lui a dit qu’il « a l’intention d’organiser des élections en mai 2019, » mais « sans rejeter l’éventualité d’élections anticipées précipitées par la question macédonienne ". Le cabinet du Premier ministre a répondu immédiatement par un communiqué infirmant la « bombe Leventis », l’accusant d’inventer des termes qui n’avaient jamais été prononcés par Alexis Tsipras. Cependant, la nouvelle de la rencontre entre Tsipras et Leventis, qu’avait révélée ce dernier, figurait... juste à côté.
« Peut-être que Leventis a tiré ses conclusions personnelles, mais il est sûr que le gouvernement projette d’organiser des élections en mai 2019 », note une source. « Et il y a beaucoup de raisons à cela. » La stratégie du Palais Maximou [6] signifie que les élections nationales se tiendront en même temps que les élections européennes, alors que le gouvernement aura tenu près de quatre ans (moins quatre mois).
En ce qui concerne les raisons de ce choix stratégique, procédons par étapes : « Jusqu’en août, ce n’est pas possible parce que les étrangers ne nous laisseront pas faire », ajoute la même source. Le gouvernement a tout investi dans la sortie du mémorandum - la troisième évaluation [7] s’est d’ailleurs conclue triomphalement pour lui (un nouveau député a même rejoint le groupe parlementaire de SYRIZA). Il serait absurde de la part du gouvernement d’en demander plus. On sait plus ou moins que depuis environ deux ans, depuis la première évaluation en 2016, on caresse parfois un projet d’élections anticipées dans le bureau du Premier ministre. À l’époque, ceux qui disaient le contraire semblaient être la minorité. Mais maintenant, les données ont changé. « Autrefois 3 personnes disaient que le gouvernement pourrait aller au bout des quatre ans de son mandat. Maintenant ils sont 50. Il semble peu probable que des élections aient lieu maintenant », selon des sources parlementaires.
À partir du mois de septembre, le moment sera venu pour le gouvernement de passer à la vitesse supérieure. Déjà dans les bureaux du parlement, on constate une certaine fébrilité dans la préparation de projets de loi comportant des « points positifs », qui « font la queue » pour être débattus à l’Assemblée, entre septembre de cette année et le début 2019. Ils seront suivis (c’est désormais habituel) du « cadeau » de Noël, le gouvernement essayant, comme il y a un mois, de compenser l’adoption d’un nouveau budget « post-memorandum », mais qui reste très mémorandaire (coupes dans les pensions de retraite – allègements d’impôts,) par quelques allocations et diverses sortes de « dividendes ».
Dans le climat « triomphal » qu’il espère susciter (en plus des félicitations des bailleurs de fonds qui s’ensuivront sans faute), le cabinet du Premier ministre considère que le printemps 2019 est le moment idéal pour tenter de renouveler le mandat du gouvernement. Avec, pour argument principal, la sortie des mémorandums, ce qui « aura justifié » les options suivies par le gouvernement à partir du second semestre 2015, et ensuite, ayant donné à l’appui quelques « échantillons » de ce que sera la « nouvelle ère », la question qu’il posera aux électeurs sera la suivante : « Qui voulez-vous voir aux commandes le jour suivant ? » Et contre la Nouvelle Démocratie de Kyriakos Mitsotakis, il n’est pas exclu que ce nouveau discours soit gagnant.
Mais revenons à l’ « affaire macédonienne » et, cette fois, à son importance internationale.
L’orthodoxie ou la mort
Point 4 : Ce sont les USA qui ont posé la question (et qui peuvent y répondre)
Dans ses propos tenus après le rassemblement de Thessalonique, le vice-président de ND, Adonis Georgiadis, a soutenu que « Tsipras a lancé cette affaire de la « Macédoine » pour créer des problèmes à la ND. » Ce point de vue, à savoir que le gouvernement a choisi d’ouvrir une question nationale pour détourner l’opinion publique des nouvelles mesures adoptées à l’occasion de la troisième évaluation, est un thème qui revient très souvent dans le débat public, mais qui relève d’une analyse très sommaire de la « question macédonienne ».
Mais le sujet a été mis à l’ordre du jour par la volonté des USA, qui veulent l’entrée immédiate de la Macédoine dans l’OTAN et ont exigé de la Grèce et de l’ARYM qu’elles résolvent leurs différends pour que ces pourparles d’adhésion puissent se poursuivre sans entrave. D’ailleurs, cette question du nom est la seule question non résolue qui se pose encore à la Macédoine avant son adhésion à l’Alliance atlantique, qu’on a apprise au sommet de Bucarest en 2008 (bien que, comme l’a été déclaré récemment Kotzias 9, la Grèce n’y ait pas opposé son « veto »).
Mais pourquoi l’OTAN désire-telle aussi « ardemment » l’adhésion d’un si petit pays doté d’une force militaire négligeable pour l’alliance ? À l’heure actuelle, l’OTAN se trouve dans une phase d’expansion et de « développement » pour la première fois depuis 2008, l’année où l’Albanie et la Croatie en sont devenues membres. Neuf ans plus tard, en juin de l’année dernière, le Monténégro, est devenue la première des nouvelles recrues de l’OTAN, et le but des USA est que l’ARYM, ou quel que soit son nom, devienne la suivante.
Le Monténégro est un exemple significatif de l’importance pour les USA de l’adhésion à l’OTAN d’un pays apparemment insignifiant sur le plan militaire. Avec un effectif militaire de seulement 2 080 personnes, il est devenu le deuxième plus petit pays de l’alliance, après le Luxembourg. Mais sa valeur pour les USA est à la fois stratégique et symbolique. Tout d’abord, par son adhésion, l’OTAN contrôle désormais l’ensemble de la côte Adriatique et ajoute encore à ses forces un allié en Europe de l’Est (ce qui signifie, le passage des troupes en cas de besoin, la possibilité d’implanter des bases, etc.). D’autre part, elle a réussi à obtenir l’adhésion à « l’Occident » d’un pays contrôlé essentiellement par les capitaux russes, et dont les habitants sont dans une large mesure hostiles à l’alliance atlantique, comme le note Bloomberg. En avril dernier, le sénateur républicain et ancien candidat à la présidence des USA, John McCain, notait l’importance de l’adhésion du Monténégro à l’OTAN pour le contrôle de l’influence russe et son isolement.
La Macédoine est un cas analogue, le dernier morceau du casse-tête dans le cadre des efforts de l’OTAN et des USA pour contrôler autant que possible les Balkans. La seule exception est la Serbie, qui a déclaré sa neutralité stratégique, mais, bien que souhaitant adhérer à l’UE, s’est tournée résolument vers la Russie ces derniers temps. Cela est devenu clair en décembre dernier, lors d’une rencontre à Moscou entre le président russe Vladimir Poutine et son homologue serbe, Aleksandar Vousits, mais déjà auparant, quand la Serbie a refusé d’appliquer les sanctions européennes contre la Russie. D’autre part, Moscou a exprimé son appui par son soutien à la position serbe sur le Kosovo, les investissements russes, la fourniture d’armes russes, etc.
Pour parler simplement, les USA et la Russie sont en concurrence pour le contrôle des Balkans en y recrutant des alliés, ce qui explique l’ordre donné par les premiers aux gouvernements de la Grèce et de l’ARYM de résoudre les questions en suspens entre elles pour que la Macédoine puisse se joindre à l’OTAN. La question est ici de savoir combien de temps les USA attendront pour qu’on parvienne à un accord et ce qui se passerait si les négociations restaient longtemps sans résultat.
Point 5 : La question sera résolue d’ici au mois de juin
Nos sources estiment que la date-limite fixée par les USA se situe vers mai - juin et ce n’ est pas un hasard si Nikos Kotzias [8] semble certain que la question « sera réglée d’ici au mois de Juin. »
C’est au cours de ces deux mois que sont prévus les sommets de l’UE et de l’OTAN, qui auront pour objectif d’entériner l’intégration des pays des Balkans occidentaux dans les deux organisations supranationales. Plus précisément, c’est le 17 mai qu’est prévu à Sofia le sommet de l’UE consacré aux Balkans occidentaux, tandis qu’une autre réunion aura lieu à Bruxelles les 28 et 29 juin. Quelques jours après, les 11 et12 juillet, est prévu le sommet des pays de l’OTAN, qui aura pour objectif, entre autres, de ratifier l’entrée de l’ARYM (sous son nouveau nom) dans l’Alliance. Il est clair que ce ne sont pas la Grèce et l’ARYM qui fixeront le calendrier, pressés qu’elless sont de trouver une solution qui serve les intérêts de l’UE et en particulier de l’OTAN dans la région.
La question, bien sûr, est de savoir ce qui se passera si les discussions volent en éclats. Alors, on estime que le temps d’un compromis sera passé, et que les USA régleront la question unilatéralement. « La question du transfert de l’ambassade US à Jérusalem montre que l’administration Trump n’hésite pas à recourir à leurs propres « solutions ». « Et là nous parlons d’un problème qui concerne toute la planète », disent les mêmes sources.
« Ton histoire commence dans les maquis et finit dans le merdier nationaliste de la Place Syntagma » : graffiti anarchiste sur la maison de Mikis Theodorakis à la veille de sa participation au rassemblement nationaliste du 4 février à Athènes. Photo Nikos Christofakis / SOOC
Point 6 : La Grèce, “ Israël des Balkans ” ?
Les pourparlers gréco-macédoniens reposent sur des équilibres très fragiles, chaque pays devant répondre à un certain nombre de questions : les « lignes ethniques », les réactions locales que provoquerait un compromis, et l’acteur US qui pousse à la roue pour obtenir une solution immédiate. Du côté de la Macédoine l’existence même de l’État peut être menacée, car celui-ci reste fragile dans un pays où 35% de la population est constitué de minorités (la plus importante étant la minorité albanaise qui représente 25% de la population selon le recensement de 2002). Ce n’est pas un hasard si le pays voisin, pour qui veut l’entendre, se prévaut avec tant de persévérance et de vigueur de ses liens « avec les anciens Macédoniens et Alexandre le Grand. » Pour un État en recherche d’une identité nationale et dépourvu des autres éléments essentiels qui la constituent, comme une religion dominante (65% de chrétiens - 35% de musulmans) ou une langue (il y a de nombreuses langues minoritaires), une telle démarche semble parfaitement logique afin d’assurer sa cohésion.
Pour la Grèce, l’important est ailleurs. Comme on l’a vu dans d’autres occasions, comme lors de la rencontre entre Tsipras et Trump, le développement de bases US comme à Souda [9], les accords militaires entre États et la vente d’armes à des pays comme l’Arabie saoudite, le gouvernement SYRIZA - ANEL a fait un choix radical en matière de politique étrangère : complet alignement et servilité à l’égard des intérêts US. Ces gestes, ou encore cette « soumission » aux USA, comme certains les qualifient, sont souvent interprétés comme un sacrifice dans le but d’obtenir l’aide US sur la question de la dette grecque. Mais cela ne marche pas, ou du moins ça ne marche plus. « On admet généralement que la question de la dette est l’affaire des Européens », souligne une de nos sources. « Ce que veut le gouvernement en échange, c’est être reconnu comme un leader dans les Balkans, le « pilier de la stabilité ». Et aussi, que les investissements US, les capitaux qui passeront par le système bancaire grec soient dirigés vers la Grèce et les Balkans » , estime également cette source.
Le terme « leader » (qui signifie en réalité contremaître) peut sembler étrange pour la Grèce des mémorandums, mais il a une explication. « Quel que soit l’état actuel du pays, le PIB de la Grèce est équivalent à celui de l’ensemble des autres pays des Balkans, elle est dans la zone euro et de plus, 70% de sa législation ont été écrits par les Européens. Comme les USA veulent s’impliquer davantage dans les Balkans, le gouvernement veut jouer le rôle de l’« Israël des Balkans », c’est à dire, être pour les USAméricains ce qu’est Israël au Moyen-Orient, toutes proportions gardées ».
Dans une interview sur Sky mardi 30 janvier, l’ambassadeur US en Grèce, Geoffrey Pyatt [10] a confirmé pour l’essentiel, bien qu’en langage diplomatique, ce qui est dit ci-dessus. Il a décrit la Grèce comme un « pilier de la stabilité » », a lancé des piques à propos de l’ingérence de la Russie, par l’intermédiaire d’Ivan Savvidis, dans le port de Thessalonique ; il a pris position pour le pays dans les relations greco-turques, a également évoqué la « « volonté commune » de favoriser l’intégration des pays des Balkans dans l’UE et l’OTAN, ainsi que l’intérêt US pour le port d’Alexandroúpoli. [11]
Avec l’« affaire macédonienne », la capacité de la Grèce à résoudre les crises dans les Balkans comme le souhaitent les USA est mise à l’épreuve. La consigne qu’ont donnée les US aux pays balkaniques qui appartiennent à leur sphère d’influence paraît claire : régler leurs différends, pour servir efficacement les intérêts US. Ce n’est pas un hasard si, en plus de la question de la Macédoine, il y a également des pourparlers avec l’Albanie, à propos de l’ouverture, ces jours-ci, d’un chantier de recherche et d’exhumation des ossements des Grecs tombés lors de la guerre gréco-italienne de 1940-1941.
Il est très facile de ne voir dans les rebondissements de l’affaire du nom de la Macédoine une sorte de thriller politique : les conflits entre les dirigeants de SYRIZA et d’ANEL, les déclarations des officiels (souvent destinées à leur propre chapelle afin de « provoquer une accélération » et des « bouleversements » dans la négociation) et les intérêts politiciens favorisent cette lecture sommaire. Pourtant, derrière tout cela, la question du nom n’est guère qu’un pion sur l’échiquier international et dans les conflits d’intérêts entre l’UE/ OTAN et la Russie.
Puisque la question restera d’actualité dans les mois à venir, il faudrait peut-être, non seulement se demander « à qui appartient la Macédoine », mais aussi réfléchir au fait que la bataille se déroule maintenant à l’échelle internationale sur le thème « à qui appartiendront les Balkans »
Thanos Kamilalis Θάνος Καμήλαλης
« Paix dans les Balkans - Guerre au fascisme et à l’impérialisme » : contre-manifestants lors du rassemblement « La Macédoine, c’est la Grèce » le 4 février à Athènes. Photo George Vitsaras / SOOC
NdT
1- Indépendante depuis 1991, la Macédoine ou République de Macédoine a été admise à l’ONU sous le nom d’Ancienne république yougoslave (ARYM en français, FYROM pour les anglophones) suite à la plainte de la Grèce qui revendique le nom de « Macédoine » pour sa région septentrionale dont la capitale est Thessalonique
2- Συνασπισμός Ριζοσπαστικής Αριστεράς / Synaspismós Rizospastikís Aristerás, soit « Coalition de la gauche radicale »), parti du Premier ministre Alexis Tsipras ; ANEL, en français Grecs indépendants, parti de la droite souverainiste, membre de la coalition qui gouverne la Grèce avec SYRIZA
4 - Real.gr, site d’informations grec en ligne
5 - La Macédoine ex-yougoslave a baptisé son principal aéroport international du nom d’Alexandre le Grand
6 - Matthew Nimetz, médiateur des Nations Unies chargé de superviser les négociations
7 - Palais Maximou ou Villa Maximos : résidence et siège du cabinet du Premier ministre
8 - Troisième évaluation : le troisième réexamen par les ministres des Finances de la zone euro du programme d’ajustement économique de 86 milliards d’euros, ouvrant la voie au déboursement d’une nouvelle tranche d’aide (financière) à partir de la deuxième quinzaine du mois de février
9 - Nikos Kotzias, ministre grec des Affaires étrangères
10 - Souda : base navale d’importance majeure située en Crète, près de la ville de La Canée. Elle est utilisée à la fois par la Marine grecque et par l’OTAN
11 -Voir son interview sur la chaîne de télévision grecque Sky le 30/01/2018. En anglais avec sous-titres grecs : https://www.youtube.com/watch?v=J-gh3mM3prc
12 - Alexandroupoli (ville d’Alexandre) : ville côtière et port important de Thrace, située à quelques kilomètres de la frontière turque, qui permet le contrôle du nord de la mer Egée tandis que Souda en contrôle le sud.