Socialement et politiquement les femmes iraniennes ont été les premières victimes de l’installation d’un régime clérical islamique en Iran. Khomeiny, même en exil, avait exclu de déroger aux règles de la charia islamique concernant, entre autres, l’interdiction faite aux femmes d’occuper les postes de responsabilités juridiques.
La tendance à marginaliser socialement les femmes ne date pas de l’ère Khomeiny.
Le clergé en Iran a toujours joué un rôle de premier plan dans l’opposition à tout progrès de la condition des femmes.
Depuis la Révolution constitutionnelle de 1906 jusqu’à la prise du pouvoir par le clergé en 1979, celui-ci n’a pas cessé de combattre les avancées relatives aux droits des femmes.
En ce qui concerne Khomeiny, sa protestation contre le régime du Chah au moment de la réforme agraire (1963) était avant tout une opposition aux nouveaux droits accordés aux femmes par le régime monarchique.
Concernant les droits des femmes, on peut ainsi résumer les grandes lignes de l’idéologie des ayatollahs chiites iraniens :
– Dans leur vision du monde, les droits des femmes ne sont pas déterminés par les êtres humains et les conditions sociales d’une période déterminée, mais par leur « place naturelle et définie par Dieu ».
– Le rôle social de la femme est d’être avant tout une épouse soumise à l’homme qui garantit son pain quotidien.
– Le devoir sacré de la femme est la reproduction, et donc de mettre au monde des enfants.
– Le slogan favori des ayatollahs est « Le paradis est sous les pieds des mères ! ». Être femme et mère au foyer est le « travail divin » accordé aux femmes !
– Dans cette vision du monde, les hommes ont le pouvoir de « mettre fin au contrat » de mariage quand ils le souhaitent.
En bref pour eux, l’inégalité est dans l’ordre naturel et divin des rapports entre les humains et, selon la volonté divine, les femmes sont inférieures aux hommes en droit.
Cela dit, il faut noter que le regard paternaliste et misogyne de la société iranienne ne date pas du régime islamique.
– Le Chah lui-même était un exemple flagrant de misogynie en son temps.
Il l’avait assumé ouvertement dans un célèbre entretien dévastateur avec Oriana Fallaci, en 1973, dans lequel il explique que les femmes sont à peine bonnes pour la cuisine et incapables de grandes prouesses.
– Une autre histoire montre la domination masculine à cette époque : au milieu des années 70, la sénatrice Mehranguiz Manouchehrian avait proposé d’éliminer l’obligation pour les femmes mariées d’obtenir l’autorisation de leur mari pour sortir du territoire.
Non seulement cette demande a été violement rejeté, mais Mme Manouchehrian a été forcée de démissionner.
Les femmes, tout « naturellement », ont été les premières victimes de l’établissement du régime islamique en Iran, et cela s’est notamment traduit dans le monde du travail.
Pour mieux comprendre ce phénomène il faut comparer les statistiques du régime monarchique et ceux du régime islamique.
Nous disposons de trois statistiques concernant la période monarchique : les recensements des années 1956, 1966 et 1976 :
– En 1956, 9,2 % des femmes travaillaient et la part du travail féminin était de 9,7 % de la population active.
– En 1966, 12,6 % des femmes travaillaient et la part du travail féminin était de 14,5 % de la population active.
– En 1976, 12,9 % des femmes travaillaient et la part du travail féminin était de 14,8 % de la population active. La population des femmes et des filles de plus de 10 ans s’élèvait à 11,236 millions.
Il faut souligner qu’en 1976 les femmes avaient une participation très active dans le monde du travail, et plus jamais ce pourcentage n’a été atteint contrairement à la propagande officielle du régime islamique.
Malheureusement, ces statistiques ne comportent pas de chiffres précis concernant la répartition de cette force du travail féminine entre les différents secteurs.
Mais nous disposons des divers rapports qui donnent un aperçu assez clair : 50 % de ces travailleuses sont employées dans la production dont 2,59 % dans le secteur agricole, 7,40 % dans la grande industrie et 12,77 % dans les services.
Le reste d’entre elles sont actives dans le travail non couvert par le Code du travail, comme le travail domestique.
Mohammad Sodagar, un des rares chercheurs qui s’est occupé de ce problème résume la situation comme suit :
« Les femmes ont accès à des postes techniques, professionnels, commerciaux et bureautiques. Très peu obtiennent des postes de responsabilités commer- ciales et administratives.
En général les travailleuses subissent la double pression du système capitaliste et de l’ordre patriarcal. Elles forment la majorité des démunis de la société.
La plupart des emplois offerts aux travailleuses sont très peu payés et considérés comme très dévalorisants. La quasi-totalité des tisseurs de tapis et des travailleurs de services de nettoyages privés et publics sont des femmes.
Et même si, selon la loi, payer des salaires moindres pour les femmes est interdit, à travail égal il existe une énorme différence de salaire, de primes de d’augmentation de salaires entre les hommes et les femmes. » (1)
En ce qui concerne le régime islamique, nous disposons de deux recensements datant de 1986 et 2000. D’après des études récentes, la situation des femmes ne s’est pas améliorée depuis.
Les femmes étaient 164,4 millions en 1976 et 24,1 millions en 1986. La part du travail féminin dans la population active était de 10,20 %.
Selon ces statistiques, entre 1976 et 1986 la part des travailleuses dans le secteur public a baissé de 14,70 % à 11,8 % et dans le secteur privé de 13,50 % à 7 %. Dans la grande industrie, la part de travail des travailleuses est passé de 10,50 % avant 1979, à 3,9 % après 1979.
Pendant cette décennie, 428 000 travailleurs ont perdu leurs emplois dont 419 000 dans le textile, l’habillement et la corroierie. C’est-à-dire que sur les 428 000 travailleurs devenus chômeurs il y avait 240 000 travailleuses, ce qui est absolument disproportionné par rapport à la proportion du travail féminin dans l’ensemble du monde du travail. Cela ne peut être expliqué que par une politique volontairement hostile aux femmes.
La distribution dans différents secteurs est la suivante :
– 50 % des femmes travaillent dans les services,
– 16,60 % dans l’agriculture,
– 13,03 % dans l’industrie,
– 27 % dans le bâtiment.
Durant cette période, un changement significatif s’est opéré dans le secteur des services : la part des travailleuses est passée de 20 % en 1975 à 42 % en 1996. Cette augmentation de part du travail féminin dans un régime islamique qui tente de pousser les femmes « vers la cuisine », s’explique en partie par le résultat paradoxal d’une politique sexiste de séparation des hommes et des femmes dans les écoles et les hôpitaux : cette politique implique nécessairement l’embauche de femmes pour s’occuper des filles et des femmes dans ces domaines et ainsi empêcher les contacts avec les hommes.
Les raisons de cette baisse évidente de la force de travail féminin pendant la première décennie du règne de la république islamique peuvent être résumées comme suit :
– interdiction formelle d’embauche des femmes dans certains établissements comme l’Organisation des Industries nationales,
– incitation de départ à la retraite volontaire des femmes en offrant la possibi- lité d’acquisition d’années de cotisations,
– fermetures des crèches dans certains établissements publics,
– séparation des ateliers de travail féminin et masculin, et réduction du nombre d’ateliers féminins,
– propagande intense sur le « rôle sacré » des femmes en tant que mère et encouragement explicite au « retour des femmes au foyer »,
– proposition de postes à mi-temps aux travailleuses,
– licenciement pure et simple des femmes travailleuses,
– récession économique et conditions exceptionnelles provoquées par la guerre.
Des études très sérieuses menées par des spécialistes montrent que les femmes iraniennes ont résisté et n’ont pas cédé devant les tentatives de mise à l’écart et les intimidations directes et indirectes du régime (2)
Mais l’islamisation de la société laisse ses empreintes sur le travail féminin. Ainsi ce travail est concentré dans les secteurs des services, de l’éducation et de la santé.
De plus, comme on l’a déjà vu, le nombre de femmes fonctionnaires a augmenté afin de rendre possible la politique sexiste généralisée concernant la séparation des femmes et des hommes dans les établissements publics.
Le corollaire de cette situation est la baisse du taux du travail féminin dans le secteur privé.
Le seul point dans lequel le régime islamique peut se vanter d’avoir dépassé le régime monarchique est le taux d’alphabétisation et le niveau des études des femmes.
La part des femmes ayant fait des études secondaires et supérieures qui était de 18,5 % à l’époque monarchiste (1977) est passée à 43 % en 1997.
En 2006- 2007, 52,4 % des étudiants étaient des femmes. (3)
Le régime islamique leur barre néanmoins l’accès au marché du travail. Pas étonnant que dans ces conditions les femmes ayant fait des études constituent l’épine dorsale du mouvement féministe en Iran.
Ces mêmes études montrent que les travailleuses iraniennes tout en étant, comme les hommes, sous la coupe du régime islamo-capitaliste souffrent des inégalités suivantes :
– salaire inférieur à travail égal,
– concentration dans des cercles limités du monde du travail,
– participation inégale dans les processus décisionnels,
– des critères d’embauches inégaux,
– des possibilités inégales de formation et de spécialisation,
– accès inégal aux ressources de production,
– possibilité inégale de promotion professionnelle.
Un exemple montre le degré de la résistance du régime islamique concernant les parités hommes-femmes au travail.
Après de longues campagnes, une loi est votée en 1993, c’est-à-dire 24 ans après la prise du pouvoir par les ayatollahs, concernant « les minima et maxima des salaires pour les hommes et les femmes mariés avec enfant » embauchés dans les établissements publics, sans distinction de sexe.
Mais cela veut dire que c’est une parité seulement pour une partie des femmes travailleuses : celles qui sont dans le secteur public et uniquement celles qui ont des enfants ! Pour les autres qui sont sans enfant ou dans le secteur privé ? Désolé il n’y a rien prévu pour vous..
* Article écrit avec la collaboration d’Annick Coupé et d’Alain Baron (Union syndicale Solidaires).
Behrooz Farahany est un des animateurs de l’association SSTI
www.iran-echo.com
Bibliographie :
Marie Ladier-Fouladi, « Iran, un monde de paradoxes » (Atalante, 2009).
Notes :
1. Extrait de M. Sodagar « Développement du capitalisme en Iran », tome II, page 673 (en persan).
2. Voir l’excellent article de G. Sepidroudi et H. Mohseni dans « Inégalités sexuelle dans la classe ouvrière iranienne » (2004).
3. Marie Ladier-Fouladi : « Iran, un monde de paradoxes », p. 63 (Atalante, 2009).