Un congrès du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) recèle toujours son lot de scènes inattendues, parfois à la limite du vaudeville, qui disent mieux que de longs discours quels sont les rapports de force du moment au sein de cette formation qui ne manque jamais d’étaler ses divisions avec un sens aigu de la théâtralité.
Il en fut à nouveau ainsi, samedi 2 décembre, à Hanovre (Basse-Saxe). Pour tout dire, la journée avait commencé calmement. Deux mois après son succès aux élections législatives du 24 septembre (12,6 % des voix, 92 députés), l’AfD avait certes attiré bon nombre d’opposants. En début de matinée, plusieurs centaines de personnes avaient ainsi tenté de bloquer l’accès au centre des congrès, avant que les forces de l’ordre ne fassent usage de canons à eau pour libérer l’entrée.
Mais à l’intérieur du bâtiment, coupé du reste de la ville par de multiples barrages de policiers, les quelque 600 délégués du parti s’étaient mis sagement au travail, discutant pendant des heures du déroulé de l’ordre du jour, enchaînant motion de procédure sur motion de procédure. A la tribune, les dirigeants du parti avaient du mal à masquer leur ennui. Et, dans l’espace réservé à la presse, les journalistes trouvaient le temps bien long.
Qui pour remplacer Frauke Petry ?
Et puis est venu le moment d’élire les deux porte-parole du parti, puisque c’est le titre officiel du duo qui, statutairement, officie à la tête de l’AfD. Pour le premier, ce fut une formalité. En fonction depuis 2015, Jörg Meuthen, un économiste du Bade-Wurtemberg sans charisme a été réélu d’autant plus facilement que son seul adversaire, un militant de base venu de Nuremberg, a retiré sa candidature à la dernière seconde après l’avoir péniblement défendue à la tribune dans un brouhaha devenu gênant.
Pour le second poste de porte-parole, beaucoup pensèrent aussi que ce serait vite plié. Il s’agissait de remplacer Frauke Petry, celle qui avait codirigé l’AfD avec Jörg Meuthen depuis deux ans au point de le faire oublier, mais qui, moins de vingt-quatre heures après son élection au Bundestag, avait pris tout le monde de court en annonçant, en pleine de conférence de presse, qu’elle ne siégerait pas avec ses camarades, avant de quitter le parti le lendemain.
Qui pour remplacer Frauke Petry ? Afin de respecter les équilibres internes, l’idée était que lui succède quelqu’un défendant sa ligne, ou du moins celle qui était la sienne au moment de son départ. Elue porte-parole, à l’été 2015, sur une ligne radicale, violemment anti-islam et anti-immigration, Mme Petry s’était en effet découvert, ces derniers mois, un certain goût pour la modération. C’est pour cela, avait-elle expliqué en septembre, qu’elle avait décidé de quitter l’AfD, regrettant qu’il soit devenu un « parti d’opposition » ayant oublié qu’il avait « vocation à gouverner ».
La princesse qu’on n’attendait pas
Cette ligne, samedi, un homme était décidé à l’incarner. Son nom : Georg Pazderski, responsable de l’AfD à Berlin, un ancien colonel de la Bundeswehr moins raide dans ses idées que dans ses gestes : pour lui, comme il l’a expliqué à la tribune, le parti doit « se préparer pour le jour J » à participer à une coalition, « à moyen ou long terme ».
Au moment du vote, M. Pazderski semblait avoir toutes les chances de l’emporter sur sa seule adversaire, la princesse Doris von Sayn-Wittgenstein, une responsable de l’AfD du Schleswig-Holstein, parfaitement inconnue au-delà de cette petite région coincée entre la mer du Nord et la mer Baltique, et qui avait surpris tout le monde en se portant candidate à la dernière minute.
Or le résultat fut cruel pour le colonel : 47,3 % des voix, contre 49,4 % pour la princesse. Dans la salle, la stupeur fut d’autant plus grande que chacun comprit aussitôt que la gagnante avait été soutenue par toute l’aile droite du parti. « Je ne pense pas que nous devions proposer des coalitions à d’autres, je pense que ce sont les autres qui doivent venir nous supplier pour faire des coalitions », avait-elle dit en présentant sa candidature. La phrase était trop belle pour avoir été improvisée. Tout cela semblait l’opération préparée d’avance. Contre Pazderski, contre le fantôme de Petry, contre les modérés…
Sentant la combine, ceux-ci redemandèrent un vote. Et là, nouveau coup de théâtre : cette fois, c’est le colonel qui arriva en tête, et la princesse derrière. Confusion générale. Jusqu’à ce qu’un homme prenne la parole et demande une pause d’une demi-heure pour apaiser les esprits : Alexander Gauland, le vice-président du groupe parlementaire.
La victoire de Gauland le provocateur
A la reprise de la séance, celui-ci annonça qu’il était finalement candidat au second poste de porte-parole. « Ce n’est pas ce que je cherchais mais le destin en a décidé autrement et mes amis m’ont convaincu d’y aller », assura-t-il. Pris de court, le colonel Pazderski jeta l’éponge. Dans la seconde qui suivit, la princesse von Sayn-Wittgenstein fit de même. Et c’est ainsi que M. Gauland fut élu au fauteuil laissé vacant par Mme Petry.
Avec lui, c’est un représentant de la droite dure du parti qui accède à la tête de l’AfD. Ancien de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), où il a passé quarante ans, cet amateur de vestes de tweed à l’anglaise est un habitué des provocations. Pendant la campagne des législatives, il avait appelé à se « débarrasser en Anatolie » d’Aydan Özoguz, la secrétaire d’Etat à l’intégration, une dirigeante sociale-démocrate d’origine turque, à cause de propos qu’elle avait tenus sur la culture allemande. Expliquant, à propos de la période 1933-1945, qu’il fallait « cesser de nous reprocher ces douze années », il avait créé la polémique, une semaine avant le scrutin, en saluant les « accomplissements des soldats allemands pendant les deux guerres mondiales ». Et le soir de l’élection, il n’avait pas manqué de rappeler le but de l’AfD : « faire la chasse à Merkel ».
Même s’il n’appartient pas à la frange la plus extrême de l’AfD, M. Gauland est apprécié de celle-ci. Elu du Brandebourg, il passe pour un défenseur de cette AfD de l’ex-Allemagne de l’Est, dont les représentants sont souvent beaucoup plus radicaux que ceux de l’Ouest. Ainsi de Björn Höcke, responsable de l’AfD de Thuringe « Nous, Allemands, sommes le seul peuple au monde ayant planté au cœur de sa capitale un monument de la honte », avait déclaré ce dernier, en janvier, au sujet du mémorial construit à Berlin en hommage aux juifs assassinés pendant la guerre, avant de plaider pour que l’Allemagne opère « un virage à 180 degrés » dans son rapport au passé. A l’époque, M. Gauland l’avait défendu. Contre Mme Petry et M. Pazderski, qui étaient partisans de l’exclure.
Thomas Wieder (Hanovre (Basse-Saxe), envoyé spécial)