Dans la lutte contre le réchauffement climatique, l’accord de Paris, adopté à l’issue de la COP 21 en décembre 2015, désormais signé par 192 pays et ratifié par 92 d’entre eux, marquait une étape importante des négociations climatiques, en devenant le premier accord international destiné à baisser les émissions humaines de gaz à effet de serre (GES).
Mais à la veille de l’entrée en vigueur du texte et à quelques jours de l’ouverture de la COP 22 de Marrakech, les chiffres publiés par le PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) ce jeudi 3 novembre viennent sèchement rappeler que l’objectif principal de l’accord, à savoir limiter le réchauffement climatique « bien en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels », est très loin d’être atteignable en l’état.
Le rapport « emissions gap » du PNUE publié chaque année constitue un état des lieux le plus précis possible des émissions humaines de gaz à effet de serre et estime ainsi l’ampleur du « fossé » qui sépare nos paroles de nos actes. Le rapport s’attache à comparer par exemple nos émissions actuelles et futures aux réductions qu’il faudrait consentir pour garder de bonnes chances de limiter le réchauffement à +2 °C, ou mieux à 1,5 °C. Et le moins qu’on puisse dire est que ce fossé est grand.
Des mesures largement insuffisantes pour atteindre l’objectif de 2 °C
En 2014, on estime que les activités humaines sur la planète ont émis environ 52,7 milliards de tonnes (ou Giga-tonne, Gt) de CO2 équivalent. Ces émissions progressent actuellement d’environ 1,8 % par an, ce qui marque un ralentissement par rapport à la période 2000-2011, mais reste supérieur à la croissance des émissions de 1970 à 2000 (1,3 % par an).
Les projections actuelles prévoient que nos émissions grimperont à 59 Gt en 2030 si aucune mesure n’est prise d’ici là pour les limiter. Or, le scénario raisonnable pour limiter le réchauffement sous le seuil dangereux de deux degrés Celsius prévoit une baisse des émissions jusqu’à 42 Gt en 2030, soit 17 milliards de tonnes de différence (en cumulé de 2017 à 2030, la différence atteint 85 milliards de tonnes).
Malgré les engagements pris par les États avant la COP 21, appelés INDC, le monde émettra toujours de 11,7 Gt à 13,7 Gt de CO2 en trop en 2030 (concernant respectivement les INDC conditionnels et inconditionnels).
Évolution des émissions de GES selon différents scénarios
[Graphe non reproduit ici]
Les émissions de gaz à effet de serre augmentent chaque année. En 2015, ce sont environ 51 milliards de tonnes de CO2 qui ont été rejetées dans l’atmosphère terrestre par les activités humaines.
Sur le graphique ci-dessous, la courbe rouge montre ce que seraient nos émissions selon un scénario Business as usual où l’on ne ferait rien pour les limiter. La courbe orange indique la trajectoire actuelle des émissions humaines.
Pour lutter contre le réchauffement climatique, 163 pays ont soumis des objectifs chiffrés (INDC) de réduction des émissions de GES avant la COP 21.
La courbe bleue indique l’évolution des émissions jusqu’à 2030 si tous les INDC non conditionnés à la mise en place d’une aide financière pour les pays pauvres sont atteints.
Une partie des INDC proposés par les pays peu développés comportent des objectifs que ces pays ne s’engagent à atteindre que s’ils obtiennent une aide financière des pays industrialisés.
La courbe turquoise montre l’évolution des émissions si ces INDC conditionnels sont tous atteints.
Le seuil de 2 °C de réchauffement par rapport aux niveaux préindustriels est considéré comme le seuil à ne pas franchir pour limiter les conséquences désastreuses du changement climatique sur l’Homme.
La courbe vert clair montre comment les émissions humaines doivent baisser pour garder de bonnes chances de contenir le réchauffement sous ce seuil des 2 °C.
Si 2 °C est considéré comme un seuil dangereux à ne pas franchir, la plupart des scientifiques s’accordent pour dire que le réchauffement ne devrait pas dépasser 1,5 °C.
La courbe vert foncé montre comment les émissions humaines doivent baisser pour limiter le réchauffement climatique en-dessous de ce seuil.
[Graphique interactif non reproduit ici]
Sur la base de la trajectoire actuelle de nos émissions, les climatologues estiment que le réchauffement atteindra +3,6 °C en 2100. Si les États atteignent tous les objectifs inscrits dans leurs INDC, le réchauffement sera de 2,9 °C à 3,4 °C.
Au rythme actuel, le budget carbone à ne pas dépasser pour limiter le réchauffement climatique à +1,5 °C, un seuil ardemment défendu par les scientifiques et de nombreux états insulaires dont la survie est directement menacée par la montée du niveau des océans, sera totalement consommé bien avant 2030, même en atteignant les objectifs actuels de réduction des émissions. Selon diverses estimations, le seuil de +1,5 °C sera inévitable dès le début des années 2020 (de 2021 à 2025).
Pour les climatologues du PNUE, cela illustre notamment le manque d’ambition des contributions climatiques des États. Les analyses montrent que certains pays atteindront ou dépasseront leurs objectifs de réduction sans prendre de sérieuses mesures. C’est le cas de la Russie, par exemple, qui s’est engagée à une réduction de 25 % à 30 % de ses émissions par rapport à celles enregistrées en 1990. Or, la chute de l’empire soviétique et la désindustrialisation massive qui l’a suivie ont fait chuter les émissions du pays d’environ 40 % entre 1990 et 2000. En affirmant viser une réduction de -30 % déjà atteinte, la Russie se laisse même le droit d’augmenter ses émissions jusqu’en 2030.
Le PNUE appelle donc les États à revoir à la hausse les ambitions affichées afin d’atteindre des baisses réelles et draconiennes des émissions de GES.
La piste de l’efficacité énergétique
Plusieurs pistes sérieuses sont envisagées afin de réduire efficacement les émissions de GES. L’une d’elles est l’amélioration de l’efficacité énergétique, c’est-à-dire consommer moins d’énergie (électricité, matières fossiles, etc.) pour un niveau de performance égal.
Trois secteurs clés sont visés : la construction de bâtiment, l’industrie et les transports. À eux seuls, ces trois grands secteurs économiques représentent pas moins de 40 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre générées par la consommation d’énergie. Une étude présente dans le quatrième rapport du GIEC publié en 2007 indique que les réductions des émissions qu’il est possible de réaliser, moyennant d’importants investissements, pourraient atteindre près de 12 milliards de tonnes en 2030. Les auteurs de cette étude notent d’ailleurs qu’il est probable que l’estimation obtenue soit sous-évaluée et que le potentiel de réduction soit encore plus important.
Au-delà de la réduction des émissions, le PNUE souligne que l’amélioration de l’efficacité énergétique peut avoir de nombreux bénéfices autres, tels que la réduction de la pollution atmosphérique ou la création d’emplois. C’est ainsi que l’amélioration de l’efficacité énergétique a été inscrite en 2015 parmi les objectifs de développement durable pour l’année 2030 promus par l’ONU.
En outre, plusieurs études scientifiques tendent à montrer que la multiplication des initiatives portées par des acteurs non étatiques, tels que des municipalités ou des régions ou le secteur privé, peut jouer un rôle non négligeable dans la réduction des émissions. Les résultats de ces études sont cependant très disparates et vont d’un gain de quelques centaines de millions à quelques milliards de tonnes de CO2.
La fin de l’histoire n’est donc pas encore totalement écrite, mais les marges de manœuvre des États se réduiront rapidement à mesure que les émissions croîtront au lieu de décliner. La question centrale n’est donc pas tant de savoir si ceux-là réagiront que de savoir s’ils le feront à temps pour contenir le réchauffement climatique sous un seuil raisonnable.
Gary Dagorn
Journaliste au Monde
* LE MONDE | 03.11.2016 à 11h29 • Mis à jour le 15.11.2017 à 13h17 :
http://abonnes.lemonde.fr/les-decodeurs/visuel/2016/11/03/climat-les-alarmants-niveaux-d-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre_5024781_4355770.html
Les émissions mondiales de CO2 repartent à la hausse
La tendance, après trois années de stagnation, est principalement due à la croissance économique de la Chine, premier pollueur mondial.
Derrière les promesses de décarbonation de l’économie, le greenwashing et les paroles politiques, la réalité est toujours là, impitoyable. Après trois années de stagnation, les émissions humaines de dioxyde de carbone (CO2) sont reparties à la hausse en 2017, ruinant les espoirs de voir l’humanité sur le point d’entamer la décrue de ses émissions. C’est le constat majeur des travaux publiés, lundi 13 novembre dans la revue Earth System Science Data, par le consortium scientifique Global Carbon Project (GCP) qui dresse, chaque année depuis 2006, le bilan des émissions mondiales de CO2. La publication devrait faire office de piqûre de rappel aux délégués des Etats parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, réunis pour la COP23 à Bonn, en Allemagne, jusqu’au 17 novembre.
Selon les projections du GCP, l’année en cours devrait se clôturer sur un total d’environ 41 milliards de tonnes de CO2 (gigatonnes, ou GtCO2) émises par la combustion de ressources fossiles, les activités industrielles et l’utilisation des terres – essentiellement la déforestation. Soit un bilan en hausse de quelque 2 % par rapport à l’année précédente. Les auteurs soulignent que la principale raison à cette hausse – qui met fin à un plateau de trois ans – est le redémarrage des émissions chinoises, en hausse d’environ 3,5 %, tirées par une croissance économique estimée autour de 6,8 %. « La croissance des émissions de 2017 est fondée sur l’augmentation projetée de la consommation chinoise de charbon (+ 3 %), de pétrole (+ 5 %) et de gaz naturel (+ 12 %) », selon les auteurs.
Pékin demeure, plus que jamais, le premier émetteur de CO2 : 10,2 GtCO2, soit plus du quart des émissions mondiales, sont chinoises. Viennent ensuite les Etats-Unis (5,3 GtCO2), l’Inde (2,4 GtCO2), la Russie (1,6 GtCO2), le Japon (1,2 GtCO2), l’Allemagne (0,8 GtCO2), et l’Iran… La France arrive à la 19e place, derrière le Royaume-Uni et l’Italie. Considérée dans son ensemble, l’Union européenne arrive en troisième position, avec des émissions de 3,5 GtCO2.
Construire la confiance
Les données rassemblées par les scientifiques du GCP suggèrent en outre que le découplage entre croissance économique et croissance des émissions de carbone est possible : au cours de la décennie 2007-2016, vingt-deux pays représentant un cinquième des émissions mondiales ont ainsi vu leurs productions de CO2 décroître tout en parvenant à faire croître leur économie. C’est toutefois encore loin d’être une règle générale. Au cours des dix dernières années et dans la majorité des cas – pour 101 pays représentant la moitié des émissions –, faire grimper le produit intérieur brut entraîne mécaniquement la production de CO2.
« En dépit de la hausse de 2017, il est peu probable que les émissions mondiales reviennent à des taux de croissance durablement élevés, comme ce qui a été observé dans les années 2000 avec des augmentations de plus de 2 % par an, écrivent les chercheurs. Il est plus probable que les émissions vont se stabiliser, ou croître légèrement, grosso modo en accord avec les engagements nationaux soumis dans le cadre de l’accord de Paris. » Cependant, ces engagements sont encore loin de mettre l’atmosphère terrestre sur la trajectoire des 2 0C de réchauffement.
Une semaine avant le début de la COP23, une autre synthèse, supervisée cette fois par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), jugeait insuffisants les engagements nationaux pris fin 2015 pour contenir le réchauffement sous le seuil des 2 0C. A supposer que les 195 Etats signataires de l’accord de Paris respectent l’intégralité de leurs promesses, la planète s’achemine vers une hausse du thermomètre d’au moins 3 0C à la fin du siècle, alertent les experts onusiens.
A Bonn, les délégations des pays en développement attendent donc des pays riches, très émetteurs de gaz à effet de serre, qu’ils rehaussent leurs ambitions climatiques, mais aussi qu’ils respectent leur parole donnée. Pendant la première semaine de négociations a notamment resurgi la question des objectifs fixés dans le cadre du protocole de Kyoto, exigeant des efforts de réduction d’émissions des seuls Etats développés. Or, de nombreuses régions du Nord, à commencer par l’Union européenne, n’ont toujours pas ratifié la seconde période d’engagement de Kyoto, qui court de janvier 2013 à décembre 2020.

« Si nous ne respectons pas les décisions prises, comment construire la confiance, et comment donner une bonne base à l’application de l’accord de Paris ? », a souligné le négociateur chinois Chen Zhihua, très à l’aise pour aborder le sujet puisque la Chine, devenue depuis le premier émetteur mondial de gaz à effet de serre, reste considérée comme une nation émergente, non soumise aux décisions de Kyoto. Le soutien financier aux Etats les plus vulnérables est l’autre sujet de crispation de la COP23, qui a placé ses travaux sous la présidence d’un pays lui-même fragilisé par le changement climatique, les îles Fidji.
Simon Roger et Stéphane Foucart
* LE MONDE | 13.11.2017 à 09h40 • Mis à jour le 13.11.2017 à 10h39
http://www.lemonde.fr/planete/article/2017/11/13/apres-un-plateau-de-trois-ans-les-emissions-mondiales-de-co2-repartent-a-la-hausse_5214002_3244.html