Le Viêt Nam connaît depuis plusieurs mois une série de procès anti-corruption au terme desquels un certains nombre de responsables se voient condamnés à de sérieuses peines de prison, voire carrément à la peine de mort. Ce fut le cas de Chau Thi Thu Nga membre de l’Assemble Nationale qui a été condamnée à mort le 16 octobre dernier, pour avoir organisé une fraude immobilière d’un montant de 16 millions de dollars. Fin septembre, c’était l’ancien directeur de la banque privée Ocean Bank, Ha Van Tham, qui était condamné à la peine capitale pour des pertes frauduleuses de 60 millions d’euros. Pour certains observateurs la multiplicité des ces procès pour corruption aurait aussi pour toile de fond une lutte politique. Il s’agirait, pour la nouvelle équipe mise en place l’an passé au 12e congrès du Parti communiste, de se débarrasser des partisans de l’ancien « hyper » premier ministre Nguyên Tân Dung. Celui-ci, ancien gouverneur de la banque centrale, et deux fois premier ministre (de 2006 à 2016) avait échoué à se faire élire à la place du secrétaire général du PCV Nguyên Phu Trong en place depuis 2011. Cet échec l’a conduit à abandonner ses fonctions, mais ses multiples soutiens et réseaux perdurent y compris dans la diaspora aux USA d’où est originaire son richissime gendre. Un détail à ne pas sous estimer tant les solidarités familiales sont d’une importance primordiale.
Ces multiples procès démontrent que « l’économie socialiste de marché » a permis certes un développement économique sans précédent, mais aussi un développement à deux vitesses. Les enrichissements énormes et frauduleux de certains ont pour corollaire divers scandales qui plongent d’autres secteurs dans la précarité et la misère. Depuis une vingtaine d’années des luttes paysannes contre l’accaparement des terres et les expulsions sont récurrentes. Elles peuvent être parfois très violentes avec une série d’affrontement avec la police. Les grèves ouvrières, souvent sauvages, ne sont pas rares. Elles aussi peuvent prendre un caractère violent et de confrontation même si toutes n’atteignent pas le niveau des émeutes du printemps 2014 où durant deux semaines dans 22 provinces un certain nombre d’usines chinoises mais aussi sud-coréennes et taïwanaises, avaient été mise à sac voire incendiées. [1]
Les protestations contre les abus, la corruption et les violences de la police prennent aussi des formes d’organisation inédites comme la désobéissance civile et même la séquestration. Le 15 avril 2017 dans la bourgade de Dong Tam dans la banlieue de Hanoi, les villageois avaient séquestré pendant deux jours 38 policiers (dont 15 des compagnies anti-émeutes), à la suite de l’arrestation et des violences exercées contre certains d’entre eux qui s’opposaient à l’expropriation de terrains au profit de la société de communication Viettel Group (qui appartient à l’armée).
Par ailleurs, les arrestations régulières de blogueurs/euses, leur condamnation et parfois leur expulsion à l’étranger sous l’accusation « d’activités visant à renverser l’administration populaire » font aussi partie du paysage politique et social. Pour que le tableau soit complet n’oublions pas l’église catholique, qui bien qu’elle ne soit pas un modèle en matière de politique progressiste est en mesure de mobiliser ses fidèles. On se souvient du centre de Hanoi bloqué par des milliers de catholiques en 2008, lorsqu’ils réclamaient (à tort ou à raison) le retour d’un terrain à l’église.
Les Vietnamiens possèdent en moyenne 2 téléphones par personne et ont vite trouvé le chemin des réseaux sociaux. Depuis ds années, en quelques instants chaque incident notable se retrouve filmé et diffusé dans le monde entier.
Ce sont aussi de plus en plus, des problèmes liés aux questions écologiques qui mobilisent de larges pans de la population.
A la fin des années 2000 une importante campagne de protestation contre l’exploitation d’une mine de bauxite gérée par des compagnies chinoises, avec du personnel chinois dans les hauts plateaux du centre, avait reçu le soutien du général Giap. [2] Dans trois lettres, il indiquait que ces mines ruinaient l’environnement, déplaçaient les minorités ethniques et que l’afflux de travailleurs chinois menaçait la sécurité nationale. Ceci dans un contexte de crise entre les deux pays en raison de la revendication par la Chine des îles Hoàng Sa et Truong Sa (les îles Paracels et Spratleys), et qui se traduit par des attaques répétées de bateaux de pêche vietnamien par la marine chinoise.
A l’heure du changement climatique les inquiétudes liées à la montée du niveau de la mer, désormais inéluctable, sont une réalité pour presque la moitié des provinces bordant l’océan. Selon les estimations du gouvernement, le tiers du delta du Mékong, grenier à riz du pays sera submergé dans les prochaines décennies si le niveau de la mer continue d’augmenter.
C’est sur ces toiles de fond que les scandales liés à la pollution mobilisent largement les gens car au delà des conséquences directes il y a à l’origine des faits de corruption patent. Le cas Formosa est exemplaire en la matière.
Cette aciérie taïwanaise de production d’aluminium située dans la province de Ha Tinh (centre Viêt Nam) est à l’origine de la plus gigantesque pollution de l’histoire du pays. Le 6 avril 2016 des dizaines de milliers de poissons morts sont retrouvés sur les plages de la province. Puis ce phénomène touche les trois autres provinces plus au Sud et arrive aux environ de Hué douze jours plus tard. La pollution s’étend alors sur 200 kms de côtes. Plus de 100 tonnes de poissons empoisonnés sont ramassés, la perte des élevages est identique. Les fonds maritimes sont sinistrés, des tonnes de coquillages sont contaminés. A la catastrophe environnementale s’ajoute une catastrophe sociale : la pêche est une des activités essentielles de cette région. Ce sont environ 263000 personnes vivant de la production aquatique qui sont touchées. Les autorités n’ayant pas réagi avec célérité, malgré le caractère exceptionnel de la catastrophe, des manifestations se produisent en différents point du pays : Hanoi, Hô Chi Minh ville, Nha Trang, Vung Tau, Da Nang, Hue, et Nghe An. Durant trois dimanches de suite elles regroupent des milliers de personnes qui réclament la lumière sur cette affaire. Car l’usine Formosa avait déjà défrayé la chronique en 2015. L’effondrement d’un échafaudage avait fait 13 morts et 24 blessés parmi les travailleurs. Les conditions de travail et l’arrogance des responsables de la société furent alors mis en évidence. A la même époque il avait aussi été révélé que Formosa avait bénéficié des autorités locales d’un passe-droit illégal, à savoir une autorisation d’exploitation pour une période de 70 ans, alors que la loi sur l’investissement du Vietnam stipule qu’un projet à participation étrangère ne doit pas durer plus de 50 ans. (Thanh Nien 27 mars 2015) Ceci explique donc la profonde inquiétude des Vietnamiens qui connaissant les problèmes de corruption (reconnus par le gouvernement depuis des décennies) les a poussés à manifester pour réclamer toute la lumière sur cette pollution.
Trois semaines après le début de la catastrophe, le 27 avril le ministre de l’environnement affirmait que la pollution était due à une marée rouge et à des toxines générées par l’activité humaine. Affirmation aussitôt rejetée par la société vietnamienne de pêche. Dans le même temps l’arrogance des dirigeants de l’usine jette de l’huile sur le feu. L’un d’eux déclare : « Vous ne pouvez pas tout avoir. Vous devez choisir entre les poissons, les crevettes ou une aciérie ultra-moderne » et prétend que ce phénomène reste encore inexpliqué. (Tuoi Tré 26 avril 2016).
Le 4 mai 2016 les autorités annoncent l’interdiction de commercialisation des fruits de mer pêchés dans les 20 miles nautiques des autres provinces concernées. La veille encore le ministère de l’environnement affirmait que les fruits de mer de la région respectaient les normes de sécurité.
Les autorités, par la voix du ministre de l’environnement Tran Hong Ha, reconnaissent ne pas voir réagit avec la célérité nécessaire face à cette catastrophe. (Thanh Nien du 29 avril 2016).
Le 28 juin après une enquête menée par une centaine de scientifiques le gouvernement reconnaît enfin la responsabilité de l’usine Formosa dans la pollution. La société fait alors des excuses publiques et annonce qu’elle versera 500 millions de dollars de dédommagements aux provinces sinistrées.
Les manifestations n’ont pas cessé, mais elles sont suivies de multiples arrestations et violences policières au point que cela a conduit la Fédération Internationales des Droits de l’Homme (et la LDH en France) a s’en inquiéter dans la lettre ouverte qu’elle a adressé au président Hollande à la veille de sa visite au Viêt Nam en septembre 2016.
Un an après la catastrophe lors de nouvelles manifestations de pêcheurs plusieurs arrestations ont eu lieu. A cette occasion la police a arrêté Hoang Duc Binh, un activiste accusé d’avoir « troublé l’ordre public et abusé de sa liberté démocratique pour porter atteinte aux intérêts de l’Etat ». Depuis une autre « activiste » a été arrêtée Tran Thi Xuan, 41 ans, accusée d’« activités visant à renverser l’administration populaire », selon l’article 79 du Code pénal un article de loi, vague, mais susceptible d’envoyer théoriquement à la peine de mort.
Parmi les autres scandales liés à l’environnement, les coupes sauvages et le trafic de bois précieux. Activités qui nécessitent des moyens techniques considérables mais aussi des complaisances ou des complicités toutes aussi importantes car de telles activités ne passent pas inaperçues.
Le mouvement de sauvegarde des arbres à Hanoi (the tree movement [3]) a aussi mobilisé sur des préoccupations liées à l’environnement. C’est une réaction citoyenne face à la décision arbitraire des autorités locales d’abattre des milliers d’arbres souvent anciens et massifs le long des rues de la ville. Outre une atteinte à l’identité de la ville et à la nécessité de lieux ombragés, la finalité de ces abattages n’a jamais été très claire. Les protestations et les manifestations se sont heurtées aussi à la répression et aux intimidations. Des accusations de manipulations venues de l’étranger ont été proférées à l’encontre des protestataires.
Enfin Hanoi est maintenant sous une nappe de pollution pendant une grande partie de l’année ce qui pose de nouveaux problèmes sanitaires importants. Dans plusieurs villages, selon la presse, les habitants présentent des taux de cancer exceptionnellement élevés, probablement en raison de la contamination par le plomb dans l’approvisionnement en eau. Selon The Economist, deux tiers des eaux usées industrielles s ‘écoulent dans les lacs et les rivières.
Jusqu’à présent la plupart de ces contestations sont restées sectorielles. Les questions liées à l’environnement pourraient être fédératrices dans la mesure où elles ont un impact sur la vie quotidienne et concernent la santé de l’ensemble de la société et non pas l’une ou l’autre de ses composantes.
Au moment de terminer cet article on apprend une nouvelle hécatombe massive de poissons dans la province de Quan Ngai. Les poules et les canards des fermiers alentours sont morts après en avoir mangé (Tuoi Tre News du 23 octobre 2017).
Quant à Vo Kim Cu qui, en tant que chef de la province de Ha Tinh, a été directement responsable de la signature de documents illégaux qui ont facilité les opérations de Formosa, y compris celle permettant à l’entreprise de décharger les eaux usées qui ont entraîné la mort des poissons, il avait été renvoyé de tous les postes du gouvernement, y compris de son poste de chef du parti et de Président de la province de Ha Tinh.
En avril, il avait même démissionné de son poste de délégué de l’Assemblée nationale pour « des raisons de santé ».
Il vient d’être nommé vice-président d’un conseil chargé de renforcer l’efficacité économique des coopératives nationales grâce à une directive signée par le premier ministre.
Comme l’indique le quotidien Tuoi Tré du 8 septembre, « le public se demande pourquoi un fonctionnaire ayant fait preuve de tant de négligences, a pu être nommé à un autre poste de présidence ? ».
La réponse n’est pas encore parvenue aux intéressés.
Dominique Foulon