Presque à chaque meeting d’Angela Merkel, il pouvait compter sur la présence de quelques sympathisants pour venir crier : « Hau ab ! » (« Casse-toi ! »). Dimanche 24 septembre, le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) n’a certes pas réussi à détrôner la chancelière. Mais il a atteint l’objectif qu’il s’était fixé pour lui-même : arriver troisième, derrière les conservateurs (CDU-CSU) et les sociaux-démocrates (SPD). Et avec un résultat plus élevé que celui annoncé par les sondages : 12,6 % des voix. En 2013, l’AfD, qui venait d’être créée, avait obtenu 4,7 % des suffrages exprimés. Pas assez pour atteindre le seuil de 5 % nécessaire pour qu’un parti soit représenté au Bundestag.
Sans surprise, c’est dans l’est du pays que l’AfD a réalisé ses meilleurs scores. Dans les territoires qui étaient situés en République démocratique allemande (RDA) pendant la guerre froide, il a obtenu, en moyenne, 21 % des voix, ce qui en fait dans ces régions la deuxième force politique derrière la CDU (26 %). Dans la Saxe, le Land où il a enregistré sa meilleure performance, l’AfD a même légèrement devancé le parti de Mme Merkel (27 % contre 26,9 %).
Dans l’ouest de l’Allemagne, la percée de l’extrême droite est moindre. Mais elle est tout de même importante, notamment en Bavière, où l’AfD a obtenu 12,4 % des voix. Dans ce Land, ce résultat a provoqué un choc. D’abord parce qu’il rappelle que l’extrême droite ne prospère pas que dans l’ex-RDA, autrement dit dans la partie du pays où l’économie est la moins dynamique et où la démocratie a moins de trente ans d’existence. Même une région comme la Bavière, où seulement 3 % de la population active est au chômage, vote aujourd’hui davantage pour l’AfD que pour le FDP (libéraux-démocrates), le parti des classes moyennes supérieures.
« Porcs »
Si le résultat de l’AfD en Bavière a aussi fait l’effet d’une bombe, c’est à cause du score qu’y ont obtenu les conservateurs de la CSU : 38,8 % des voix, soit 10,5 points de moins qu’aux législatives de 2013. A l’évidence, de nombreux électeurs de la CSU ont voté pour l’AfD, déçus par le fait que, malgré son discours très ferme sur l’immigration, le parti conservateur bavarois n’ait pas réussi à imposer ses vues à la CDU de Mme Merkel, son alliée à l’échelle nationale, notamment sur la fixation d’un « plafond » annuel de demandeurs d’asile.
Même si les récents sondages avaient enregistré une dynamique en faveur de l’AfD, beaucoup d’observateurs pensaient que l’image renvoyée par ses deux chefs de file pendant la campagne porterait préjudice au parti le jour du vote. Alexander Gauland, d’une part, qui a exigé qu’Aydan Özoguz, la secrétaire d’Etat à l’intégration, d’origine turque, soit « jetée » en Anatolie, puis affirmé qu’il fallait être « fier de ce qu’ont fait les soldats allemands pendant les deux guerres mondiales ». Alice Weidel, d’autre part, dont la presse a dévoilé un courriel datant de 2013 où elle traitait Mme Merkel et ses ministres de « porcs » et de « marionnettes aux mains des puissances victorieuses » de la seconde guerre mondiale.
A l’évidence, ces provocations n’ont pas handicapé l’AfD. Au Bundestag, ce parti créé en 2013 sur un discours antieuro mais qui, depuis la crise des réfugiés de 2015, a mis en tête de ses priorités la lutte contre « l’islamisation » du pays et « l’immigration incontrôlée », comptera 94 députés. « Nous allons vous traquer, Mme Merkel. Nous allons récupérer notre pays et notre peuple », a promis M. Gauland, dimanche, lors de la fête organisée par l’AfD dans une discothèque de Berlin. « La première chose que nous ferons sera de former une commission pour enquêter sur Angela Merkel », a, quant à elle, déclaré Mme Weidel, qui n’a cessé de répéter, ces dernières semaines, que la décision prise par la chancelière d’accueillir les réfugiés, en 2015, était illégale.
Depuis la seconde guerre mondiale, c’est la première fois que l’extrême droite allemande entre au Bundestag. Dans les années 1950, une petite formation nationaliste et conservatrice, le Deutsche Partei (Parti allemand), eut certes une poignée d’élus, mais ils faisaient partie de la majorité du chancelier Konrad Adenauer (CDU), de sorte que la place de ce parti n’est pas comparable à celle de l’AfD aujourd’hui, qui se veut une force d’opposition frontale aux conservateurs. Ces dernières décennies, plusieurs petits partis d’extrême droite, voire néonazis, comme le NPD, s’étaient présentés aux législatives allemandes. Mais, faute d’atteindre la barre des 5 %, ils n’avaient jamais eu de députés.
Thomas Wieder (Berlin, correspondant)