Gauri Lankesh, photo tirée de India Today par ESSF
Des milliers de personnes se sont rassemblées dans plusieurs villes indiennes, mercredi 6 septembre, pour défendre la liberté de la presse et saluer la mémoire de la journaliste Gauri Lankesh, 55 ans, assassinée la veille à Bangalore dans l’Etat du Karnataka, dans le sud du pays. La journaliste a été tuée de plusieurs balles à la tête et à la poitrine en bas de chez elle, dans la soirée de mardi. Ses assassins ont pris la fuite et la police n’exclut aucune piste. Le gouvernement du Karnataka a annoncé mercredi la formation d’une équipe spéciale pour enquêter sur ce meurtre.
A la tête de l’hebdomadaire Gauri Lankesh Patrike, publié en langue régionale, la journaliste était critique du gouvernement nationaliste hindou et connue pour ses prises de position en faveur du sécularisme, contre les extrémismes religieux de tous bords. Opposée au système des castes, elle était décrite par ses opposants comme animée par la « haine de l’hindouisme ». Quelques heures avant sa mort, elle avait posté sur les réseaux sociaux des articles condamnant la décision du gouvernement indien d’expulser des musulmans rohingya.
27 journalistes tués depuis 1992
Ses articles, parfois virulents, lui ont valu d’être condamnée pour diffamation, en novembre 2016. Une décision dont elle avait fait appel. Amit Malviya, le responsable de l’information au sein du Parti du peuple indien (BJP, parti nationaliste hindou au pouvoir), avait alors lancé une menace à peine voilée à destination des journalistes indiens, en les invitant à « prendre note » de cette condamnation. Gauri Lankesh se disait inquiète pour la liberté d’expression dans le pays et se savait menacée. Sur les réseaux sociaux, plusieurs extrémistes hindous avaient appelé à sa mort. Quelques-uns se sont même réjouis, sur Twitter, de son meurtre.
« L’autocensure se répand dans la presse grand public tandis que les journalistes sont de plus en plus souvent victimes de campagnes de dénigrement en ligne par les éléments les plus radicaux des nationalistes, qui n’hésitent pas à les vilipender, voire à les menacer de représailles physiques », s’inquiétait, dans son dernier rapport annuel, Reporters sans frontières.
L’organisation place l’Inde au 136e rang sur 180 pays de son classement mondial de la liberté de la presse. Au moins 27 journalistes ont été tués dans le pays depuis 1992 à cause de leur profession. Les plus menacés sont employés par des médias régionaux, souvent plus fragiles pour faire face aux pressions de toutes sortes. Certains sont tués parce qu’ils enquêtent sur des barons de la mafia locale ou parce qu’ils dénoncent dans leurs articles des crimes contre l’environnement. Le meurtre d’une journaliste de renommée nationale et surtout connue pour son opposition aux extrémistes hindous, est toutefois inhabituel.
« Message clair »
« Le message est clair et ne s’adresse pas seulement aux journalistes indépendants mais à toutes les voix critiques : nous gardons un œil sur vous et nous ne vous raterons pas », a réagi Sidharth Bhatia, le cofondateur du site The Wire. Ce site d’informations s’inquiète dans un éditorial de « la montée d’un climat d’intolérance, alimenté par des hommes politiques et des organisations extrémistes qui agissent au nom de la religion ».
Trois intellectuels du mouvement des « rationalistes », qui combat le fanatisme religieux et la superstition, ont été tués de façon similaire depuis 2013. Les auteurs du crime sont toujours en fuite. Le quotidien Hindustan Times note dans son éditorial de mercredi les similarités troublantes entre ces meurtres qui se sont déroulés dans des lieux publics ou non loin de caméras de surveillance : « Cela suggère que les auteurs des crimes n’ont pas peur d’être appréhendés et qu’ils ont de puissants soutiens. »
La ministre indienne de l’information, Smriti Irani, a dit « espérer une enquête rapide afin que la justice soit faite ». L’ambassade des Etats-Unis à New Delhi est l’une des rares à avoir publié un communiqué pour condamner ce meurtre et offrir ses condoléances aux proches de Gauri Lankesh.
Julien Bouissou (New Delhi, correspondance)