Ce sont des centaines de morts et des centaines de milliers de déplacés qui passent presque inaperçus, comme si les catastrophes naturelles étaient devenues une routine et une évidence en Asie du Sud, en cette saison de la mousson. Ces deux derniers mois, au Bangladesh, au Népal et en Inde, 800 habitants ont déjà été tués et près d’un million ont été déplacés. La Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge estime que 24 millions d’habitants de ces trois pays sont menacés par les inondations liées aux pluies intenses.
Selon Jagan Chapagain, le sous-secrétaire général pour les programmes et opérations auprès de la Fédération, il s’agit des « plus graves inondations dans certaines régions d’Asie du Sud depuis plusieurs décennies. Des communautés entières sont coupées de tout, le seul moyen de venir en aide à ces villages est le bateau, et beaucoup n’ont presque plus de vivres ». Des villages entiers ont été engloutis, emportés par des torrents de boue. Les habitants ont perdu leurs terres, leurs maisons, leurs économies, et attendent les secours, l’estomac vide.
Les rares images provenant des régions affectées montrent des toits en tôle flottant à la surface des eaux, des carcasses de tigres et des déplacés qui ont trouvé refuge sur les quelques ponts ayant résisté aux inondations. Au Bangladesh, 118 habitants sont décédés, parfois emportés par des glissements de terrain. Les cadavres sont enfouis sous un à deux mètres de boue, compliquant le travail des secours. Ces crues catastrophiques risquent désormais de laisser place à des épidémies de choléra et de dysenterie susceptibles d’alourdir le bilan.
« Politisation des secours »
Au Népal, c’est le Teraï, la région la plus pauvre d’un des pays les moins développés de la planète, qui est touché. Le cinquième de la population, soit 6 millions d’habitants, est frappé par les inondations. Le gouvernement népalais a interdit aux organisations non gouvernementales de collecter des fonds pour leur venir en aide afin de mieux coordonner les secours et l’aide aux rescapés. Mais cette politique risque de ralentir les opérations de sauvetage et de dissuader les donateurs de verser des fonds, par crainte de les voir détournés par des fonctionnaires corrompus. La Croix-Rouge du Népal a averti que des pénuries d’eau potable et de nourriture pourraient provoquer une crise humanitaire dans cette partie de l’Himalaya.
Certains analystes craignent également qu’à l’approche des élections locales dans la plaine du Teraï cette aide publique soit captée par des responsables peu scrupuleux. « Les leaders politiques ne distribuent de l’aide qu’à leurs électeurs et à leurs militants. Cette politisation des efforts de secours va priver les victimes de leur part d’aide publique qui leur revient », met en garde l’éditorialiste Praveen Kumar Yadav sur le site d’informations Myrepublica. Par ailleurs, des hommes politiques népalais, à l’instar de l’ancien premier ministre Jhalanath Khanal, accusent le voisin indien d’avoir fermé des barrages pour empêcher l’écoulement des eaux et ainsi éviter un débordement du fleuve sur son sol. Quant au ministre de l’énergie, Mahendra Bahadur Shahi, il a pointé du doigt la construction par l’Inde d’autoroutes à la frontière, en surélevant des talus qui empêchent l’eau de s’écouler des plaines du sud du Népal.
« Ce qui est surprenant dans ces inondations, c’est qu’elles nous surprennent », constate l’hebdomadaire népalais Nepali Times dans son éditorial du 18 août, ajoutant que « le phénomène de la mousson est exacerbé par un développement anarchique des infrastructures ». La déforestation favorise les glissements de terrain et accélère la sédimentation des fleuves qui débordent de leurs lits lors de la saison des pluies. Par endroits, la construction de maisons et de routes bloque l’écoulement des eaux ou leur absorption dans le sol, provoquant des « inondations flash » dévastatrices. A cela s’ajoutent peut-être les effets du changement climatique. Les scientifiques prédisent que l’élévation des températures pourrait favoriser, pendant la mousson, des précipitations plus intenses sur des périodes plus courtes en Asie du Sud.
« Gouvernance de l’inondation »
« Il est temps de passer de l’aide humanitaire d’urgence à la gouvernance de l’inondation », plaide Sunita Narain, la directrice du Center for Science and Environment (CSE) basé à Delhi. Par ailleurs, le Parlement indien a publié un rapport fin juillet dans lequel il constate que des plans d’urgence en cas de crues débordantes n’existent que pour seulement 10 % des barrages du pays. « Les protocoles suivis par les Etats en cas d’inondation ont besoin d’être revus de toute urgence », s’inquiète le quotidien indien The Hindu dans son éditorial du 1er août. Ces protocoles ne concernent pas seulement la gestion du débit des fleuves par une meilleure coordination entre les différents Etats, mais également les actions en matière de santé publique.
La mousson a toujours eu un rôle crucial dans le sous-continent, dont une large partie de la population dépend des revenus agricoles. Mais les fortes précipitations, longtemps synonymes de bonnes récoltes, risquent d’être de plus en plus meurtrières. Rien qu’en Inde elles causent la mort de 1 000 à 2 100 personnes chaque année depuis 2012.
Julien Bouissou (New Delhi, correspondant en Asie du Sud)