La fragilisation des droits de l’Homme dans l’emploi et le travail
ORDONNANCES « TRAVAIL » : UNE RÉDUCTION DES DROITS AUX COULEURS DU MÉPRIS SOCIAL
Communiqué LDH
Les premières observations du texte de cent soixante pages des cinq ordonnances révèlent sa conformité avec les dispositions du projet de loi d’habilitation. La Ligue des droits de l’Homme (LDH) observe que la logique des dispositions prévues qui vont être appliquées dès le 1er janvier 2018 est de fragiliser fortement les droits de l’Homme dans l’emploi et le travail.
Sur le « dialogue social » : dans le prolongement de lois précédentes, l’accord d’entreprise va permettre de légitimer et de sécuriser les décisions unilatérales de l’employeur et, dans les entreprises « inorganisées », le-la chef-fe d’entreprise pourra « négocier » en contournant les syndicats ;
Sur le « droit au juge » : la capacité juridique de contestation par les organisations syndicales d’un accord d’entreprise pour des raisons de légalité (délais, charge de la preuve, pouvoirs du juge) est fortement réduite ;
Sur le « droit à l’emploi » : face à un licenciement sans « cause réelle et sérieuse », la capacité juridique du-de la salarié-e à contester est, elle aussi, réduite (motivation dans la lettre de licenciement, délais de saisine et pouvoirs du-de la juge) ;
Sur le droit à la réparation intégrale des préjudices : la réparation est fortement réduite pour les salarié-e-s en cas de licenciement injustifié, et le-la juge devrait appliquer un barème obligatoire de réparation forfaitaire, assurant ainsi à l’employeur-euse une situation sécurisée ;
Sur les « licenciements économiques » : les droits des salarié-e-s, confronté-e-s aux décisions des multinationales sont réduits par des mesures destinées à faciliter les licenciements pour motif économique ;
Sur les droits des salarié-e-s précaires : la contestation des conditions de recours aux contrats de travail à durée déterminée et aux contrats de travail temporaire est réduite par leur fixation dans une convention ou un accord collectif de branche ;
Sur le contrat de travail : la capacité de résistance d’un-e- salarié-e sur la base de son contrat de travail à un accord d’entreprise est fortement réduite, même si celui-ci est « moins-disant » ;
Sur la représentation du personnel : la fusion des institutions qui en sont chargées réduira l’éventail des consultations dans le cadre d’un nouveau Comité social et économique, dont la définition, la composition et les moyens (heures de délégation, notamment) seront fixés par décret.
La LDH, fidèle à son orientation de défense de tous les droits, dénonce l’atteinte à la dignité humaine de toutes et tous dans le travail que constituent les ordonnances, et l’adoption de certaines dispositions générales qui pénaliseront plus particulièrement les femmes. Souvent précaires, en familles monoparentales, chargées des tâches domestiques et d’éducation des enfants, elles restent les plus vulnérables.
La LDH constate que le gouvernement qui voulait, disait-il, juste « assouplir » le droit du travail pour favoriser l’emploi, est allé « plus vite, plus haut, plus fort » dans une réduction des droits, en facilitant des mesures par branches ou entreprises avec une représentation syndicale affaiblie, en légitimant et en sécurisant les décisions unilatérales de l’employeur, sans favoriser l’emploi, ni l’investissement. Les ordonnances accentueront l’asymétrie – déjà importante – de position en faveur des employeur-euse-s. Elles sont la marque d’un très grand mépris social.
Les ordonnances devraient être adoptées le 20 septembre 2017 et publiées immédiatement au Journal officiel, et la loi de ratification adoptée par le Parlement avant la fin du même mois. Puisque le contenu de ces ordonnances doit encore faire l’objet d’un débat au Parlement, la LDH souhaite qu’un véritable débat public, que le recours à cette procédure des ordonnances a interdit, s’engage.
Paris, le 5 septembre 2017
* https://www.ldh-france.org/ordonnances-travail-reduction-droits-aux-couleurs-du-mepris-social/
Loi travail : les femmes passent (aussi) à la trappe
Collectif National pour les Droits des Femmes (CNDF)
Emmanuel Macron l’a promis. Les femmes seront la grande cause nationale du quinquennat. Il est élu depuis à peine 150 jours et il a déjà réussi à se faire mentir 3 fois.
Une première fois avec la nomination du gouvernement et l’absence de Ministère dédié. Une deuxième fois cet été avec la baisse de 27% du budget du Secrétariat d’État à l’Égalité. Une troisième fois avec la Loi Travail n°2.
Loi Travail et femmes, quel rapport ?
Lorsque l’on prend le temps de regarder les textes en détail, on s’aperçoit que plusieurs visent directement et spécifiquement les femmes.
Les ordonnances prévoient de diviser par deux le plancher minimum de condamnation en cas de licenciement (interdit) d’une femme enceinte ou de retour de congé maternité. La maternité est pourtant une des principales causes de discrimination des femmes : grossesse, maternité et situation familiale représentent ensemble le premier motif de saisine du défenseur des droits.
De même pour le licenciement (interdit aussi) de salarié.e.s qui ont témoigné suite à du harcèlement ou à des violences sexuelles, les indemnisations plancher passent de 12 mois de salaires à 6 mois.
Quel est le message que veut envoyer le gouvernement ? Quel est l’objectif en baissant les sanctions dans ces cas ?
L’inversion de la hiérarchie des normes renvoie à l’entreprise la définition de nombreux droits, et notamment les droits familiaux. Les congés enfants malades, pris en immense majorité par les femmes – que l’on doit essentiellement aux conventions collectives -, la rémunération à 100% du congé maternité comme son allongement,… tout est renvoyé à l’accord d’entreprise. Accord qui sera souvent négocié sans syndicat dans les plus petites entreprises, celles où sont concentrées les femmes. Avec tous les risques pour les travailleuses que cela comporte.
Le gouvernement ne s’arrête pas là. Il s’attaque aux outils pour négocier sur l’égalité professionnelle en entreprise. La loi prévoit aujourd’hui une négociation annuelle « égalité professionnelle qualité de vie au travail » et oblige l’entreprise à fournir des données aux salarié.e.s sur les inégalités professionnelles femmes-hommes. Ces données sont celles de l’ancien Rapport de Situation Comparée, issu de la Loi Roudy de 1983 et qui est désormais intégré dans la Base de Données Économiques et Sociales. Les entreprises qui ne sont pas couvertes par un accord ou plan d’action prévoyant des objectifs et des mesures pour atteindre l’égalité à partir d’un diagnostic chiffré peuvent être sanctionnées.
Désormais, les ordonnances permettent, par accord d’entreprise, de s’affranchir de cette négociation et de ses thèmes, de choisir les données à transmettre ou non, et de passer d’une négociation annuelle à une négociation quadriennale. Sans sanction bien sûr. Les inégalités de salaires s’élèvent toujours à 26% en moyenne, cela n’est pas prêt de bouger.
Exit aussi le droit d’expertise dédié à l’égalité femmes-hommes, gagné en 2015, qui aidait élu.e.s et syndicats à identifier et comprendre les sources des inégalités. Auparavant à charge de l’employeur, ce droit d’expertise devra désormais, comme les autres, être co-financé par le Comité d’entreprise…Qui du fait de son budget sans doute très limité, s’il peut financer des expertises, choisira probablement les expertises économiques.
Tout ceci sans parler des très nombreuses mesures générales des ordonnances qui pénaliseront plus particulièrement les femmes, plus souvent précaires, à la tête de familles monoparentales et prenant en charge la quasi-totalité des tâches domestiques et d’éducation des enfants. Donc plus vulnérables.
Emmanuel Macron, Marlène Schiappa, votre grande cause nationale commence mal. Cessez de brader les droits des femmes aux exigences du MEDEF, changez de cap, retirez ces ordonnances.
Les féministes l’exigeront dans la rue avec tou-te-s les salarié-e-s !
Les journalistes et les ordonnances : C’est mille fois non !
Communiqué du SNJ-CGT
Inversion de la hiérarchie des normes, primauté de l’accord d’entreprise, périmètre du plan social, rupture conventionnelle collective, plafonnement des indemnités, fusion des institutions représentatives du personnel : autant d’expressions qui démolissent le code du travail.
Les ordonnances Macron vont permettre aux patrons de presse de vider le contenu des articles du code du travail concernant la profession et de déroger à la convention collective sans avoir à la dénoncer.
Mais en quoi les 5 ordonnances Macron et leurs 36 mesures concernent-elles les journalistes et leur statut particulier ? Le SNJ-CGT apporte des premières réponses.
Les dangers de l’accord d’entreprise
Le code du travail primait sur la convention collective (qui ne pouvait qu’améliorer le code du travail) ; l’accord de branche, lui, ne pouvait qu’améliorer la convention collective et, enfin, l’accord d’entreprise ne pouvait qu’améliorer l’accord de branche.
Les ordonnances chamboulent ce qu’on appelle la hiérarchie des normes et donnent désormais la primauté à l’entreprise.
La branche (mais de quelle branche relèveront les journalistes ? Les ordonnances prévoient leur redéfinition) fixera les salaires, le temps de travail, mais l’accord d’entreprise pourra modifier :
– Le paiement des heures supplémentaires (lorsque celles-ci sont prévues et donnent lieu à rémunération) ;
– La prime d’ancienneté, qui représente entre 5 et 20 % du salaire selon l’ancienneté du journaliste (L’entreprise pourra la supprimer pour financer d’autres choses, comme le financement de gardes d’enfant, par exemple).
– La prime de nuit (aujourd’hui de 15 % pour les heures travaillées entre 21h et 6h).
L’ordonnance prévoit que certains accords pourront modifier le contrat de travail des salariés.
En cas de refus par le journaliste, son licenciement reposera sur une cause réelle et sérieuse et non plus sur un motif économique.
Dans les petites entreprises, les patrons auront le pouvoir de déroger aux accords de branches.
Une précarité accrue
Les ordonnances permettront de multiplier les contrats précaires avec l’introduction des contrats de chantier, l’allongement de la durée des CDD et de leur renouvellement.
On se dirige vers la fin du CDI.
Le contrat de chantier est moins protecteur pour le journaliste, qui, à l’issue du contrat ne recevra pas d’indemnité de licenciement.
Le contrat de chantier pourra même remplacer avantageusement le journaliste rémunéré à la pige qui doit bénéficier des mêmes avantages que le journaliste en CDI et qui, en cas de licenciement, doit recevoir les indemnités légales.
Des licenciements facilités
Les ordonnances introduisent la rupture conventionnelle collective.
Au lieu de mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi, l’entreprise aura intérêt à négocier une telle disposition.
Pour les journalistes, cela lui permettra de négocier des indemnités inférieures à celles prévues par le code du travail et la convention collective (1 mois par année pour le journaliste ayant moins de 15 ans d’ancienneté) et d’éviter le recours à la commission arbitrale (pour les journalistes ayant plus de 15 ans d’ancienneté).
Dans le cas d’un changement de propriétaire, donc de vente d’un titre ou d’une entreprise, le contrat de travail n’est pas obligatoirement reconduit. Les salariés peuvent être licenciés, alors qu’aujourd’hui la reprise de tous les contrats est obligatoire. Dans les rédactions cette disposition permettra aux patrons d’échapper à la clause de cession, donc au départ éventuel mais choisi du journaliste.
Les ordonnances limitent le délai de recours aux prud’hommes en cas de contestation d’un licenciement et, surtout, prévoient le plafonnement des dommages et intérêts.
La limitation du périmètre d’un plan de licenciement et son motif économique apprécié au seul niveau national va réjouir certains patrons de presse.
Bertelsmann (Prisma Media, M6 et RTL), Mondadori ou encore Altice-SFR, dont les sièges sont situés à l’étranger, pourront ainsi mettre en difficulté leurs filiales françaises pour justifier des licenciements. Augmentation des loyers, redevances payées à la holding pour utilisation du nom et/ou de services pourront justifier les licenciements quand les sociétés-mères vont dégager des profits monstres.
Vos représentants affaiblis
La fusion des institutions représentatives du personnel (délégués du personnel, comités d’entreprises et CHSCT) va affaiblir l’intervention des syndicats et donc vos représentants.
D’une part, en réduisant le nombre de délégués.
D’autre part, en limitant les prérogatives du nouveau Conseil social et économique (CSE). Notamment en limitant les possibilités de recours à des experts (comme les experts - comptables) et la participation aux frais à la charge de l’employeur (le CSE devant prendre en charge ces frais à hauteur de 20 %).
Devant les dangers encourus par la profession et son statut :
Tous en grève et manifestons ensemble le 12 septembre
A Paris RDV à 14h
Place de la Bastille en direction de Place d’Italie
Le CHSCT éparpillé façon puzzle
Clotilde de Gastines et Stéphane Vincent
Les ordonnances présentées hier par le gouvernement actent la disparition du CHSCT. Avec de vraies inquiétudes sur le maintien à droit constant des moyens dévolus aux représentants du personnel sur la santé au travail.
Une ordonnance, « et une sévère » comme le formulait Bernard Blier dans Les tontons flingueurs. Ainsi pourrait-on qualifier la deuxième ordonnance, sur les cinq présentées jeudi 31 août par le gouvernement, qui prévoit la disparition du CHSCT et sa fusion avec les autres instances représentatives du personnel. D’autres chapitres du Code du travail concernant la santé au travail sont également modifiés, sur la pénibilité, la contestation des avis du médecin du travail, etc. Mais le sort réservé au CHSCT est le point qui risque d’avoir le plus d’impact.
En lieu et place des trois instances représentatives du personnel actuelles – délégués du personnel (DP), comité d’entreprise (CE) et comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) –, il n’en resterait donc plus qu’une seule, intitulée « comité social et économique », avec des attributions variables selon la taille de l’entreprise (entre 11 et 50 salariés, plus de 50 salariés). Cette délégation unique sera obligatoire et non plus optionnelle, y compris pour les entreprises de plus de 300 salariés.
Dans ces dernières, ou dans les entreprises dites « à risque » (classées « Seveso », notamment), ou bien encore sur demande de l’Inspection du travail, une commission santé, sécurité et conditions de travail devra être mise en place. Mais elle ne sera qu’une émanation du comité social et économique, constituée de membres de ce dernier et sans personnalité juridique.
Inventaire difficile
Cette disparition du CHSCT se fait-elle à périmètre constant en termes de moyens, voire d’attributions pour les représentants du personnel, comme l’affirme la ministre du Travail ? Rien n’est moins sûr. La partie de bonneteau à laquelle le gouvernement s’est prêté avec les articles du Code du travail rend en effet difficile un inventaire précis des changements opérés. Ainsi, sur la formation en santé-sécurité, par exemple, le texte est peu clair, renvoyant aux règles actuelles concernant le nombre de jours pour les seuls membres de la commission, présents dans les entreprises de plus de 300 salariés. Pour les autres entreprises, les droits en matière de formation sont renvoyés à un décret. L’ordonnance fait de même pour les heures de délégation, le nombre total de représentants, etc.
Un droit d’expertise revu et corrigé
Sur l’expertise, le recul est plus évident. Le comité social et économique devra désormais prendre en charge une partie (20 %) du coût des expertises lancées pour modification importante des conditions de travail, alors qu’elles étaient jusqu’à présent prises en charge intégralement par l’employeur. Celui-ci peut également contester le coût final de l’expertise, ce qui n’était pas le cas auparavant. Quant aux délais de réalisation des études, ils sont eux aussi renvoyés à un nouveau décret.
Retour du médecin-inspecteur du travail
A contrario, la troisième ordonnance vient clarifier un peu les règles concernant la contestation de l’inaptitude et des autres avis du médecin du travail. Le médecin-inspecteur du travail est de nouveau dans la boucle, en lieu et place d’un vague expert judiciaire, et l’employeur devra choisir un médecin auquel seront envoyés les éléments médicaux. Cependant, les honoraires et frais liés à la mesure d’instruction sont mis à la charge de la partie perdante, donc potentiellement opposables au salarié.
Enfin, sur la pénibilité, la cinquième ordonnance prépare le terrain à une rationalisation du compte personnel de prévention. Mais là encore, les éléments principaux sont renvoyés à la rédaction de décrets.
Ces ordonnances sont censées être adoptées au plus tard le 22 septembre en Conseil des ministres. Elles entreront en vigueur immédiatement après leur publication au Journal officiel, au plus tard le 25 septembre.
* Article Web - 01 septembre 2017. Santé et travail :
http://www.sante-et-travail.fr/le-chsct-eparpille-facon-puzzle_fr_art_641_79311.html
Ordonnances réformant le Code du travail : l’escalade du pire
Le Syndicat des avocats de France
1 septembre 2017
Les ordonnances réformant le Code du travail présentées ce 31 août, s’inscrivent dans la droite ligne des quatre lois promulguées en la matière par le précédent gouvernement : loi Sapin de juin 2013, loi Rebsamen et loi Macron d’août 2015, loi El Khomri d’août 2016, mais vont beaucoup plus loin dans la remise en en cause des droits des salariés.
Notre première analyse (non exhaustive) est la suivante.
Comme précédemment, le gouvernement prend prétexte des chiffres du chômage pour transformer la finalité du Code du travail qui était la protection du salarié, partie faible au contrat, en un outil de renforcement du pouvoir de l’employeur et de sécurisation des entreprises.
Comme précédemment, le gouvernement met en place des règles, dont les effets seront exactement contraires à ceux annoncés. Les jurisprudences favorables aux entreprises sont consacrées, voire généralisées par ces ordonnances. Quant à celles favorables aux salariés, elles sont pour beaucoup anéanties. Un exemple : jusqu’à présent, la lettre de licenciement fixait les limites du litige ; désormais, l’employeur pourra adapter la motivation du licenciement, après avoir pris connaissance des arguments de contestation soulevés par le salarié.
Loin de « donner la priorité aux TPE et PME » comme prétendu, les ordonnances privilégient encore les plus grandes entreprises :
• permettre à chaque entreprise d’un même secteur d’activité de définir ses propres règles, y compris en matière de salaire ou de réglementation des contrats précaires, c’est créer les conditions d’une concurrence déloyale qui profitera surtout aux grands groupes, et c’est favoriser un nivellement par le bas des conditions de travail des salariés ;
• limiter au secteur d’activité national l’appréciation du motif économique, c’est permettre aux grands groupes de mettre en place, très facilement, des plans de licenciements même s’ils sont prospères au niveau international.
Loin de « renforcer le dialogue social », les ordonnances réduisent les prérogatives et les moyens des représentants du personnel :
• imposer par ordonnance la fusion des instances représentatives du personnel, alors que la loi Rebsamen permettait déjà de le faire par accord, au motif que très peu d’accords ont été conclus dans ce sens, c’est bafouer la confiance affichée dans les acteurs du dialogue social ;
• fusionner les différentes instances, jusqu’alors spécialisées dans différents domaines (économique, santé et sécurité) et limiter les mandats successifs, c’est conduire à des pertes de compétences ;
• réduire les moyens de fonctionnement, y compris financiers des futurs élus, c’est les contraindre de facto à opérer des choix kafkaïens, par exemple entre la défense de l’emploi et la défense de la santé des salariés.
Loin « d’apporter de nouveaux droits et de nouvelles protections aux salariés », les ordonnances portent atteinte au droit des salariés à un recours effectif et utile :
• baisser le plancher et finalement imposer un plafonnement encore minoré des indemnités en cas de licenciement abusif, c’est d’une part, exonérer les entreprises de l’obligation de tout citoyen d’assumer la responsabilité de ses fautes et pire, leur permettre de les provisionner et c’est d’autre part, nier au salarié le droit de tout citoyen d’obtenir en justice la réparation intégrale de son préjudice ;
• simplifier les plans de départs « volontaires », déjà très peu contrôlés, c’est accroitre à nouveau les possibilités de contourner le droit du licenciement économique ;
• octroyer une présomption de conformité à la loi aux accords d’entreprise, qui constitueront désormais le socle du droit du travail et pourront même être signés par des salariés ne disposant d’aucun accompagnement syndical ou juridique, c’est sécuriser les entreprises au détriment des salariés ;
• réduire les délais de prescription (passés de 30 ans à 1 an entre 2008 et aujourd’hui en matière de licenciement) ou les fixer à deux mois en matière d’accords collectifs, c’est rendre plus difficile encore l’accès au juge.
Cette réforme menée une fois de plus dans la précipitation et sans prise en considération des réalités du monde du travail ne favorisera pas la reprise de l’emploi et de l’économie. Pire, elle risque de conduire à une escalade de la violence dans les entreprises et dans la société.
Le Syndicat des avocats de France appelle le gouvernement à retirer ces ordonnances et à prendre le temps, le cas échéant, de revoir de manière sérieuse et réellement équilibrée le Code du travail. Le Syndicat des avocats de France sera présent le 12 septembre 2017 aux côtés des organisations syndicales et des salariés pour exprimer son profond désaccord avec cette réforme.
* http://lesaf.org/ordonnances-reformant-le-code-du-travail-lescalade-du-pire/
Indemnités plafonnées, salariés sacrifiés !
Syndicat de la Magistrature
« La France est un état de droit social et elle le restera. » C’est par cette formule cynique que le Premier ministre a introduit son propos de présentation des ordonnances du gouvernement en matière de droit du travail. Prétendument destinés à lutter contre le chômage tout en garantissant les droits des salariés (!), ces textes vont à l’encontre des fondements d’un droit destiné originellement à tenter de rétablir un équilibre dans une relation de travail par essence inégale.
L’une des cibles de la démarche est le juge prud’homal et c’est sur le front des licenciements que se situe l’attaque la plus manifeste à son office. Non seulement les délais pour saisir la juridiction sont raccourcis, ses facultés d’appréciation du motif économique du licenciement limitées, mais le principe même de son intervention qui consiste à évaluer la juste et entière réparation du préjudice du salarié en cas de licenciement fautif est atteint.
Selon ces ordonnances, quand un employeur licenciera « sans cause réelle et sérieuse », c’est-à-dire en commettant une faute, il saura par avance combien il lui en coûtera. Des employeurs peu scrupuleux pourront impunément violer la loi sans craindre autre chose que le tarif maximal fixé par le texte. Sauf à
démontrer une discrimination, un harcèlement ou l’atteinte à une liberté fondamentale, le salarié injustement licencié ne verra pas l’intégralité de son préjudice indemnisé.
Le gouvernement a tenté un tour de passe-passe : produire un barème impératif à peine plus favorable que le barème indicatif actuellement en vigueur, sauf pour les salariés ayant le plus d’ancienneté. C’est oublier la distinction essentielle entre un barème indicatif, qui exprime une moyenne et ne s’oppose jamais à une indemnisation plus favorable, et un plafond auquel juges et salariés se heurteront sans faculté d’y déroger. Le seul critère de l’ancienneté éclipsera les conséquences individuelles, matérielles et morales, du licenciement pour le salarié, sans considération pour son environnement ou sa capacité à retrouver un emploi.
Pire encore, en matière de licenciement économique, ces dommages et intérêts ne pourront plus se cumuler au delà du plafond avec certaines indemnités. Le manquement par l’employeur à des obligations essentielles - de consulter les représentants du personnel, en matière de priorité à la réembauche, ou de constitution d’un comité d’entreprise - viendra se fondre dans les dommages et intérêts plafonnés. Et en tout état de cause, le juge sera incité à « tenir compte » des indemnités légales de licenciement, qui sont dues par tout employeur.
Contrairement aux annonces, les salariés des petites entreprises sont plus pénalisés encore : cette fois-ci, c’est le plancher des indemnités qui s’effondre et risque de tirer les dommages et intérêts vers le bas. Et en matière d’emploi, par un effet de seuil, le risque est grand qu’on renonce à embaucher un onzième salarié pour bénéficier de minimas réduits.
La réforme est bâtie sur un leurre. Le droit du travail serait une des causes du chômage de masse, quand nulle étude ne l’a démontré, et les protections de forme, des irritants dont on pourrait se débarrasser sans conséquence, quand chacune de ces règles assure au fond le respect des droits.