Notre rencontre avec François date de 1966. Nous étions alors avec Manuel Bridier, Jean Yves Barrère et Elisabeth Courdurier engagés dans le lancement du cedetim. Le secrétaire à l’organisation du PSU, Marc Heurgon, nous dit alors : parmi les pieds rouges, ceux qui étaient partis en Algérie pour soutenir la construction de l’Algérie indépendante, contactez François Della Sudda. C’était le début de plus de 50 ans de compagnonnage ininterrompu.
François était depuis 1964, en Algérie, président de l’AGEP, association des enseignants affiliée au SGEN (Syndicat Général de l’Education Nationale de la CFDT). Il était connu pour ses positions claires et critiques de la coopération. L’AGEP avait adopté un texte qui sera un des textes de références du cedetim : ‘Ni mercenaires, ni missionnaires, coopérants !
François était respectueux des choix des Algériens. Il n’en gardait pas moins sa liberté de penser et d’apprécier. Il comprenait les difficultés, mais il n’exprimait pas publiquement ses désaccords. Il était plus explicite par rapport aux associations françaises dont il remettait en cause les ambiguïtés par rapport à la coopération et ses continuités avec la colonisation. Le SGEN a expérimenté l’inconfort des amis de François ; ils trouvaient qu’il avait raison d’être critique et intransigeant, mais probablement trop contre ceux qui pensaient avoir fait des efforts.
Quelques années après, à son retour en France, François est directeur de la Maison du Maroc, à la Cité Universitaire de Paris. Il fait preuve d’un amalgame rare entre la rigueur de gestion et le courage politique. La Maison du Maroc est occupée par les étudiants ; François s’interpose et empêche son évacuation. La Maison devient un lieu de défense des libertés au Maroc et dans la Méditerranée. Avec une place spéciale pour la Palestine que François aura toujours au cœur.
Le cedetim soutient des comités de lutte contre la répression et pour les libertés et les comités de solidarité avec les résistances. François est actif dans plusieurs d’entre eux, et notamment, parmi les plus emblématiques, le CLCRM, comité des luttes contre la répression au Maroc et aussi le CRLDHT, comité pour le respect des libertés et des droits humains en Tunisie.
A partir de 1976, le cedetim crée le CICP, Centre International de Culture Populaire, à Paris, au 14 rue de Nanteuil, et à partir de 1994, au 21 ter rue Voltaire. François est une des principales références de cette maison des associations de solidarité internationale qui compte aujourd’hui 85 associations adhérentes. François répond aux demandes des comités, il en préside plusieurs ; il n’est pas facile de savoir combien d’associations comptent sur lui ; lui-même n’en avait probablement pas fait le décompte. C’est par François qu’arrivera Suzanne Humberset une des premières et plus actives permanentes de la maison. Il présidera le CICP de 1986 à 1998.
En 1989, François avec Monique Crinon va préparer le Colloque des droits des femmes du Maghreb, à l’Institut du Monde Arabe. Plus de cinq cents femmes occupent la grande salle de l’IMA. C’est un succès considérable par l’affluence, par les contenus des débats et par l’impact. L’attention minutieuse de François va permettre de transformer en réussite une manifestation improbable.
Nous pourrions multiplier les exemples de sa présence attentive et de sa modestie exigeante. Je prendrai une période pendant laquelle François a su combiner son activité nationale et internationale avec son engagement dans les Yvelines. En 2004, il invite des élèves et des enseignants du Lycée de Mantes la Jolie à participer, avec Monique Crinon et Miguel Benasayag, à des débats publics sur la question controversée des mesures contre le voile. C’est la confiance et le respect qu’il inspire de toute part qui permettent à des personnes engagées sur les positions contradictoires d’accepter d’en discuter.
Permettez-moi, pour terminer de dire quelques mots sur François. François est un ami, un frère choisi. Un de ceux avec qui on s’engage sur une longue route, sur une vie. Avec François, l’amitié n’était pas un long fleuve tranquille ; elle était une exigence de tous les instants.
François était d’une seule pièce. Il était droit. D’une rigueur morale complète. Totalement engagé. Ne supportant pas l’injustice, ni les petits arrangements. Il était tranquillement radical. Il n’en faisait pas un étendard. Mais c’était l’évidence de l’exigence et l’impératif de l’engagement. François ne cherchait pas à se mettre en avant. Mais il se retrouvait au centre des exigences. Et sa présence faisait scandale pour tous les biens pensants
Pourquoi s’engager ? Pour François, cette question n’avait pas de sens ; ce n’était pas discutable. On s’engage parce que c’est normal et qu’il y a tant de choses inacceptables, tant de choses qu’on ne peut pas accepter. Et qu’il faut se méfier des honneurs et des arrangements, alors que la réalité rappelle sans cesse les injustices.
Pourquoi s’engager dans des voies si difficiles, si douloureuses ; avec si peu de chances d’en voir le bout ? Parce que c’est évident et qu’on ne peut pas faire autrement. La justice, l’égalité ne sont pas données. On ne les atteint que par la lutte contre les injustices et les inégalités.
Mais on trouve dans les luttes et dans l’engagement de grandes satisfactions ; celles des rencontres et des amitiés ; celle de la fraternité. Comme disait Paul Nizan, les plus beaux voyages, les plus exotiques, sont ceux que l’on fait dans les autres classes sociales de son propre pays.
Avec son humour pince sans rire, avec ses yeux qui plissent dans son sourire, avec son attention et son humanité que ne cachait pas son exquise politesse ; François était un juste. On en croise si peu ; quand on les reconnaît, on les accompagne.
Gustave Massiah, 25 août 2017