La Corée du Nord a-t-elle les moyens de lancer une attaque nucléaire ?
Longtemps sceptiques, les analystes américains pensent désormais que le pays est quasiment en mesure de lancer une ogive nucléaire miniaturisée.
Un missile intercontinental lancé le 4 juillet par Pyongyang, date de la fête nationale américaine – difficile d’y voir une coïncidence –, a fini sa course dans la mer du Japon, après 930 km de « vol ». Ce tir suit une longue série de démonstrations de force menées par la Corée du Nord dont, en octobre 2006, un premier essai nucléaire.
La question de la réalité de la dissuasion nucléaire nord-coréenne fait débat depuis plusieurs années. Alors qu’il est établi que le régime de Kim Jong-un est capable de faire exploser une bombe atomique, les doutes ont longtemps porté sur sa capacité à lancer une tête nucléaire sur une cible éloignée. Mais de nouveaux éléments publiés dans un rapport de la Defense Intelligence Agency du gouvernement étasunien en juillet font état de progrès technologiques importants.
Ledit rapport estime également que le régime pourrait avoir fabriqué entre 30 et 60 ogives nucléaires. Une estimation que ne partage pas Siegfried Hecker, directeur émérite du Los Alamos National Laboratory, qui a chiffré l’arsenal du pays à 20-25 ogives.
Les ambitions nucléaires de la République démocratique de Corée du Nord remontent aux années 1950. Son programme nucléaire clandestin bénéficiera par la suite de l’aide du père de la bombe atomique pakistanaise, Abdul Qadeer Khan. Le démantèlement du réseau Qadeer Khan en 2004 démontrera que ce dernier a fourni entre autres les plans de construction de têtes nucléaires miniaturisées à la Corée du Nord ainsi qu’à la Libye de Mouammar Kadhafi.
Cinq essais nucléaires de faible puissance
Le 9 octobre 2006, la Corée du Nord procède à son premier essai nucléaire, dans le nord-est du pays. L’Institut d’études géologiques des Etats-Unis (USGS) ayant fait état d’un séisme de magnitude 4,3, la puissance estimée de cette première bombe reste très faible : moins de 1 kilotonne, ce qui correspond à la puissance dégagée par 1 000 tonnes de TNT (soit quinze fois moins que Little Boy, la bombe américaine larguée sur Hiroshima le 6 août 1945).
Trois autres essais nucléaires suivront : en 2009, 2013 et 2016. A chaque fois, les relevés sismologiques ont confirmé la nature atomique de l’explosion, celles-ci ayant dégagé une puissance faible allant de 2 à 9 kilotonnes, soit toujours moins que les premières bombes américaines.
Les quatrième et cinquième essais du 6 janvier et du 9 septembre 2016 ont été plus puissants, atteignant respectivement 6 à 8 kilotonnes et 20 à 30 kilotonnes (selon les estimations récentes). Une puissance suffisante pour que le régime nord-coréen annonce avoir la maîtrise de la bombe H, une bombe nucléaire plus puissante, d’un type différent puisqu’elle utilise l’énergie libérée par la fusion d’atomes d’hydrogène au lieu d’une réaction en chaîne de fission d’atomes lourds.
Les experts en armement estiment cependant que la puissance développée par ces deux essais est trop faible pour être le fruit d’armes thermonucléaires, il s’agit plus probablement de bombes atomiques « classiques » (c’est-à-dire des bombes à fission).
Une bombe thermonucléaire est bien plus compliquée à produire, notamment parce que les atomes d’hydrogène ne peuvent fusionner qu’à une température extrême (de plusieurs dizaines de millions de degrés Celsius), que seule une bombe atomique est capable d’atteindre. Une bombe à hydrogène ne peut donc être amorcée qu’avec une bombe atomique à fission.
Des capacités balistiques en progression constante
Depuis le milieu des années 1990, Pyongyang tente de développer ses propres missiles balistiques intercontinentaux capables d’emporter une lourde charge utile sur une longue distance. Les Taepodong sont la série de missiles balistiques la plus avancée et la plus performante développée par le pays, le Taepodong-3 (plus souvent appelé Unha-3) étant le dernier représentant de cette série.
Ce missile d’une trentaine de mètres de haut est composé de trois étages et a un rayon d’action estimé à 12 000 kilomètres, une portée stratégique suffisante pour frapper le territoire américain, situé à plus de 8 000 kilomètres de la péninsule coréenne.
Unha-3 a été lancé pour la première fois le 13 avril 2012, mais le lancement fut un échec puisque la fusée explosa environ 80 secondes après le décollage. Une seconde tentative quelques mois plus tard, en décembre 2012, fut un succès et envoya le premier satellite nord-coréen dans l’espace. Le tir du 7 février, un mois après le quatrième essai nucléaire, fut donc le troisième essai de ce lanceur. La fusée à trois étages a placé avec succès un petit satellite d’observation terrestre appelé KMS-4 (d’environ 200 kg) sur une orbite basse, stabilisée depuis le lancement.
L’Unha-3 tiré le 7 février a visiblement été amélioré depuis le tir de décembre 2012. Après une analyse des débris et du combustible tombé en mer, le ministère de la défense sud-coréen a estimé à l’époque que la charge utile du missile pouvait atteindre 500 à 600 kg. Cette fois, les données rassemblées laissent à penser qu’Unha-3 peut emporter jusqu’à une tonne de charge utile dans sa coiffe.
Lanceur civil ou missile intercontinental ?
Un lancement réussi ne prouve pas que les Nord-Coréens maîtrisent suffisamment la technologie des lanceurs au point de disposer d’une force de frappe nucléaire. Frapper une cible lointaine avec une charge nucléaire est très différent du lancement d’un satellite léger sur une orbite basse. Bien qu’une fusée et un missile balistique soient technologiquement proches, ils répondent à des besoins très différents.
Le lancement d’une fusée civile est préparé pendant plusieurs semaines et la fusée est alimentée en carburant quelques jours avant le lancement. Ce dernier est précédé de longues phases de vérifications et totalement conditionné par les conditions météo. A l’inverse, un missile intercontinental a une visée militaire et doit pouvoir décoller immédiatement, dans toutes les conditions météorologiques possibles sans perte de précision ni de fiabilité.
Si Unha-3 est parvenu à placer son satellite à une orbite de 450 kilomètres, il n’est pas configuré pour frapper une cible lointaine. Selon une analyse de Michael Elleman de l’Institut international pour les études stratégiques, les second et troisième étages de l’Unha-3 ne peuvent fournir la poussée nécessaire pour une trajectoire balistique. Le second étage est un missile soviétique Scud modifié, tandis que le troisième étage n’est équipé que de moteurs d’appoint. La poussée totale d’un Unha-3 ne lui permettrait pas d’atteindre l’altitude moyenne d’un missile intercontinental (environ 1 000 kilomètres) avant de retomber sur Terre.
Des obstacles technologiques en passe d’être levés
Trois obstacles technologiques principaux se posent aux pays souhaitant développer une force de frappe nucléaire : la miniaturisation de la charge, le guidage du missile et la rentrée atmosphérique du missile. On estime que la Corée du Nord a franchi le premier.
Jusqu’à mi-2016, les services de renseignement estimaient que les Nord-Coréens n’avaient pas encore réussi à miniaturiser leurs armes atomiques suffisamment pour les loger dans la coiffe d’un missile balistique. Les progrès récents et la multiplication des tirs de missile depuis quelques mois indiquaient déjà aux chercheurs que cette hypothèse n’était plus à exclure.
Mais le rapport de la Defense Intelligence Agency du 28 juillet, auquel le Washington Post a eu partiellement accès, montre que le pays a réussi à miniaturiser une ogive nucléaire. « Il faut maintenant présumer du plus mauvais scénario », analyse Matthew Cottee, chercheur à l’Institut international pour les études stratégiques (IISS), pour qui « le risque de ne pas les en croire capables est que cela pourrait les inciter à faire un test grandeur nature qui mènerait potentiellement à de promptes réactions militaires ». Le ministère de la défense japonais a également conclu que les Nord-coréens maîtrisent la miniaturisation.
Les ingénieurs de la Corée du Nord s’attellent à résoudre la seconde difficulté majeure qu’est le guidage des missiles intercontinentaux. Le guidage électronique requis pour frapper une cible de quelques kilomètres carrés après un voyage de 10 000 kilomètres doit être extrêmement précis. Un missile intercontinental doit être capable de se géolocaliser dans l’espace afin de calculer lui-même sa trajectoire de vol, ce qui requiert une technologie et des calculs complexes.
Il reste également aux Nord-coréens à résoudre le problème de la rentrée atmosphérique du missile. Lorsqu’un missile intercontinental retombe vers la Terre, sa vitesse de rentrée est telle que la pression atmosphérique devient extrême sur la tête du missile. La température pouvant grimper jusqu’à plus de 10 000 °C, un bouclier thermique est indispensable pour protéger l’intégrité du missile. Des analyses vidéos des tests récents suggèrent que les missiles se sont désintégrés avant d’atteindre le sol, cela pourrait indiquer que le régime n’est pour l’instant pas parvenu à franchir cette étape.
Pour les pays occidentaux, obtenir des renseignements fiables sur les technologies employées par ces missiles devient de plus en plus difficile. Les images satellites indiquaient en février 2014 que les Nord-Coréens développaient plusieurs structures souterraines dans leur centre spatial de Sohae. Plusieurs routes partant des bâtiments d’assemblage ont également été construites, et un onzième étage a été ajouté à la tour de lancement, permettant théoriquement à des lanceurs de 50 mètres d’être lancés depuis ce site.
Mise à jour du 9 août 2017 à 17 h 50 : mise à jour générale de l’article suite aux éléments de renseignement publiés par la Defense Intelligence Agency.
Gary Dagorn