Malika Charles – Pour ceux que tu as rencontrés, quel est ton sentiment ?
Driss El Kherchi – Nous sommes au courant qu’une centaine de mineurs marocains isolés errent dans les rues du quartier Barbès-La Chapelle, depuis plusieurs mois (janvier 2017). Nous avons interpellé les agents municipaux à ce sujet, qui nous ont expliqué que ces mineurs sont pris en charge par différentes associations, et que la Mairie de Paris a mis en place un dispositif pour les mettre à l’abri, et que c’était un travail difficile.
Depuis plusieurs semaines, quelques-uns de ces mineurs se sont rapprochés de nous et ont commencé à venir dans notre local, situé à quelques mètres du square Alain Bashung, cherchant du soutien (de quoi manger, des cigarettes, charger leur téléphone, se connecter sur Internet …) Nous avons commencé à tenter des démarches de mises à l’abri en appelant différents services, notamment le jeudi 13 juillet, en milieu d’après-midi, où un groupe de 6 mineurs était décidé à aller en foyer.
Ce jour-là, on a contacté la cellule nationale pour mineurs non accompagnés, qui nous a orientés vers l’association Hors la rue, située à Montreuil. Jointe au téléphone, celle-ci nous a précisé que pour une mise à l’abri dès le soir-même de ces mineurs, il fallait les emmener au commissariat de police du 18e, à charge pour ce dernier de les accompagner dans un foyer. Nous joignons alors au téléphone le commissariat de la Goutte d’Or, qui lui nous informe de son côté, que les mineurs n’ayant commis aucune infraction, il n’y a pas besoin d’être accompagnés par la police en foyer, ceci suite à la directive reçue du Parquet. Il nous a été indiqué de prendre contact avec la CRIP (Cellule de recueillement et d’informations préoccupantes), ce que nous avons fait. Mais cette cellule nous répond que le passage de ces mineurs par le commissariat est obligatoire avant une admission dans les foyers.
Nous décidons alors d’emmener les 6 mineurs au commissariat, (après une longue discussion avec eux). Nous étions en tout 3 adultes. Une fois sur place, l’un des policiers a contacté le Parquet, pour venir nous redire que sa position était claire : des mineurs n’ayant rien commis n’ont pas à être accompagnés par la police. Résultat, quadrature du cercle ou labyrinthe kafkaïen, les mineurs sont restés dans la rue.
C’était le long week-end du 14 juillet 2017 pour les jeunes mineurs isolés marocains…
Aujourd’hui, ce vendredi 21 juillet, est-ce qu’il y a du nouveau ?
Hélas, aucune solution, en termes de protection de ces mineurs, n’a été apportée par les institutions habilitées. C’est notre constat, puisque ces mineurs sont toujours dans la rue. Ils continuent, pour certains, de venir dans notre local, à la recherche de soutiens (nourriture, repos etc …) Si on doit parler d’une avancée, elle se situe à deux niveaux :
Le premier : nous avons été reçus par le commissaire du 18e qui nous a précisé que l’accueil de ces mineurs, jusqu’à 17h30/18 heures, peut être sollicité directement auprès de la Croix-Rouge chargée du DEMIE (dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers) et de la CRIP ainsi qu’auprès des autres structures d’accueils des mineurs. Et qu’au-delà de 18 heures, ses services assureront l’accompagnement des mineurs isolés.
Le second : L’association Hors la rue a parlé d’un renforcement pour le suivi de ces mineurs dans le quartier. Il est prévu de voir avec nous comment nous pouvons leur apporter un soutien dans leur mission.
Conclusion ? …
Il est inadmissible, en République française, où la loi stipule que tout mineur isolé non accompagné (donc en danger) doit bénéficier d’une protection, de constater que depuis plusieurs mois, les moyens mis en œuvre pour cette mission de service public sont complètement insatisfaisants. Ce qui n’enlève rien au travail effectué par ces différents services, confrontés à des problématiques qui semblent les dépasser.
A noter aussi que nous n’avons pas entendu parler d’une intervention quelconque de l’ambassade du Maroc ou des consulats marocains, rien n’a été proposé par les autorités marocaines ici à Paris à ces mineurs marocains.
Aujourd’hui, des mineurs sont toujours dans la rue, avec tout ce que cela comporte comme danger. Beaucoup sont très fragilisés par manque de nourriture, de sommeil, et de prise de stupéfiants.
A rappeler aussi que malheureusement, ces mineurs marocains sont à ajouter à une longue liste de mineurs isolés étrangers qui dorment dans la rue.
Pour ce qui concerne l’ATMF, des militant.e.s ont pris l’engagement de continuer à apporter, selon nos moyens, le soutien nécessaire à ces mineurs pour une protection et une mise à l’abri le plus rapidement possible. Nous sommes conscients de la difficulté de cette tâche, mais nous allons nous appuyer sur tous les services et toutes les compétences qui peuvent nous aider.
Entretien réalisé par Malika Charles