La polémique à propos des responsabilités françaises dans la rafle des Juifs de la région parisienne n’a pas débuté lors de la commémoration du 16 juillet. C’est en effet la cheffe du FN et son adjoint Florian Philippot qui ont lancé début avril une offensive à propos du Vel d’Hiv’, lors d’une campagne déjà marquée par de nombreuses déclarations antisémites de responsables FN [1].
Dans l’émission « Le Grand Jury RTL-LeFigaro-LCI » du 9 avril [2], la cheffe du FN est interrogée sur son programme prônant « la promotion du roman national et le refus de repentance ». Il lui est demandé si Jacques Chirac avait eu tort de prononcer son discours de 1995 sur le Vél’ d’Hiv, dans lequel il avait reconnu la responsabilité de la France. « Je pense que la France n’est pas responsable du Vél’ d’Hiv », a t-elle répondu, avant de développer dans une argumentation manifestement très préparée : « … La France a été malmenée dans les esprits depuis des années. En réalité, on a appris à nos enfants qu’ils avaient toutes les raisons de la critiquer. De n’en voir que peut-être que les aspects historiques les plus sombres. Je veux qu’ils soient à nouveau fiers d’être Français. »
Que disait alors Jean-Luc Mélenchon ?
Réagissant aux propos de Marine Le Pen, il avait estimé que ce qu’elle avait dit « déclench[ait] des polémiques absolument inutiles. L’Histoire de France a fait que les présidents successifs ont fait évolué la question et le regard que l’on portait dessus. » « Pourquoi rallume-t-elle cette querelle ? Pour blesser ? », se demandait-il alors . « Le président Chirac a dit une fois une chose ( discours de 1995 ). Tâchons de nous tenir à une continuité dans notre regard sur l’histoire. » « Sur cette affaire, il devient très difficile de dire que personne n’y est pour rien, alors que c’est la police française qui a organisé la rafle (...) Ça blesse, ça crée une polémique inutile. » « La République française n’est pas coupable mais la France l’est », notait-il." Donc une réaction certes modérée à l’égard de la chef frontiste, mais clairement dans l’esprit du discours de Chirac en 1995.
Puis quelques semaines plus tard, à l’occasion de la commémoration du 75e anniversaire de la même rafle, le chef de la FI dit exactement l’inverse et se retrouve ainsi aux côtés du FN ainsi que de Sarkozy, pourfendeur de la repentance française y compris à l’égard de la Shoah [3].
Mélenchon écrit : « Après cela, déclarer que la France est responsable de la rafle du Vel d’Hiv’ est là encore un franchissement de seuil d’une intensité maximale. Mais dire que la France, en tant que peuple, en tant que nation est responsable de ce crime c’est admettre une définition essentialiste de notre pays totalement inacceptable... » . Jamais, à aucun moment, les Français n’ont fait le choix du meurtre et du crime antisémite ! Ceux qui ne sont pas juifs ne sont pas tous, globalement et en tant que Français, coupables du crime qui a été commis à ce moment-là ! Tout au contraire, par sa résistance, ses combats contre l’envahisseur et par le rétablissement de la République dès que celui-ci a été chassé du territoire, le peuple français a prouvé de quel côté il était réellement. Il n’est pas au pouvoir de Monsieur Macron d’assigner tous les Français à une identité de bourreau qui n’est pas la leur ! Non, non, Vichy ce n’est pas la France !"
JLM choisit de caricaturer et de déformer les propos de Macron. Ce dernier n’a fait qu’actualiser le discours de Chirac en 1995 en y introduisant une référence évidente à Marine Le Pen et en rappelant de la III e République était déjà ravagée par le racisme et l’antisémitisme, notamment lors des émeutes fascistes de 1934 et lors de l’accession au pouvoir du Front Populaire et de Léon Blum.
Macron met en valeur le rôle des résistants les plus précoces, en les opposant à ceux qui collaborent avec les nazis. Il est bien loin d’« assigner tous (!) les Français à une identité de bourreau » comme Jean-Luc Mélenchon ( JLM) fait semblant de le croire. Au passage, il semble impliquer que contrairement aux Français, d’autres populations auraient « fait le choix du meurtre et du crime antisémite ». Il s’agit d’une allusion assez limpide à l’Allemagne et au prétendu vote majoritaire pour les nazis en 1933 [4]. Sarkozy, dans sa volonté de combattre ce qu’il nommait le « repentance » française avait tenté en son temps une explication du même type en déclarant : « Qu’un grand peuple démocratique (allemand NDLR) participe par son vote à la folie nazie, c’est une énigme. Il y a beaucoup de nations à travers le monde qui traversent des crises sociales, monétaires, politiques, et qui n’inventent pas la solution finale ni ne décrètent l’extermination d’une race. Mieux vaut admettre qu’il y a là une part de mystère irréductible plutôt que de rechercher des causes rationnelles. »
Quelle est donc l’explication de la « contradiction » entre les différentes postures de JLM ?
Il est hélas probable que c’est sa dernière déclaration en date qui représente le fond de sa position. Sa réaction contre les déclarations de Marine Le Pen est quant à elle liée au climat de la campagne présidentielle.
En effet Mélenchon se place, une fois de plus, dans le sillage de celui qu’il présente comme son inspirateur et modèle politique, c’est à dire François Mitterrand. Il reprend d’ailleurs quasiment mot pour mot les termes que ce dernier utilisait afin de minimiser les responsabilités françaises dans la responsabilité des autorités françaises, au prix d’arguties juridiques de mauvaise foi.
Car Mitterrand n’a pas du tout été « mutique » à propos de la rafle et plus généralement à propos de la persécution des Juifs sous Vichy [5], contrairement à ce que Macron a choisi de dire diplomatiquement lors de son discours . Au contraire, il a maintes fois marqué son inclinaison pour l’ambiguïté, le mensonge, et la dissimulation.
On connait son amitié et sa complicité maintenues pendant de très longues années avec René Bousquet, chef suprême de la police de Vichy et signataire des accords dits « Bousquet-Oberg » (général SS, chef supérieur de la SS et de la police en zone occupée) établissant la déportation des Juifs et la place centrale de la police française dans ce processus. Bousquet est l’organisateur de la rafle du Vel’d’Hiv’ ainsi que celle de Marseille en 1943.
Le sachant parfaitement, Mitterrand agira afin de retarder le procès qui doit enfin s’ouvrir contre son ami Bousquet au milieu des années 1980. C’est ce qu’établissent les juristes de la mission de la FIDH qui font savoir que « il y a une décision politique au plus haut niveau de ne pas faire avancer l’affaire Bousquet ». Après une nouvelle plainte pour crimes contre l’Humanité déposée contre lui en 1989, Bousquet comme beaucoup d’autre bourreaux ne sera jamais jugé, car assassiné en 1991.
Mais il y a un autre fait : chaque 11 novembre de 1987 à 1992 Mitterrand a fait déposer une gerbe de fleurs présidentielle sur la tombe du Maréchal Pétain, à l’île d’Yeu, au prétexte du rôle de ce dernier lors la première guerre mondiale (au cours de laquelle il fut d’ailleurs particulièrement actif dans le massacre des soldats révoltés )
Les associations de résistants et de victimes du nazisme avaient beau protester unanimement, rien n’y faisait. En 1992 le scandale fut plus important, car une large campagne publique se déroulait contre ce geste de révérence à l’égard du chef de la collaboration.
Du coup, le préfet de la Vendée, chargé par la présidence de la République de fleurir la tombe au nom du chef de l’Etat le 11 novembre, dut attendre cette année-là 17 h 15 pour se rendre en hélicoptère sur l’île d’Yeu, lieu de sépulture de Pétain, par crainte d’être confronté aux manifestants . C’était juste après que Serge Klarsfeld et la quarantaine de personnes l’accompagnant eurent pris le dernier bateau régulier de retour de l’île. Ils étaient venus « s’assurer qu’une gerbe ne sera plus déposée sur la tombe de Pétain par le président de la République ». Au bout du compte, la gerbe du préfet côtoyait celles déposées dans les heures précédentes par Jean-Marie Le Pen et par « l’Association nationale Pétain Verdun » (ANPV, émanation des nostalgiques de Vichy).
Devant l’ampleur du scandale, Mitterrand fut contraint de suspendre l’hommage à Pétain à partir de 1993, c’est à dire à la toute fin de son deuxième septennat .
Or, c’est Pétain qui a promulgué le statut discriminatoire des Juifs dès 1940 et l’a même personnellement aggravé par des annotations. C’est lui qui a instauré la collaboration avec Hitler et l’Allemagne nazie.
On comprend dès lors que Mélenchon, disciple revendiqué de Mitterrand, préfère semer le confusion sur les responsabilités des uns et des autres dans la déportation des Juifs de France, afin de protéger la mémoire de son mentor .
Mais il y aussi une autre affaire d’Etat qui implique Mitterrand, dans le contexte d’un génocide plus récent dans le quel la France est mêlée : celui des Tutsi au Rwanda en 1994. Ce dernier est revenu récemment sur le devant de la scène, en raison des révélations de la revue XXI et des plaintes déposées, d’une part contre la banque BNP, et d’autre part contre les autorités françaises de l’époque [6]. Au premier rang de celles-ci Mitterrand, alors président dans le cadre de la cohabitation et le secrétaire général de l’Elysée Hubert Védrine, actuellement président de l’Institut François Mitterrand et gardien de ses secrets [7].
Mitterrand et Védrine étaient particulièrement complaisants à l’égard des chefs Hutu génocidaires, considérés comme favorables à la France car francophones, alors que les dirigeants Tutsi, qui avaient dû se réfugier en Ouganda, étaient considérés comme favorables au monde anglophone. De plus Mitterrand défendait la thèse négationniste du « double génocide », selon lequel les torts étaient partagés entre génocidaires et victimes. Ainsi après le sommet franco-africain de Biarritz en 1994, il lance à un journaliste qui l’interroge [8] : “De quel génocide, parlez-vous, monsieur ? De celui des Hutus contre les Tutsis ou de celui des Tutsis contre les Hutus ?”
A nouveau il devient nécessaire pour les fidèles de Mitterrand, dont Mélenchon, de protéger la mémoire de l’ancien président à propos des responsabilités françaises dans des génocides. On pourrait d’ailleurs mentionner également le guerre d’Algérie et les positions de Mitterand à l’époque.
D’autres éléments s’ajoutent à cette filiation politique revendiquée par Mélenchon :
D’une part le nationalisme qui a dominé la campagne présidentielle du leader de la FI . Elle illustrait la volonté de JLM de mettre en avant une position nationaliste « française », baptisée « gaullo-mitterandienne », susceptible de toucher, voire d’attirer des secteurs de la droite française.
On retrouvait cette volonté « cocorico » lors des grandes manifestations, marches et meetings de la « France Insoumise » [9]. A cette occasion les organisateurs, c’est à dire l’équipe rapprochée de JLM, ont veillé à diffuser massivement et gratuitement des milliers des drapeaux bleu-blanc-rouge, afin qu’on voie et comprenne bien que la nationalisme français (rebaptisé patriotisme) était au cœur de leur action
De nouveau, dans la la crise autour du chef d’état-major De Villiers, on assiste au spectacle de son porte-parole Alexis Corbière qui roucoule, la voix tremblante, à propos de ce général qui serait « un homme intègre et honnête », comme il l’aurait découvert, tout ému et fier, lors d’une réunion à l’Assemblée nationale.
D’autre part on retrouve une particulière insensibilité, doublée d’ignorance à l’égard des persécutions antisémites.
Ainsi, en mars 2011 l’UMP s’est lancée dans une campagne visant à discréditer Strauss-Kahn qui apparaissait à l’époque comme le favori des sondages. Pour le dissuader de se présenter, les dirigeants UMP se montraient prêts à recourir à des attaques fortement teintées d’antisémitisme.La première salve était venue de Christian Jacob, président des députés UMP . Elle faisait référence aux « terroirs » dont DSK serait exclu, selon le modèle des attaques contre Léon Blum et Pierre Mendès-France, eux aussi accusés de ne pas avoir de « racines françaises ». On retrouve aussi cette thématique dans les persécutions et procès staliniens des années 50 contre les « cosmopolites » Juifs.
Mélenchon éprouvait le besoin de réagir ainsi sur son site aux attaques de Christian Jacob :
« …J’en profite pour dire que la façon de surévaluer deux phrases de Christian Jacob sur un tel thème, dans ce registre, de cette façon, aggrave le mal qu’elle prétend dénoncer. Qui a intérêt à incriminer d’antisémitisme dans une déclaration de cette sorte ? Pour menacer tous ceux qui s’opposeraient à Strauss Kahn d’antisémitisme ? La ficelle est grosse ! Surtout que l’accusation est particulièrement vicieuse. Sachant que l’antisémitisme n’est pas une opinion mais un délit en France grâce à la loi Gayssot (PCF) (erreur importante et embarrassante de Mélenchon : la loi Gayssot ne condamne pas l’antisémitisme mais la négation de la Shoah NDLR) on voit quel procédé inquisitorial et venimeux est ainsi mis en scène... Christian Jacob n’est pas un antisémite. C’est juste un gros agrarien archaïque !... »
Mélenchon faisait ainsi mine d’ignorer à quel point le recours à l’antisémitisme avait structuré les campagnes de la droite contre Léon Blum et Mendès-France sur le thème du « manque de racines ». Il semblait aussi ignorer qu’une partie de la gauche se présentant comme « nationale » avait repris ce type de thème. Ainsi le PCF avait de nombreuses fois attaqué Léon Blum en utilisant des descriptions physiques et intellectuelles copiées de l’univers de la droite extrême. Ainsi Georges Marchais avait-il en mai 1968 attaqué « l’anarchiste allemand Cohn Bendit » ; des centaines de milliers de manifestants qui avaient compris son allusion antisémite lui avaient alors répondu pertinemment dans la rue : « Nous sommes tous des Juifs allemands ». Dans on sillage, le « républicain national » Chevènement avait qualifié le même Cohn-Bendit de « représentant des élites mondialisées » que les Verts sont allés chercher en « Allemagne » (10 janvier 1999 sur TF1)
Le très grave écart de Jean-Luc Mélenchon à propos du Vel d’Hiv’ provoque déjà de nombreuses interrogations et réactions, y compris au sein de la France Insoumise.
Il est important que sa position soit battue en brèche, car elle met en cause un acquis fragile de la mémoire historique des crimes du vingtième siècle et le sens même du combat pour l’émancipation humaine.
Albert Herszkowicz