Au moins, les deux chefs d’Etat sont tombés d’accord sur un point. Au cours d’une conversation téléphonique, lundi 3 juillet, le président chinois, Xi Jinping, et son homologue américain, Donald Trump ont fait le constat commun d’une dégradation de la relation entre leurs pays. Les liens sont « affectés par des facteurs négatifs », a dit M. Xi. Quant à M. Trump, il a menacé d’agir seul sur l’épineux dossier nord-coréen. Vingt-quatre heures plus tard, Pyongyang réalisait son premier tir réussi d’un missile intercontinental, capable d’atteindre l’Alaska, faisant éclater au grand jour les tensions entre Pékin et Washington.
Les Etats-Unis ont confirmé qu’il s’agissait d’un missile de longue portée et demandé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité des Nations unies. « Peut-être que la Chine se montrera dure sur la Corée du Nord et en finira une bonne fois pour toutes avec ce non-sens ! », a réagi M. Trump sur Twitter. Ajoutant à la tension, les Etats-Unis ont organisé un exercice militaire, mercredi, dans les eaux proches de la péninsule coréenne, tirant une série de missiles et menaçant d’employer « le plein éventail des moyens à notre disposition contre cette menace croissante », selon les mots de Dana White, porte-parole du Pentagone.
Dans ce contexte, l’entrevue organisée entre M. Xi et M. Trump au sommet du G20 de Hambourg, cette fin de semaine, s’annonce bien plus froide que leur première rencontre, en avril. A l’époque, le président américain lui avait fait visiter son palace de Mar-a-Lago, en Floride, et loué leur « amitié ». Même s’il reconnaissait, déjà candide : « Jusqu’à présent je n’ai rien obtenu, absolument rien », il n’en anticipait pas moins une « très, très bonne relation ».
« Prisonnier d’une seule question »
Dans ses déclarations publiques, M. Trump a conditionné la relation sino-américaine, pourtant à tiroirs multiples, au seul dossier nord-coréen. « Pourquoi est-ce que je qualifierais la Chine de manipulateur de devises alors qu’ils travaillent avec nous sur le problème nord-coréen ? », s’interrogeait-il le 16 avril. Du point de vue chinois, il est d’autant plus maladroit de s’être enfermé sur ce sujet que des avancées positives sont peu probables à court terme. « Il s’est rendu prisonnier d’une seule question, ce n’est pas une bonne stratégie. Avec Obama, il y avait de nombreux désaccords, mais aussi des zones de compromis, comme la lutte contre le changement climatique ou le libre-échange », constate Shi Yinhong, professeur de relations internationales à l’Université du peuple, à Pékin.
De l’aveu même de la Corée du Nord, ce n’est pourtant pas du côté chinois que la solution est à rechercher, mais dans un accord direct entre Washington et Pyongyang. « La balle est dans le camp des Etats-Unis, mais ils rejettent leur responsabilité sur la Chine, affirmait en juin Kim Yong-il, chef de la délégation générale de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) en France, équivalent d’une ambassade en l’absence de relations diplomatiques formelles. Il y a un an, nous avons déjà demandé aux Etats-Unis de suspendre leurs exercices militaires en même temps que nous cesserions nos tests nucléaires et balistiques. Ils ont refusé. » A l’issue d’une rencontre à Moscou entre Xi Jinping et Vladimir Poutine, la Russie a rejoint, mardi 4 juillet, cette même proposition, avancée de longue date par la Chine, d’une suspension parallèle des essais nucléaires et balistiques nord-coréens et des exercices militaires Etats-Unis-Corée du Sud.
Les Etats-Unis préfèrent, pour l’heure, blâmer la Chine. Le département du Trésor a placé sur liste noire, jeudi 29 juin, la Banque de Dandong, un établissement financier de la ville qui est le principal point de passage du commerce entre la Chine et la RPDC. Le même jour, le département d’Etat approuvait une vente d’armes à Taïwan pour un montant de 1,42 milliard de dollars (1,25 milliard d’euros). Un geste qui, « sans nul doute, sape la confiance mutuelle », a déploré l’ambassadeur chinois à Washington, Cui Tiankai. Enfin, dimanche 2 juillet, un destroyer américain a navigué à proximité de Zhongjian, une île sous contrôle chinois en mer de Chine méridionale.
« La lune de miel entre Xi et Trump est terminée, estime le professeur Shi. Il y a eu trop d’illusions et on est revenu à la normale. » L’enthousiasme précoce de M.Trump, qui l’avait incité à cajoler le président Xi Jinping afin qu’il réprime la Corée du Nord, est un échec. « Une déception prévisible », selon le New York Times.
La capacité pour Pyongyang d’atteindre les Etats-Unis « changerait tous les calculs », comme l’a déclaré récemment l’ancien secrétaire à la défense, William Perry. Et limiterait encore un peu plus les options américaines. Ce que les Nord-Coréens ont accompli mardi n’était qu’une percée, pas une démonstration probante de leur portée nucléaire. Mais, bien qu’il ait déclaré sur Twitter, début janvier, qu’un test nord-coréen de missile balistique intercontinental capable d’atteindre les Etats-Unis « ne se produira pas », le président américain n’a pas tracé de « lignes rouges » explicites à l’encontre de Pyongyang.
Manque d’options
M. Trump n’a même pas repris la ligne définie par le président George W. Bush en octobre 2006, après le premier essai nucléaire : l’ancien président menaçait alors de tenir la Corée du Nord « pleinement responsable », c’est-à-dire susceptible de représailles, si elle partageait sa technologie nucléaire avec un autre pays ou un groupe terroriste.
Cette année-là, dans un texte publié dans le Washington Post, M. Perry avait plaidé pour des frappes préventives : « Si la Corée du Nord persiste dans ses préparatifs de lancement, les Etats-Unis devraient immédiatement dire sans ambages leur intention de frapper et de détruire » le missile sur le pas de tir. Jetant une lumière crue sur le manque d’options de Washington, M. Perry a confié récemment que ce qu’il considérait comme « une bonne idée à l’époque » n’est plus envisageable aujourd’hui. La Corée du Nord a entre-temps développé un arsenal trop diversifié pour qu’une telle frappe soit réellement efficace.
Nicolas Bourcier et Harold Thibault