Comment fonctionne l’Appo et qui y retrouve-t-on ?
Florentino Lopez - L’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca (Appo) est un front uni qui représente tout le peuple d’Oaxaca, c’est-à-dire que, dans l’Assemblée, sont représentées les communautés indigènes, les différentes municipalités de l’État, plusieurs maires, la quasi-totalité des organisations sociales et politiques de l’État, les syndicats, les étudiants, des commerçants, des gens des quartiers, etc. Il n’y a pas de limite à la représentativité dans l’Appo, puisqu’elle réussit à agglutiner tous les secteurs de la population. Formellement, l’Appo s’est créée le 20 juin 2006. Elle se définit comme une structure capable de représenter tout le peuple, suivant plusieurs règles de fonctionnement. Tout d’abord, c’est une structure horizontale, il n’y a pas de dirigeant ou de secrétaire général. On dispose d’une direction collective provisoire, composée de 60 camarades et divisée en commissions. Mais tout le fonctionnement est collectif. D’autres structures, aux niveaux régional, municipal et dans les communautés rurales, fonctionnent sur le même mode. Enfin, il y a une assemblée plénière, où tous les délégués des municipalités, des quartiers et des organisations participent : c’est l’autorité suprême de l’Appo.
L’Appo a comme principe de remettre en place le système d’organisation politique et social qui gouverne les seize peuples indigènes de l’État d’Oaxaca. Elle reprend le principe de l’assemblée communautaire, principale autorité dans les villages. L’Appo veut proposer une autre forme d’organisation que le modèle présidentiel et paternaliste que nous avons au Mexique - l’idée qu’un seul homme dirige le destin du peuple d’Oaxaca.
Quelles sont vos revendications ?
F. Lopez - Pour comprendre nos revendications, il est nécessaire de rappeler que ce mouvement a commencé avec des demandes sociales et syndicales de la section 22 du Syndicat national des travailleurs de l’Éducation nationale (SNTE), qui regroupe 70 000 enseignants. Cependant, comme le gouvernement n’a pas répondu à ces demandes mais, au contraire, a violemment réprimé les enseignants, le peuple d’Oaxaca est descendu dans la rue, il a affronté la police et a repris le zocalo, la place centrale de la ville. À partir du 14 juin, la première revendication a été la démission du gouverneur. Le jour où ce monsieur partira, on aura d’autres revendications et on réaffirmera nos demandes sociales.
C’est important de souligner que, dans la tradition indigène d’Oaxaca, il n’est pas rare de changer d’autorité municipale quand celle-ci ne répond pas aux besoins du peuple. Si elles ne font pas bien leur travail, les autorités sont punies. Dans la pensée indigène, un mandat politique est un service à la communauté, et non un tremplin pour une carrière politique et personnelle. Les autorités ne sont d’ailleurs pas rémunérées pour ce travail.
Comment jugez-vous l’appui de la population à ce mouvement contre le gouverneur Ulises Ruiz ?
F. Lopez - Nous savons qu’il est important. D’abord, parce que nous avons mobilisé, à plusieurs reprises, un million de personnes dans la capitale, bien que beaucoup n’aient pas les moyens matériels de se rendre en ville. Mais, dans les villages, les gens ont décidé, en assemblée, que leurs représentants devaient participer à l’Appo. Aussi, pendant près de six mois, nous avons dressé plus de 3 000 barricades. Chaque quartier faisait ses barricades, fermait ses rues et s’organisait afin d’éviter les attaques des paramilitaires.
Le mouvement est victime de violations graves des droits de l’Homme, perpétrées par des groupes paramilitaires qui travaillent au service du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI). Les organisations de défense des droits de l’Homme ont constaté des assassinats, des détentions abusives, l’usage de la torture, etc. Est-ce que l’arrivée de la police fédérale, le 30 octobre, a stoppé ces attaques ?
F. Lopez - Le gouverneur a répondu au mouvement avec de plus en plus de dureté. Le 5 août, trois camarades d’une communauté triqui sont morts dans une embuscade. Le 7 août, ils ont arrêté un dirigeant, le 9 août un autre. Le 10 août, un autre camarade a été tué. Morts et détenus ont augmenté de façon vertigineuse. Nos revendications, aujourd’hui, comprennent aussi la justice pour les morts et la liberté pour les prisonniers politiques. Nous sommes dans toutes les négociations avec le gouvernement fédéral, mais nos revendications ne sont jamais prises en compte. Au contraire, la réponse du gouvernement fédéral de Vicente Fox a été d’envoyer, le 30 octobre dernier, la police fédérale à Oaxaca. Son arrivée a augmenté le nombre de détentions arbitraires. Le bilan est désormais de dix-huit morts, 105 personnes arrêtées, dont la moitié est aujourd’hui libérée, et 30 disparus.
Si Ulises Ruiz quitte le pouvoir, souhaitez-vous un autre gouverneur ou une autre façon de faire de la politique ?
F. Lopez - Fondamentalement, nous voulons développer une nouvelle façon de faire de la politique. Nous avons besoin d’une nouvelle Constitution de l’État, une réforme en profondeur à tous les niveaux : économique, social, culturel, etc. Nous parlons d’un nouveau pacte social, qui inclurait de nouvelles institutions et de nouvelles lois. C’est l’objectif que s’est fixé l’Appo. Nous ne voulons pas d’un autre tyran qui garde le peuple dans la misère. Nous luttons pour la création d’un gouvernement populaire et démocratique qui se plierait à d’autres règles. Nous sommes conscients que ce type de gouvernement, comme la nouvelle Constitution, nécessite un processus long que nous allons poursuivre. Un des slogans du mouvement est : « Tout le pouvoir au peuple. » Ce n’est pas une simple phrase, c’est quelque chose de réel, qui motive la lutte actuelle du peuple d’Oaxaca.