LE PARTI EGALITE JUSTICE
Le Parti Égalité Justice (PEJ) présentait 52 candidats aux élections législatives, essentiellement dans les circonscriptions où le nombre de français d’origine turque est relativement important. Aucun des candidats n’a réussi à dépasser les 2%. Le PEJ n’obtient pas non plus de financement public, dont chaque parti candidat aux législatives bénéficie s’il gagne plus de 1% des voix dans au moins 50 circonscription, à hauteur de 1.42 euros par voix en sa faveur.
Le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et le Rhône sont les départements où vivent une grande partie de la diaspora turque en France, ce sont également des départements qui comptent le plus de candidats du PEJ. L’électorat ciblé en 2017 était surtout la « communauté turque », malgré les efforts d’Abdelaziz Chaambi, fondateur d’origine algérienne de la Coordination contre le Racisme et l’Islamophobie (CRI), pour promouvoir le PEJ sur son site internet et pour appuyer sept candidats étiquetés PEJ d’origine maghrébine.
Pendant la campagne, le PEJ s’est surtout fait connaître du grand public pour ses « bad buzz » :
• Il n’a pas respecté la parité obligatoire pour les partis politiques depuis 2000 : seulement 10 femmes candidates, sur 52 candidatures. Plusieurs d’entre elles (comme Nadia Omani, Hülya Sahin) posaient sur leur affiche électorale officielle vêtues d’un foulard islamique.
• Son président a eu des propos à tendance négationniste à propos du génocide arménien (entre 1.2 et 1.5 millions de morts) : « On parle d’un soi-disant génocide arménien, il n’a jamais été prouvé jusqu’à présent ». Ahmet Cetin, candidat du PEJ dans l’Ain, affirme sur Twitter plus directement qu’il y a eu « 0 génocide » arménien.
Le PEJ a des liens humains et organiques très forts avec le COJEP, notamment via Ali Gedikoglu, fondateur commun aux deux structures. Le COJEP est l’émanation française de l’AKP de Recep Tayyip Erdogan. Il avait récemment appelé les turcs de France à voter « oui » au référendum sur l’hyper-présidentialisation en Turquie.
Son manifeste fondateur demande de revenir sur la loi de 1905 pour y introduire des « accommodements raisonnables pour les musulmans » ainsi qu’un « moratoire sur la laïcité », il veut lutter contre « l’islamophobie d’état », contre « le positionnement libertin de la société française pour pouvoir revenir à la cellule familiale traditionnelle », « abolir la loi de 2004 » sur les signes religieux à l’école, et non sans un certain complotisme, « abolir le mariage homosexuel » car le précédent gouvernement a répondu à un « petit lobby influent d’homosexuels », et « abolir l’enseignement de la théorie du genre à l’école »...
Fatih Karakaya, contributeur du site internet Medyaturk et président de la fédération PEJ du Bas-Rhin, tient également des propos anti-alévis, anti-juifs, pro-frères musulmans et complotistes sur les réseaux sociaux :
[Voir illustrations sur l’article originel.]
Le journal Dernières Nouvelles d’Alsace a rapporté plusieurs incidents récents entre le PJE et les journalistes [1]. Extraits :
• « Deux candidats du Parti égalité justice aux législatives ont été vus dans la petite délégation qui a semé le trouble dans une réunion en faveur de la liberté de la presse au cinéma Odyssée à Strasbourg en juin 2016. L’échange tendu s’est terminé par des échauffourées dans le hall du cinéma »
• « Des cadres du PEJ étaient également présents lors de la manifestation organisée par la COJEP le 6 août 2016 dont l’objectif était de conspuer la couverture par les médias français de la tentative de coup d’Etat en Turquie »
• « Le 26 novembre dernier, c’est un vice-président du PEJ qui expulse un photographe indépendant lors d’une manifestation organisée à Strasbourg par les réseaux pro-Erdogan contre le terrorisme international. Ce même cadre, Feridun Ulusoy, déjà vu à l’Odyssée, candidat dans la 5e circonscription du Bas-Rhin, s’empare ensuite du téléphone du journaliste des DNA qui ne réussira à le récupérer qu’après intervention de la police ».
Pour ses premières élections législatives, le tout jeune PEJ aura plus fait parler de lui pour ses déboires que pour ses résultats électoraux.
SAMY DEBAH
Samy Debah a réussi une percée surprise en se hissant au deuxième tour des législatives dans la 8e circonscription du Val d’Oise, dont il est originaire, face au maire PS de Sarcelles François Pupponi. Il a en partie bénéficié de l’abstention massive (67.9%) et de l’absence de candidature La République En Marche ! pour atteindre 13.9% des suffrages, soit 2 352 voix. A noter, le PEJ soutenu par le CRI avait également un candidat (Aysenur Catakli) dans cette circonscription, faisant ainsi concurrence au candidat du CCIF.
Samy Debah est le fondateur en 2003 du Collectif Contre l’Islamophobie en France, qu’il a présidé jusqu’en mars 2017, avant de se retirer pour mener sa campagne électorale en tant que candidat indépendant. Ancien prédicateur du Tabligh et organisateur de tournées de conférences de Tariq Ramadan, il a créé le CCIF dans l’entourage des Frères musulmans. Les invités controversés de ses diners annuels ne se comptent plus : Rachid Abou Houdeyfa (imam de Brest), Nader Abou Anas (prédicateur au Bourget), Houria Bouteldja (Parti des Indigènes de la République)... Cette dernière lui apporte d’ailleurs officiellement son soutien et appelle les électeurs à voter pour lui sur les réseaux sociaux.
Il est désormais difficile de croire que le CCIF est « apolitique », comme le répète Marwan Muhammad, actuel directeur du CCIF.
FRANÇAIS ET MUSULMANS
Jeune parti également - il fête ses 1 an -, Français et Musulmans assume son « une éthique musulmane en parfaite adéquation avec les valeurs républicaine ». Certains de ses cadres sont issus d’une scission avec l’UDMF (Union des Démocrates Musulmans de France) qui avait recueilli jusqu’à 5.9% des voix en 2015 à Mantes-la-Jolie. Français et Musulman a placé cinq candidats dans la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne en 2017. Parmi ses revendications, on retrouve :
• « Interdiction de la violence, l’érotisme, la pornographie et autres visuels allant à l’encontre de la protection des enfants et des adolescents dans certaines publicités aux abords des établissements scolaire »
• « Rétablir la légalité du boycott »
• « Abrogation de la circulaire Alliot Marie »
• « Réflexion autour des articles 12 à 15 de la loi de 1905 »
• « Réactualisation de la loi 1905 en intégrant les autres cultes français »
• « Lancer une commission nationale sur les effets de la loi de 2004 sur l’interdiction du voile à l’école »
• « Reconnaître l’État de Palestine et ouvrir une ambassade en France »
Hanane Zahouani, candidate arborant un voile islamique sur son affiche officielle de Français et Musulman, termine avec 1.46% des voix.
Nizarr Boucharda, ex-UDI, ex-UDMF, termine avec 2.94% des voix, juste devant la candidate PS Corinne Narassiguin.
Jimmy Parat, connu pour ses propos anti-IVG au conseil municipal de Bagnolet et qui avaient provoqué un tollé [2], a fait campagne avec l’ex porte-parole du CCIF Yasser Louati autour des « dysfonctionnements et des discriminations de la République ». Il a recueilli 0.57% des voix.
UNION DES DÉMOCRATES ET MUSULMANS DE FRANCE
Avec de nombreuses candidatures, l’UDMF a réussi quelques percées comme dans la première circonscription des Hauts de Seine où il présentait une candidate voilée, Sandra Fourastier (2.06%, devant DLF, LO, NPA...), Genevilliers (2.74%), ou encore Villeneuve-la-Garenne (3.72%). Ces résultats sont toutefois un peu moins bons que ceux récoltés aux élections régionales de 2015, où il avait obtenu jusqu’à 5.9% des voix à Mantes-la-Jolie. Son meilleur score en 2017 est dans la première circonscription de Mayotte avec 5.10% des voix.
Son programme insiste sur le rôle de la famille : « malheureusement, depuis plus de cinquante ans, elle est régulièrement attaquée, maltraitée voire ridiculisée jusqu’aux plus hautes institutions de notre pays », « il est de notre devoir de sauvegarder le rôle salvateur de la famille ».
L’UDMF envisage de se battre contre l’« islamophobie » : « Nous, Démocrates Musulmans Français, voulons arrêter ces dérives dirigées par les politiques afin d’éviter une guerre civile dirigée contre l’Islam et les Musulmans en Europe ». Au niveau international, l’UDMF demande la reconnaissance de l’état de Palestine, et affirme qu’ : « Il est essentiel d’arrêter le blocus de Gaza, de demander la libération des prisonniers politiques palestiniens, des enfants et de placer le peuple palestinien sous la protection internationale ».
L’UDMF participe à la Marche de la Dignité aux cotés du Parti des Indigènes de la République en 2015, et à la Rencontre Annuelle des Musulmans de France au Bourget organisée par l’UOIF en 2017.
L’UDMF, le plus ancien parti politique musulman présent à ces élections législatives malgré sa relative jeunesse (5 ans) semble en légère perte de vitesse devant la multiplication cette année de candidatures venant de l’islam politique. Le PEJ, certainement le plus conservateur et le plus « décomplexé », peine à convaincre malgré le buzz dont il a bénéficié. Néanmoins, il a démontré sa capacité à présenter de nombreux candidats sur le territoire, capables de recueillir plusieurs centaines de voix avec un marquage pro-AKP. Français & Musulman a pour sa part surtout réussi à faire connaître sa nouvelle implantation, en concurrence avec l’UDMF dont il est majoritairement issu. La véritable percée vient de Samy Debah qui accède au second tour avec plus de 2 300 voix, dans un champ politique favorable, mais qui se retrouve en ballottage défavorable face au maire de Sarcelles.
Carla Parisi