Contre l’appel insistant du député Amir Khadir, contre l’avis plus discret du nouveau porte-parole vedette qui venait d’être élu [1], malgré le silence de la porte-parole plus branchée sur la base du parti, et qui finalement vota pour le rejet du pacte électoral avec le Parti québécois (PQ) dans le cadre de la dite convergence, un bon deux tiers du congrès choisit l’option du débarrassons-nous-des-néolibéraux au lieu de celle débarrassons-nous-des-Libéraux pimentée à l’identitarisme propre au PQ. Le congrès bondé (700 personnes présentes) se sortait du piège tendu par le PQ tout en lui arrachant, à terme si le processus de « fusion » se passe bien, le petit parti Option nationale (ON), scission ultra indépendantiste du PQ et déçu de son tournant « temporaire » de bonne gouvernance autonomiste. Cerise sur le gâteau, après dix ans de travaux, Québec solidaire (QS) parachevait son programme en y ajoutant les chapitres sur la justice, l’aménagement du territoire, l’agriculture et, last but not least, l’altermondialisme.
La démocratie ne s’arrête pas à mi-chemin
Puis vint en toute fin de congrès, alors que les deux tiers des délégués avaient quitté, la révélation du tête-à-tête QS-PQ, avec le Bloc québécois et ON comme seconds violons, dans le cadre les Organisations unies pour l’indépendance du Québec (OUI-Québec). Certes, on n’y discutait pas de répartition de sièges. On faisait pire soit édulcorer l’orientation stratégique du parti. La direction du parti concédait qu’une portion de l’Assemblée constituante, indépendantiste dès le départ, ne serait pas élue mais nommée. Tout un galvaudage de la démocratie. Cet accord avorté entre états-majors faisait fi de décisions cruciales prises en congrès. Secundo, il rejetait de facto les fédéralistes, durs ou mous, hors processus constituant, ce qui garantit une réaction fédéraliste carabinée. Un tel échafaudage supposait un gouvernement de coalition QS-PQ explicite ou implicite. Difficile d’y arriver sans pacte électoral que le congrès venait de rejeter.
Heureusement, les grands médias, peu importe leurs motivations, firent avec célérité leur travail en révélant les dessous de cette entente « secrète »... pour les membres du parti au moment du débat crucial sur le pacte électoral mais pas pour l’ennemi péquiste et ses sous-fifres du OUI-Québec. Le chat sortit du sac. La direction Solidaire avait non seulement caché aux membres ces négociations, alors que le débat au congrès imposait une vue d’ensemble des rapports QS-PQ, mais elle tenta aussi de cacher l’imbroglio entre équipe de négociations et coordination nationale quand elle fit finalement rapport au congrès... sans permettre un vote.
Bien sûr, la critique péquiste du « politburo » Solidaire est tendancieuse et ridicule en ce sens qu’une direction collective est autrement plus démocratique que la dictature du chef propre aux trois partis néolibéraux. Néanmoins, son noyau rationnel s’appuie sur les manipulations du congrès par la direction Solidaire si collective soit-elle. Quand on se réclame de la démocratie, on ne s’arrête pas à mi-chemin. Il n’est pas sorcier de comprendre qu’à la mi-avril la direction Solidaire, avec des porte-parole enclins à la convergence avec le PQ, réalisa que la militance, au moins montréalaise, ne suivait pas. (On peut spéculer que le refus de la convergence par la militance recèle un mélange anti-libéral et électoraliste puisque dans le bastion Solidaire de Montréal QS progresse en délogeant le PQ.) La direction dut alors se réajuster en bricolant une manipulation boiteuse et menteuse.
Les résultats de Gouin ouvrent la porte à un retour du pacte électoral par ON interposé
L’entente que sa délégation venait de signer dans le cadre du OUI-Québec, avec ou sans l’aval de la direction, devenait une bombe à retardement. Les partisans de la convergence n’ont pas tort de faire l’hypothèse que la révélation de cette entente avortée au moment opportun aurait pu renforcer leur camp. Mais cette manœuvre politicienne dont se délecte le PQ a surtout gâché la clarté stratégique de la rupture avec le PQ. De potentiellement définitive — on se dit que la troisième fois était la bonne — cette rupture est redevenue temporaire.
On ne peut plus exclure, au gré des sondages et des entourloupettes péquistes, une reprise des négociations sur un pacte électoral sous couvert du OUI-Québec... ou des négociations de « fusion » avec ON, chaud partisan de la convergence souverainsite. Si on considère que par rapport à QS dont c’est le bastion, le Montréal francophone et populaire n’est pas la place forte d’ON, les résultats électoraux de l’élection partielle de Gouin [2] quelques jours après le congrès renforcent la motivation de QS à fusionner tout comme le rapport de forces d’ON.
Dans Gouin, si on fait l’hypothèse que le taux de participation de 33% est « normal » pour une élection partielle à Montréal, on enregistre, en arrondissant au cinq près, que par rapport à l’élection générale de 2014 QS a gagné 20 points de pourcentage, le PQ a renoncé à 20 points, les Libéraux ont perdu 10 points, la CAQ se maintient, ON gagne 5 points et le Parti vert (PV) aussi 5. En termes relatifs, c’est-à-dire en pourcentage, si on ignore le retrait du PQ et l’apparition du PV, le grand perdant est les Libéraux (moins 50%) et le grand gagnant ON (plus 600%). Si on fait l’hypothèse que les 10 points perdus par les Libéraux sont allés pour moitié au PV et pour moitié à QS, on déduit que les 20 points du PQ sont allés pour le quart à ON et pour les trois quarts à QS.
Faute de clarté stratégique, il sera difficile de braquer les feux de la rampe d’ici le congrès plate-forme de l’automne prochain sur... la plate-forme. L’attention des membres risque d’être tétanisée par les négociations avec ON, peut-être celles avec le PQ dans le cadre du OUI-Québec malgré la décision proclamée de les mettre sur la glace. Ces négociations pourraient receler un retour par la porte arrière du pacte électoral dut-il passer par les modalités de la Constituante dont l’option « ouverte » est loin de faire l’unanimité dans le parti. Pourtant, il ne faut pas la tête à Papineau pour comprendre que la seule façon de résoudre la contradiction paraissant insoluble entre une Constituante démocratique, dite ouverte, dont l’issue fédéraliste est probable étant donné les rapports de forces actuels et celle indépendantiste, dite fermée, dont le caractère anti-démocratique est inacceptable, réside dans la modification du rapport de forces.
De toute urgence, lancer dans tout le parti le débat sur la plate-forme
Renverser le rapport de forces passe essentiellement par le développement de la lutte sociale jusqu’à l’atteinte d’un au-delà du Printemps érable, quelque chose comme le Front commun de 1972 sans trahison de la bureaucratie syndicale même momentanément emprisonnée [3]. La contribution Solidaire à cette tâche consiste à proposer un projet de société, dont la plate-forme électorale Solidaire est la rampe de lancement, comme horizon stratégique pour redonner espoir donc du tonus à des luttes sociales, certes nombreuses au niveau local, mais en panne de convergence nationale sinon pan-canadienne si ce n’est mondiale. Voilà la tâche archi-prioritaire à laquelle dès maintenant devrait s’attaquer le parti tout entier et non pas seulement un restreint comité d’experts de bonne volonté mais sous pression de conserver leur réputation professionnelle auprès des bailleurs de fonds.
La direction du parti doit lancer dès maintenant un débat de même intensité démocratique que le fut celui sur la convergence pour le dernier congrès, et que le fut en 2009 et 2011, avec contributions collectives et individuelles publiées sur le site du parti, celui concernant les pans démocratique, économique et écologique du programme. Le point de départ devrait en être la plate-forme électorale de 2014, qui n’est plus disponible sur le site du parti, enrichie des conclusions du congrès de révision du programme en mai 2016, radicale contre la volonté de la direction et de ses alliés dans la Commission politique, et des ajouts pointus du dernier congrès.
Pour animer et contribuer à ce débat qui ne démarre pas, votre serviteur en tant que membre de la commission thématique environnement-énergie, a proposé un bref canevas de ce que pourrait être une plate-forme de l’espérance — voir l’annexe — capable de rassembler les mouvements sociaux. Se contenter de les consulter sur la base d’une page blanche, comme le fait présentement le parti, l’enfonce dans des contradictions insolubles dues aux divergences entre ces mouvements tout en faisant fi de dix ans de débats programmatiques en son sein.
Régler une fois pour toute son compte au PQ
Pour que l’électorat Solidaire et les membres du parti acceptent de donner la priorité à la plate-forme, il est primordial que ses porte-parole et députés règlent d’abord une fois pour toute son compte au PQ sans espoir de retour d’un PQ mythique des origines « au préjugé favorable aux travailleurs » qui n’a jamais existé sauf, avant l’ère néolibérale, comme copie-coller des Libéraux de la même époque avec en sus l’espoir de l’indépendance comme grelot. Le PQ, c’est
• le parti de René Lévesque qui en 1982 a osé une coupure salariale temporaire de 20% des employés de l’État, une première néolibérale que n’a jamais osé aucun parti canadien ;
• le parti de Bernard Landry qui, à la fin des années 1980, a fait la promotion du libre-échange avec plus de zèle que les Libéraux ;
• le parti de Jacques Parizeau qui a accouché du premier budget québécois de coupures drastiques avant même le référendum de 1995... tout en l’appliquant après celui-ci ;
• le parti de Lucien Bouchard qui à la fin des années 1990 a inauguré la grande austérité avec sa politique du déficit zéro avec l’accord des directions syndicales, soi-disant pour créer les « conditions gagnantes » de l’indépendance ;
• le parti de Pauline Marois qui en 2014 avec sa charte des valeurs a dégoûté le Québec racisé et qui avec son son parti-pris pétrolier a consterné les « régions » y compris les élus locaux ;
• le parti de Pierre-Karl Péladeau (2015-16), milliardaire qui comme patron de Québécor fut champion de l’anti-syndicalisme à en gêner jusqu’aux gens d’affaires ;
• le parti de Jean-François Lisée (chef actuel) — « la mitraillette sous la burka » — qui renonce à l’indépendance avant les Calendes grecques transformant une fois pour toutes le PQ en blanc bonnet par rapport au bonnet blanc des Libéraux.
Les Libéraux, la CAQ et le PQ sont tous trois des partis néolibéraux, pétroliers et fédéralistes. Au niveau du discours, sur ces trois points, les Libéraux ont le mérite de la franchise malgré de fréquentes pirouettes, la CAQ cache son fédéralisme sous un habit autonomiste et le PQ est le champion du mensonge systémique. Qui ne connaît pas la blague « There is three kinds of lies : a lie, a dam lie and statistics ». La traduction québécoise en est : un mensonge, un maudit mensonge et le PQ. La sagesse populaire a bien raison : clignoter à gauche, gouverner à droite. L’urgence électorale consiste à se débarrasser des néolibéraux, pas juste des Libéraux.
Ces trois partis se distinguent sur la question identitaire. La CAQ, avec son ADN adéquiste [4], est ouvertement islamophobe et xénophobe pour qui veut bien voir. Le PQ, plus il vire à droite, plus il le devient car sinon comment se distinguer des Libéraux maintenant qu’il a ouvertement abandonné l’indépendance. Les Libéraux ne le sont pas... mollement. Ils se contentent de profiter du nationalisme fleur bleue de leurs adversaires tant pour le bénéfice économique de leur base patronale exploitant sans gêne le Québec racisé que pour la division ethnique du peuple québécois ce qui nuit à la riposte sociale. En prime, ils captent le gros du vote racisé, anglophone et allophone.
L’orientation Solidaire ne repose pas sur la tyrannie de l’opinion publique
Québec solidaire se situe au pôle opposé de ces trois partis. Il est socialiste à la Bernie Sanders, c’est-à-dire social-démocrate conséquent, et même au-delà car il est aussi altermondialiste alors que Sanders est loin d’être anti-guerre et anti-impérialiste, ce qui le garde prisonnier du grand parti patronal Démocrate. QS se veut radicalement écologiste car « il faut accélérer la transition énergétique pour la période entre 2018 et 2030 de façon à atteindre 67% de réduction en dessous du niveau de 1990. » QS est indépendantiste. Il l’est pour libérer le peuple québécois de l’humiliant et paralysant Quebec bashing et de l’axe du pétrole sale Toronto-Calgary. Il l’est, peut-on l’espérer, pour prendre le contrôle de son épargne nationale et de ses échanges commerciaux afin de se donner les moyens de son projet de société de plein emploi écologique.
Ce n’est pas à la tyrannie de l’opinion publique, fabrication des pontifes et des sondages au service des grands médias et garant de la paix sociale, qu’elle soit de Faut-qu’on-se-parle [5] ou du Devoir ou du Journal de Montréal [6], de guider la stratégie du parti, de déterminer son programme. Comme l’explique une militante sur Facebook à propos du 87% de l’électorat de QS et du PQ qui souhaiterait une alliance, quand on regarde réellement la question posée par la maison de sondage Léger, c’est celle-ci : « Si Québec solidaire et le Parti Québécois s’entendaient pour former une alliance électorale, pour quel parti auriez-vous l’intention de voter ? ». C’est 87% des gens qui disent qu’ils accepteraient de voter pour l’alliance, pas que c’est une bonne idée ou qu’ils souhaitent cette convergence.
Le programme, si radicale soit-il dénote une hésitation à engager la lutte sociale
L’orientation stratégique et le programme Solidaire n’est pas garant de paix sociale. Il brasse plutôt la cage. Le congrès a voté pour une justice « centrée sur la prévention […] et la réparation […devant ] viser la réinsertion […] la même pour tous et toutes, peu importe la capacité de payer ou la condition sociale. » ; pour « mettre un terme à la dépendance des municipalités aux taxes foncières en leur allouant des points d’impôt sur le revenu » ; pour « une agriculture québécoise biologique » éliminant à terme l’utilisation des OGM ; pour la démocratisation de l’ONU notamment « par l’abolition du droit de veto des cinq grandes puissances » et pour « la sortie immédiate du Canada de l’OTAN et de NORAD » tout en référant le controversé « pays sans armée » au premier congrès post-électoral.
N’empêche que derrière la radicalité de certains éléments du programme se cache la même hésitation à entreprendre le combat social que celle à affronter le PQ sur la scène électorale.
La justice Solidaire néglige les injustices patronales qui n’en sont pas moins légales car la loi est celle du plus fort et opère toujours dans un contexte d’injustice systémique de classe et pas seulement de genre et raciale. Plus que les gouvernements nationaux, les gouvernements locaux et régionaux même bien élus et correctement financés n’en seraient pas moins l’objet du chantage de la finance et des transnationales. Celles-ci contrôlent leurs économies et non les PME qui pour survivre contre leur féroce compétition doivent davantage exploiter leurs travailleuses et travailleurs. Le programme ne prend pas à bras le corps cette dépendance fondamentale qui, en dernière analyse, structure l’aménagement du territoire.
La ferme familiale est étranglée par la finance comme l’a dénoncé le rapport Pronovost [7]. Elle est coincée entre d’une part les transnationales des engrais, des semences et des équipements et d’autre part les grandes entreprises de la transformation et de la distribution, sans compter les intégrateurs dans le porc. Elle est condamnée, pour survivre, soit à l’élargissement et à l’embauche de travailleurs étrangers temporaires, soit à l’agriculture de niche normalisant l’auto-exploitation et le double emploi. On ne trouve pas cette problématique dans le programme.
Le programme a beau se prononcer « contre la logique impérialiste et néocoloniale », il ne propose pas de stratégie concrète de lutte contre l’impérialisme appuyée sur les situations réellement existantes en Amérique latine, au Moyen-Orient et en Asie de l’est. La version proposée au congrès esquivait, sous couvert de beaux principes, la question cruciale du libre-échange jusqu’à l’adoption de l’amendement « renégociera les traités existants selon ces principes et s’en retirera si ceux-ci ne sont pas respectés » ce qui laisse entendre un retrait de l’ALÉNA et de l’OMC, certainement pas une renégociation à la Trump.
Le cancer institutionnel qui ronge Québec solidaire
Le cancer qui ronge Québec solidaire, dont la tumeur réside dans sa direction avec des métastases à la base, est la grande illusion que pouvoir se confond avec majorité parlementaire, qu’il suffit d’un gouvernement majoritaire Solidaire, peut-être même de coalition, pour appliquer le programme Solidaire ou certains de ses points. Ce rêve en couleurs, partagé par les Podemos et Mélanchon de ce monde, a brisé Syriza devenu un gouvernement néolibéral (et un petit impérialiste) comme les autres, en fait plus efficace en brisant la vague de colère du peuple grec et en le divisant. L’essentiel du pouvoir bourgeois réside à Ottawa et à Washington, sur Bay Street et sur Wall Street, plus quelques larrons québécois en connivence compétitive avec les premiers. Le pouvoir du peuple travailleur, que les positions institutionnelles conquises par la gauche peuvent stimuler ou éteindre, se trouve dans la rue.
C’est cette instinct, rarement conscient, qui fait la gloire du Printemps érable, et par ricochet du porte-parole homme de la CLASSE devenu nouveau porte-parole homme et député de QS après son lissage comme commentateur à Radio-Canada. En mars-avril 2012, la grève étudiante était à l’orée d’une « grève sociale » sabotée par la direction de la CSN. La direction Solidaire, fidèle aux directions syndicales, s’est tenu coite lors de ce débat. Idem à la fin novembre 2015 quand elle n’a pas critiqué la trahison de la direction du Front commun qui annulait, en faveur d’un contrat pourri, les trois jours prévus de grève générale du demi million de travailleuses des secteurs public et para-public. Finalement, elle tergiversa sur la dissidence de la FSSS-CSN, la plus grande fédération du secteur public regroupant surtout les femmes sous-payées du soutien des secteurs santé et des services sociaux [8].
Toutes choses étant égales par ailleurs, la direction du parti, au-delà de l’appui aux revendications des 175 000 travailleurs de la construction [9] et de la dénonciation de la loi spéciale de retour au travail, s’est refusée à s’interroger à voix haute à propos du défi de cette loi si l’Alliance syndicale prenait cette voie, ce dont la direction de celle-ci s’est bien gardé. En 2012, le gouvernement a attendu des mois avant de légiférer contre la grève étudiante. Il a encaissé une bonne dose de jours de grève des secteurs public et parapublic en 2015 et était prêt à en encaisser davantage. Mais que ce soit en 2013 sous le gouvernement péquiste ou aujourd’hui, la perspective d’une semaine de grève massive dans le secteur privé proprement québécois, c’est trop, tellement les profits de Québec Inc. seraient durement et rapidement frappés
Chasser le front populaire du XXiè siècle, il revient par le XXIiè siècle
Que ce soit en 2012, 2013, 2015 ou 2017, ces amorces de grève générale massive étaient la porte d’entrée vers une dynamique de « grève sociale », c’est-à-dire de grève générale politique, capable de modifier fondamentalement le rapport de forces en faveur d’une mise en œuvre du programme de Québec solidaire... en autant que le parti soit au rendez-vous de l’histoire. Un tel bouleversement social, saisi à temps, créerait les conditions d’une Constituante faisant converger démocratie et indépendance, C’est la seule façon de résoudre cette contradiction. Mais pour cela, il faut sortir du confort parlementaire. La Constituante serait le moment institutionnel d’une profonde transformation des rapports sociaux pour « dépasser le capitalisme » comme l’affirmait le manifeste Solidaire du Premier mai 2009.
Faute d’un tel moment encore une fois raté — mais il faut être aux aguets d’un surgissement qui n’a pas à prendre la forme d’une grève mais par exemple de blocages — reste à investir le moment électoral prévu pour l’automne 2018 afin de faire valoir dans le débat électoral le programme incarné dans la conjoncture, c’est-à-dire la plate-forme. La lutte électorale est un moment privilégié pour le parti de contribuer à créer les « conditions gagnantes » pour une percée vers la « grève sociale », tant en popularisant une plate-forme d’un Québec indépendant pour le plein emploi écologique qu’en conquérant un espace dans l’institution parlementaire du demi-État québécois jusqu’à et y compris la gouverne de l’appareil d’État. On n’insistera cependant jamais assez sur l’immense danger de la récupération électoraliste dont Syriza est l’exemple récent le plus tragique.
Le piège initial à contourner, que le congrès n’a finalement pas totalement évité en ayant encore un pied dedans, est de s’embourber dans des pactes avec des partis austéritaires-pétroliers-fédéralistes et de surcroît identitaires, que ce soit avant les élections, dans le cadre d’un système de vote uninominal à un tour, ou après les élections particulièrement dans le cadre d’un système de vote proportionnel. Un tel piège neutralise la portée de la plate-forme sauf comme discours du dimanche. Ces « fronts populaires », malédiction du socialisme du XXiè siècle, donne systématique l’accolade à la plate-forme la plus collée au statu-quo peu importe le rapport de forces entre les partis. L’éventuel « succès » électoral de ces fronts populaires enlise le ou les partis de gauche, parfois irrémédiablement, dans le marais électoraliste conduisant au social-libéralisme.
Marc Bonhomme, 3 juin 2017,
www.marcbonhomme.com ; bonmarc videotron.ca
Un Québec indépendant de plein emploi écologique pour sortir du pétrole
Pour éviter l’isolement que l’alliance avec le PQ prétend résoudre, s’impose une alliance qui s’adresse aux nations aborigènes et aux nationalités racisées de même qu’aux mouvements sociaux dont la jeunesse qui déserte la cause indépendantiste... à moins d’être comprise comme indispensable à la cause écologique et à celle de la justice sociale. Idem pour la cause de la paix mondiale. Tant la répression que le militarisme et ses guerres, envenimées par la crise climatique, dévastent l’environnement par la grande intensité énergétique des armées, par ses destructions appelant une nécessaire reconstruction forcément énergivore et par la paralysie sociale due à la haine faisant le lit des impérialismes, grands et petits, et de leur contrepartie, le djihadisme.
Une plate-forme de plein emploi écologique sur la base des décisions du congrès du printemps 2016 sort le peuple québécois des pièges péquistes. La direction Solidaire craint de ne pas avoir la réponse parfaite pour populariser la nouvelle cible radicale, mais conforme à la science et aux objectifs des Accords de Paris, de baisser des deux tiers d’ici 2030 par rapport à 1990 les émanations de GES, et pour faire connaître l’opposition du parti tant au marché qu’à la taxe carbone. Elle craint d’être perçue comme sectaire en allant faire paître le PQ et son factice mouvement populaire, les Organisations unies pour l’indépendance (OUI). Pourtant la campagne de Bernie Sanders invoquant le socialisme a démontré que des millions de personnes aux ÉU ont compris la nécessité de solutions radicales. Serait-ce différent dans le Québec du Printemps érable ? La réponse à la montée de l’extrême-droite stigmatisant le Québec racisé ne peut être que la radicalisation de la gauche qui mobilise le mouvement social et sa pleine participation aux luttes populaires terriblement absentes pour l’instant.
De grands chantiers écologiques au cœur de la plate-forme
Le radicalisme du dernier congrès sur la crise climatique appelle à une plate-forme qui soit une remise à niveau et un élargissement du Plan vert pour sortir du pétrole de 2014. Il faut réhabiliter selon la fine pointe de la technologie écologique d’ici 2030 l’ensemble du stock de bâtiments du Québec tout en multipliant les bâtiments à quasi consommation zéro d’énergie comme la bibliothèque publique de Varennes. Plus crucialement, car c’est là où le bât blesse, il faudra imposer en 15 ans le transport électrique des livraisons de proximité à partir de pôles de transbordement maritime-rail et être très avancé dans la transition du transport à longue distance par cabotage et par train intermodal. Le transport des personnes devra être assuré majoritairement en 2030 d’abord et avant tout par le transport collectif électrifié et un complément d’auto-partage communautaire plus important dans les petites villes et les villages.
Québec solidaire ne subventionnera pas les entreprises car l’efficacité énergétique abaissera leurs coûts. Le parti les obligera à se doter d’une politique d’écologie du lieu de travail, en accord avec les syndicats à instaurer partout, assurant sécurité du travail et au travail. Les entreprises, individuellement et conjointement, seront tenus de reconvertir les emplois devant être supprimés pour raison écologique. La Banque d’État préconisée par les Solidaires financera les PME délaissées par les banques de même que les petits et moyens propriétaires devant rénover leurs logements tout en assurant une protection des loyers. L’ensemble des institutions financières et para-financières sera mobilisé pour financer à bon compte la plate-forme pour le plein emploi écologique.
Ces grands chantiers écologiques seront la voie royale vers le plein emploi, épine dorsale de la lutte contre la pauvreté et les inégalités, que l’on pourra à juste titre qualifié d’écologique. Ces grands chantiers du Plan vert Solidaire annonçaient 160 000 emplois. La plate-forme pour le plein emploi écologique y ajoutera un réinvestissement massif anti-austérité dans les services publics car ces emplois sont aussi écologiques en plus d’être féministes parce que les femmes en sont les principales bénéficiaires tant comme travailleuses rémunérées que domestiques. Ces emplois requièrent en effet une masse d’énergie humaine mais très peu d’énergie fossile tout comme ils enrichissent les relations personnelles aux dépens du stress compétitif et des poisons alimentaires, sources majeures de mauvaise santé avec les pollutions de toutes sortes.
Ces grands chantiers se combineront à la baisse du temps de travail à 35 heures semaine sans baisse de revenu ce qui libérera du temps pour socialiser, s’éduquer, créer et militer, contrepartie du consumérisme. Ce Québec de plein emploi écologique et social se dotera d’une politique d’immigration sans frontière pour combler les postes vides, dynamiser son économie et enrichir sa culture. La hausse du salaire minimum à 15$ est aussi écologique car une travailleuse pauvre est forcée à acheter de la pacotille vite à renouveler, de la nourriture agro-industrielle et souvent une vieille auto énergivore tout comme à louer un logement mal isolé.
Québec solidaire n’attendra pas les Calendes grecques pour légiférer en termes de zonage, de code du bâtiment et autres obligations afin d’amorcer le processus d’une ville sans auto solo et sans bungalow, atteignable dès 2050. La ville nouvelle aura comme complément une agriculture biologique de fermes familiales et coopératives adéquatement soutenues pénétrant le tissu urbain et liée à la ville par un maximum de circuits courts impliquant obligatoirement les entreprises de transformation et de distribution alimentaire.
Les ménages québécois, une fois informés adéquatement, seront heureux de ce soulagement budgétaire consistant à se débarrasser de leurs automobiles en faveur d’un transport public gratuit du XXIiè siècle qui n’a rien à voir avec le REM (voir annexe), de renoncer à la maison unifamiliale et même en rangée en faveur d’un logement collectif de qualité adossé à des services de proximité, à un réseau bicyclette-piéton et au transport public, y compris l’autopartage, et avec accès à l’agriculture urbaine au sol ou sur les toits.
Un plan financièrement réaliste, à gratuité mobilisatrice et requérant l’indépendance
Il faut arrêter de flipper à propos du financement. Le Plan vert 2014 prévoyait cinq milliards l’an, ce qui permet d’amorcer la pompe. Une réforme fiscale en profondeur, dont le blocage des paradis fiscaux, y suffirait. La Coalition mains rouges a démontré que le seul Québec fédéral pouvait aller chercher dix milliards $ de plus l’an en revenus fiscaux supplémentaires. Le cadre financier Solidaire 2014 prévoyait des revenus fiscaux extra de treize milliards $ l’an. Rappelons que financement ne signifie pas nécessairement dépense budgétaire mais investissement récupérable. On finance les négawatts de la réhabilitation énergétique des bâtiments et les flottes de camions électrifiés de la même façon que les mégawatts d’Hydro-Québec. Sauf que l’usager payeur, par la conservation de l’énergie, débourse moins pour payer sa dette que ses frais énergétiques initiaux.
La clef de voûte mobilisatrice de la plate-forme pour le plein emploi écologique en est la gratuité du transport collectif sur dix ans. Il l’est déjà à l’intérieur de petites villes comme Chambly, Ste-Julie et Beauharnois. Cette revendication-clef a le même potentiel mobilisateur que la gratuité scolaire l’a été pour le Printemps érable 2012. La gratuité scolaire, comprise dans le cadre d’une éducation citoyenne non marchande, est de soi écologique. Elle ouvre la porte à la compréhension scientifique des grands équilibres écologiques et des causes des crises écologiques qui ont tout à voir avec l’accumulation capitaliste. Elle débouche sur la recherche et la mise en place de solutions qui ont tout à voir avec la socialisation des grands moyens de production dont la Finance, les système de transport et d’énergie et les entreprises d’exploitation des ressources naturelles. Évidemment, les écoles privées et la recherche universitaire prise en otage par les grandes entreprises, réservées à une élite, bloquent ce changement d’où la nécessité de supprimer les premières et de socialiser la seconde.
Le plein emploi écologique nécessite l’indépendance pour détenir les pouvoirs constitutionnels pour le réaliser et surtout pour se débarrasser de l’humiliant et paralysant fardeau du Quebec bashing : Les pouvoirs pour contrôler la Finance et les changes grâce à une monnaie nationale, ceux pour que le Québec ne devienne pas une passoire pétrolière et gazière et pour qu’il se sorte d’accords de libre-échange masquant la dictature des transnationales. Ces pouvoirs seront au cœur de l’apport Solidaire à la Constituante à convoquer sans plus tarder tout comme le parti réclame dès maintenant une série de réformes démocratiques centrées autour de la proportionnelle compensatoire, d’assemblée de reddition de compte et de droits de rappel des personnes élues. La Constituante permettra de reconnaître le droit à l’indépendance des nations aborigènes de la province fédérale du Québec et de leur offrir l’égalité nationale dans le cadre d’une république fédérée et écologique.
Un tel projet de société emballant redonnera le goût du français à la jeunesse qui n’accepte pas la répression linguistique sauf celle contre le patronat en ce qui concerne la langue de travail et celle commerciale. Il facilitera l’intégration des communautés culturelles et racisées, surtout en termes d’emploi, et leur adhésion à la québécitude, dont le français, loin du néolibéralisme guerrier que fuient les réfugiées. Il favorisera les relations de peuple à peuple, y inclus ceux canadien et étasunien, pour obtenir leur accord au projet indépendantiste et pour établir des ententes commerciales, financières, scientifiques, culturelles réciproquement avantageuses et, pourquoi pas, pour aller dans la même direction que le peuple québécois... ou vice-versa.
Annexe : Le Réseau électrique métropolitain (REM)
Le REM (métro aérien sans conducteur) de l’aveu même de ses promoteurs réduira à peine les GES. Il sert les intérêts de la Finance, de « l’industrie de la corruption », des promoteurs immobiliers et de Bombardier. Il « oublie » tant l’est francophone de Montréal que le restant du Québec. Son coût grugera l’essentiel du budget de transport collectif pour plusieurs années. Au même coût, il est possible de couvrir le grand Montréal, le grand Québec et Gatineau de tramways mus à l’hydroélectricité. Contrairement aux autres projets de transports publics qui stagnent depuis des années, souvent depuis plus de dix ans, les Libéraux ont fait du REM leur grand projet prestigieux poussé à la vapeur. Pris en charge par la Caisse de dépôt et de placement, cherchant à se rentabiliser par des projets d’infrastructure en PPP, son exigence de rentabilité garantit un tarif élevé ou la cannibalisation du budget d’opération du système public.