S’il reste difficile de faire vraiment la part des choses, de séparer déjà l’ivraie du bon grain, au moins peut-on faire état de quelques impressions premières, de quelques éléments de fond, parmi les plus frappants !
Tout d’abord
Tout d’abord, il faut rappeler ces moments forts, collectivement et affectivement très forts, vécus autour des hommages rendus à Andrés Fontecilla et Françoise David (Souvenez-vous de la chanson Debout interprété via video par Fred Pellerin !), mais aussi indirectement à Amir Khadir, quand Nica Deslaurier, fraîchement élue à la présidence de QS, a rappelé des sanglots dans la voix, tout ce qu’elle devait au premier député de QS. Pas de doute, au sein de QS a pris corps un véritable « esprit de famille » qui s’enracine et se noue dans une histoire commune, des luttes partagées, des figures de référence admirées ; indispensables liens humains pour pouvoir passer à travers toutes les tempêtes à venir. Quoi de plus positif !
Ensuite
Ensuite, il y a ce point qu’on a moins noté mais qui est sans doute le plus important : on a assisté au cours de ce congrès au renouvellement de l’équipe de direction de QS, à son rajeunissement, mais aussi à son renforcement autour d’une équipe de jeunes (Gabriel Nadeau Dubois, Nica Deslauriers, Simon Pépin Tremblay, etc.) soudée et animée d’une même ardeur et partageant un bloc d’idées communes (le rapprochement avec ON, l’importance de l’indépendance, l’idée du parti-mouvement (aussi indéterminée soit-elle par ailleurs !). Avec l’impression qu’il y a là, avec la présence plus chevronnée de Manon Massé et bien sûr d’Amir Khadir, une équipe plus forte qui va pousser dans la même direction. Là encore ce n’est que du très positif !
Et puis
Et puis il faut en arriver au fameux débat sur la convergence, avec tout d’abord quelques remarques préalables sur la forme. Au-delà du formidable travail des 2 présidents et de l’impressionnante bonne humeur et patience de la salle, le mode de fonctionnement de QS hérité des pratiques syndicales (avec la logique des amendements et sous-amendements) ne facilite en rien l’approfondissement des débats ni non plus des votes clairs. Et cela, non seulement quand il s’agit d’élaborer un programme sur le long terme, mais aussi et surtout quand il s’agit de résoudre des questions difficiles commes celles des alliances. Il y aurait à penser à d’autres manières de procéder, à faire à ce niveau preuve d’imagination créatrice (en privilégiant les orientations de fond plus que les détails). Il faut espérer que la nouvelles direction de QS s’emparera de cette question à bras le corps.
Enfin
Enfin reste la question de fond concernant les rapports à venir avec le PQ : quelle que soit l’option que chacun a pu finalement privilégier (l’option A ou l’option B), il faut reconnaître que le débat a pris dans le peu de temps disponible (100 minutes), une drôle de tournure, emporté puis englouti qu’il a été par les questions identitaires soulevées par les militants et militantes du comité anti-raciste, qui par la charge émotive et réactive qu’elles ont soulevée... ont exacerbé un sentiment viscéral anti-PQ qui a coupé court à toute réflexion politique, froide et approfondie, sur le type de rapports qu’il serait possible d’avoir avec lui dans la conjoncture de 2018.
Une dérive émotive
Cette dérive émotive autour des questions identitaires pourrait être d’ailleurs sur le moyen terme —si elle n’est pas gérée habilement— passablement problématique pour QS. Car après tout, cet appel des militantes du comité anti-raciste à prendre en compte les aspirations des minorités culturelles dites « racisées » a aussi son revers obligé : comment y parvenir concrètement quand on est en même temps un parti indépendantiste qui se bat pour une langue commune, des valeurs laïques partagées collectivement (fussent-elles sur le mode de l’ouverture !), pour une même vision positive de la vie en commun et du partage de la richesse économique ? Et là dessus, à part le chantage à déchirer sa carte au cas où passerait l’option B, ce fut le silence radio !
Quoiqu’il en soit, si cette dérive émotive a eu le poids qu’elle a eue dans les derniers débats du congrès, c’est aussi parce qu’elle avait été en quelque sorte préparée. Préparée tout d’abord par le fait que les partisans de l’option A (ne voulant aucune discussion avec le PQ) l’avait rédigée de manière à ce qu’elle ne puisse pas —selon les règles syndicales— être amendée dans le sens d’un quelconque adoucissement. Encourageant ainsi un discours binaire autour de la seule question « pour ou contre un PQ néolibéral et identarisé » ainsi que courcircuitant toute discussion politique sur les avantages ou désavantages par exemple dans une conjoncture donnée, de simples ententes circonstancielles de désistement électoral.
Les ambiguités de l’option B
Mais les partisans de l’Option A ne sont pas les seuls en cause. La proposition B (celle favorable à des discussions avec le PQ) était –dans sa rédaction même— porteuse de nombreuses ambiguités ou confusions, notamment en ce qui concerne les attentes que QS pouvait avoir vis-à-vis du PQ. Et les explications –chiffrées et aussi plus mesurées et détaillées— apportées finalement par Amir Khadir sont arrivées beaucoup trop tard. D’où les trop nombreux amendements que le congrès a cherché à lui apporter, mais qui loin de la clarifier en ont au contraire fait perdre tout le sens (la transformant au passage quasiment en une option A bis).
Une voie étroite ?
Résultats : l’option A est passée très très majoritairement, mais sans que l’assemblée réalise peut-être tout ce qu’une telle orientation pouvait signifier. Car si l’on privilégie ainsi la voie positive de l’affirmation haute et forte d’un Québec solidaire décidant d’aller de l’avant tout seul, on se ferme aussi à toutes ces aspirations à l’unité et au changements social présentes en dehors même des rangs de QS et qui se trouvent ainsi passablement déçues ou désarçonnées. Qui plus est, on s’interdit de jouer ce rôle plus audacieux et décisif que QS aurait pu jouer, pour faire bouger à l’horizon de 2018 le tout de la conjoncture socio-politique du Québec.
Une telle voie était certes étroite et périlleuse, mais au moins elle avait le mérite de chercher par tous les moyens à lutter contre la fragmentation des forces vives de la société, en leur proposant un projet de type transitoire et rassembleur, capable dans une contexte hostile, de forcer la proportionnelle sur le terrain de la lutte électorale et de peser ainsi positivement sur les données concrètes de la conjoncture politique du Québec en installant à terme une dynamique de changement social au sein de laquelle QS aurait pu croître comme jamais et jouer un rôle central.
C’est par frilosité et incompréhension, ce que les partisans de l’option A ont refusé. À la manière d’une occasion perdue ! Après tout, n’est-ce pas cela l’art même de la politique : rendre les choses possibles ? Une chance que la conjoncture –vivante, changeante, en devenir— nous offre toujours la possibilité de nous reprendre !
Québec le 23 mai 2017
Pierre Mouterde, sociologue essayiste