Le peu d’appétence d’Edouard Philippe pour la transparence de la vie publique
C’est un premier ministre nouvellement nommé, dont les prochaines déclarations de patrimoine et d’intérêts, attendues dans deux mois au plus tard par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) – soit d’ici au 15 juillet – seront particulièrement scrutées.
De fait, Edouard Philippe, choisi par Emmanuel Macron pour incarner le renouveau politique à Matignon, s’est jusqu’à présent plié avec une mauvaise grâce assumée aux nouvelles règles de transparence s’imposant à 15 000 responsables publics, depuis l’adoption des lois du 11 octobre 2013 sous le gouvernement de Jean-Marc Ayrault.
Comme l’a révélé Mediapart le 12 mai [1], le député (Les Républicains) de Seine-Maritime, maire du Havre (Seine-Maritime) et ancien porte-parole d’Alain Juppé, fait partie des quelques parlementaires – vingt-trois sur un total de 1 048 déclarants, députés et sénateurs sortants et entrants – mis à l’index par l’autorité indépendante chargée de contrôler et de promouvoir la probité des responsables publics, à l’occasion de leurs toutes premières déclarations de patrimoine légales de 2014.
« Aucune idée » de la valeur de ses propriétés
Soumis alors à l’obligation de déclarer l’ensemble de ses biens immobiliers et de ses avoirs (comptes bancaires, actions, etc.), deux ans après sa prise de fonctions à l’Assemblée nationale, comme l’ensemble de ses pairs, l’élu avait dans un premier temps rendu à la HATVP une déclaration incomplète.
Il avait ainsi pris soin d’indiquer, à la main, sur le formulaire officiel de la HATVP, n’avoir « aucune idée » de la valeur de son appartement parisien, « aucune idée » non plus de celle de ses parts dans une résidence de Seine-Maritime et encore « aucune idée » de ce que pouvait bien valoir son dernier bien situé en Indre-et-Loire, précise Mediapart.
Une façon, visiblement, de redire sa réticence envers cette loi de transparence, adoptée dans la foulée de l’affaire Cahuzac, contre laquelle il avait voté lors de la séance publique du 17 septembre 2013, comme la plupart des députés UMP de l’époque.
Il avait même maintenu sa position dans un second temps, refusant de se plier à la loi et de répondre aux précisions demandées par la HATVP, et recevant alors une « appréciation », dans le jargon de la Haute Autorité, autrement dit une observation, prévue par la loi, et s’apparentant en fait à un blâme.
Prix d’achat des biens, indiqués parfois en francs
M. Philippe aurait toutefois fait figurer sur sa déclaration – consultable à la préfecture de Seine-Maritime, mais dont il est interdit de faire état, pour ceux qui l’ont personnellement consultée – les prix d’achat des biens, « parfois en francs ».
Certes, constatant ces manquements, l’autorité de contrôle présidée par l’ancien haut magistrat Jean-Louis Nadal n’avait pas jugé bon d’activer l’article 40 du code de procédure pénale, en transmettant le dossier à la justice, comme elle l’avait fait alors, en 2015, pour d’autres parlementaires en situation d’infraction manifeste à la loi [2].
Du fait de l’existence, les concernant, d’un « doute sérieux quant à l’exhaustivité, l’exactitude et la sincérité de leurs déclarations de situation patrimoniale, du fait de la sous-évaluation manifeste de certains actifs et de l’omission de certains biens immobiliers », les cas de Josette Pons, Thierry Robert, Patrick Balkany, Bernard Brochand, Lucien Degauchy, Dominique Tian, Bruno Sido et Serge Dassault avaient été signalés au procureur financier de la République.
Agacement
Mais la décision de « blâmer » M. Philippe, en raison du caractère « inexact » de ses déclarations, n’avait rien d’anodin, de telles observations, publiques, étant censées pousser les responsables politiques à plus de transparence pour le futur.
De la même façon, le député avait refusé de dévoiler la plupart de ses revenus à la date de son élection comme député, et pour les cinq années précédentes, dans sa « déclaration d’intérêts et d’activités » également exigée par la loi des responsables publics, afin de prévenir d’éventuels conflits d’intérêts.
Il n’avait ainsi renseigné aucun montant en face de la mention « directeur des affaires publiques d’Areva (2007-2010) ». Surtout, il avait à nouveau laissé poindre son agacement, interpellant la HATVP au sujet de ses activités d’avocat exercées de 2011 à 2012 : « Je ne suis pas certain de comprendre la question, écrit-il dans cette déclaration pour sa part consultable librement sur Internet. Vous voulez connaître mon taux horaire au jour de l’élection ? Ma rémunération mensuelle moyenne ? Annuelle ? »
L’avertissement de la HATVP a-t-il fonctionné ? Selon l’entourage du nouveau locataire de Matignon, Edouard Philippe a corrigé le tir dans sa déclaration de fin de mandat de député, récemment transmise à l’instance – la loi imposant aux parlementaires de transmettre deux déclarations de patrimoine, l’une en début de mandat, l’autre en fin, afin de vérifier qu’ils ne se sont pas illégalement enrichis durant la période. Cette seconde déclaration est en cours de vérification à la Haute Autorité, avec l’ensemble des déclarations des députés sortants. Toutes devraient être publiées, d’un tenant, d’ici à la fin de l’année.
Anne Michel
Qu’est-ce que la HATVP et à quoi sert-elle ?
La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique est l’autorité administrative chargée de contrôler les déclarations de patrimoine et d’intérêts des responsables publics français (ministres, parlementaires, conseillers régionaux ou municipaux). La HATVP a été instaurée par la loi du 11 octobre 2013, votée dans la foulée du scandale provoqué par les mensonges de Jérôme Cahuzac, ancien ministre délégué au budget, sur son compte en banque dissimulé en Suisse.
La HATVP remplace la Commission pour la transparence financière de la vie politique, elle-même créée en 1988 à la suite d’un scandale ayant fait naître des soupçons sur le financement du Parti socialiste (l’affaire Luchaire). La loi du 11 mars 1988 prévoyait déjà un contrôle de la situation patrimoniale des membres du gouvernement en leur imposant de renseigner leur patrimoine au début et à la fin de leur mandat, afin de détecter les éventuels enrichissements anormaux. Mais ladite commission disposait de moyens d’action limités.
Des pouvoirs élargis
La HATVP possède des pouvoirs élargis par rapport à la commission qu’elle remplace. Elle peut ainsi bénéficier de l’aide des services fiscaux pour contrôler la véracité des déclarations de situation patrimoniale soumises par les élus. La HATVP a également pour mission de prévenir les conflits d’intérêts des membres du gouvernement en contrôlant et vérifiant les déclarations d’intérêts remplies par chacun d’entre eux dès le début de leur mandat.
En cas de conflit d’intérêt avéré, la HATVP possède un pouvoir d’injonction qui lui permet d’imposer à un élu de faire cesser ledit conflit. La loi du 11 octobre 2013 a d’ailleurs donné pour la première fois une définition juridique du conflit d’intérêts, jusque-là absent du cadre légal.
Ces obligations déclaratives ne s’appliquent désormais plus aux seuls ministres et élus : la loi relative à la déontologie des fonctionnaires datée du 20 avril 2016 a élargi cette liste à tous les fonctionnaires « dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient » (le décret d’application donnant la liste précise est attendu pour octobre 2016).
Anne Michel
* LE MONDE | 16.05.2017 à 19h18 • Mis à jour le 17.05.2017 à 09h40 :
http://www.lemonde.fr/politique/article/2017/05/16/le-peu-d-appetence-d-edouard-philippe-pour-la-transparence-de-la-vie-publique_5128676_823448.html
Edouard Philippe, un chef de gouvernement pas très « vert »
Ancien cadre d’Areva, le premier ministre a voté comme député contre les lois sur la transition énergétique et sur la biodiversité.
Le chef de l’Etat, qui n’a guère fait campagne sur les thématiques environnementales [3], s’est choisi un premier ministre, Edouard Philippe, lui-même peu sensible à l’écologie. Le maire du Havre (depuis 2010), diplômé de Sciences Po et de l’ENA, n’a pas vraiment manifesté, dans son parcours professionnel pas davantage que dans ses mandats électifs, d’attrait pour les questions environnementales.
Les ONG écologistes s’alarment de son passé – à leurs yeux de son passif – au sein du groupe Areva, alors fleuron du nucléaire français, dont il a été directeur des affaires publiques de 2007 à 2010. « Cette nomination est extrêmement inquiétante au regard des enjeux actuels, écrit le réseau Sortir du nucléaire. Aucune complaisance ne saurait être tolérée envers l’industrie nucléaire de la part de l’exécutif. Mais cette nomination d’un ancien VRP d’Areva laisse craindre le pire et en dit long sur l’intérêt d’Emmanuel Macron pour la transition énergétique. »
L’Observatoire du nucléaire, de son côté, affirme que chez Areva M. Philippe a eu pour activité principale de « s’assurer de la collaboration de parlementaires acquis au lobby de l’atome ». Et qu’à ce titre, il n’a pas été étranger, en 2008, à l’« accord signé entre Areva et le pouvoir du Niger concernant l’exploitation de l’uranium, accord immédiatement contesté par le Mouvement des Nigériens pour la justice » [4]. Dans l’entourage du premier ministre, on indique qu’il n’a jamais eu à traiter du dossier nigérien et que ses activités se limitaient à la France, notamment les relations avec les parlementaires des régions d’implantation d’Areva (Cotentin, Bourgogne, vallée du Rhône...).
« Lobbyiste professionnel »
A l’Assemblée nationale, le député (UMP puis LR) de Seine-Maritime n’a pas brillé par son engagement pour l’écologie, quand il n’a pas œuvré contre. A l’unisson de sa famille politique, il y a voté en défaveur de la loi du 17 août 2015 sur la transition énergétique pour la croissance verte, de même que contre la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Sur l’épineux dossier du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, il appelait à passer aux actes, dans une interview sur France Info en octobre dernier [5]. Celui qui était alors le porte-parole d’Alain Juppé pour la primaire de la droite et du centre espérait « qu’on pourrait engager les travaux avant mai ou juin 2017 ».
« Je souhaite au premier ministre de réussir, mais je ne saute pas de joie à la nomination d’un homme qui a voté contre la loi sur la transparence de la vie publique, contre les lois en faveur de l’écologie, et qui est un lobbyiste professionnel », réagit la députée PS des Deux-Sèvres Delphine Batho, ancienne ministre de l’écologie, de juin 2012 à juillet 2013, dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Elle « ne garde pas souvenir d’intervention marquante » sur les questions environnementales de M. Philippe durant cette période, pendant laquelle il était pourtant membre de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale.
A cette époque, le maire du Havre avait suscité l’espoir, dans sa ville, de s’engager dans la voie de la transition énergétique. En 2011, un an après son accession à la mairie à la suite de la démission de son prédécesseur, il annonçait qu’Areva, son ancien employeur, allait implanter sur le port deux usines de fabrication de pales et de nacelles d’éoliennes offshore. Le projet s’inscrivait dans le cadre de l’appel d’offres du gouvernement pour développer l’éolien marin le long des côtes, avec notamment l’implantation de 600 turbines au large du Tréport et de Fécamp. Las, en 2016, Areva, confrontée à une crise économique sans précédent, se sépare de son activité dans l’éolien en mer, qu’elle cède à la société Adwen (Siemens-Gamesa). Les usines pourraient dorénavant retrouver des vents favorables alors que les permis de construire ont été déposés par le consortium en avril, dans l’espoir de déboucher sur la création de 750 emplois [6].
Une des dernières centrales au charbon
« Pour le reste, Edouard Philippe a fonctionné pendant sept ans avec un vieux logiciel productiviste tourné vers les énergies sales, juge Alexis Deck, le seul conseiller municipal havrais d’Europe Ecologie-Les Verts. Il m’a dit un jour : “Entre l’emploi et l’environnement, je choisirai toujours l’emploi.” Cela résume bien sa position, qui ne comprend pas que les deux peuvent aller de pair. » Une préférence qu’il l’a notamment conduit à défendre à tout prix la centrale au charbon de la ville, qui emploie 180 salariés, l’une des quatre dernières de France.
Alors que l’Hexagone s’était engagé à sortir de cette énergie fossile des plus nocives, lors de la conférence sur le climat de Paris en novembre 2015, le maire a fait pression auprès de la ministre de l’environnement avec les autres élus locaux, de gauche comme de droite, et les syndicats. Ils ont obtenu de Ségolène Royal qu’elle revienne sur sa décision de fermer le site en 2023 au lieu de 2035 [7]. « On a en a pris pour treize ans de charbon supplémentaires, alors que la centrale émet chaque année des milliers de tonnes de polluants atmosphériques » [8], dénonce Alexis Deck.
Economie circulaire et zéro-phyto
Une critique que réfute Marc Migraine, l’adjoint au maire chargé de l’environnement, qui rappelle que « l’industrie a fait des progrès considérables pour limiter les émissions » et que « près de 200 millions d’euros ont été dépensés en 2014 et 2015 pour moderniser la centrale ». Pour lui, Edouard Philippe a compris que « le développement durable était un enjeu pour transformer l’image de la ville ». Au titre de ses réalisations, il cite la réduction des émissions de dioxyde de carbone de 3 % par an, la baisse de la consommation d’eau de 40 % en six ans, l’interdiction des produits phytosanitaires dans les jardins publics depuis 2013 ou encore un projet d’économie circulaire, avec la réutilisation de l’énergie résiduelle de la zone industrielle pour chauffer un quartier de 15 000 habitants.
« Son bilan est mitigé, juge malgré tout Annie Leroy, vice-présidente de l’association Ecologie pour Le Havre. Le maire, qui est aussi président de la communauté de communes, a amélioré le tri des déchets en nous dotant d’une centrale de tri performante. Mais il n’a pas développé les mobilités douces. » « Certes, il y a des nouvelles pistes cyclables, mais leurs trajets, leurs agencements, s’adaptent aux routes, et non l’inverse. Il n’est pas prévu de questionner l’usage de la voiture », regrette Stéphane Madelaine, du collectif Le Havre Vélorution. Si Edouard Philippe a inauguré deux lignes de tramway fin 2012, il s’agit d’un projet de son prédécesseur, Antoine Rufenacht, de même que pour la création des emblématiques jardins suspendus [9].
« Edouard Philippe a finalement eu peu de considération pour l’environnement au Havre. Je suis très inquiet qu’il reproduise cette attitude au niveau national », prévient Alexis Deck. Et Mme Batho de conclure : « La question est de savoir si ce qu’incarne le premier ministre sera contrebalancé par une vraie place accordée à l’écologie dans le dispositif gouvernemental global. »
Audrey Garric
Journaliste au service Planète du Monde
Pierre Le Hir
Journaliste au Monde
* LE MONDE | 16.05.2017 à 19h57 • Mis à jour le 17.05.2017 à 09h32 :
http://www.lemonde.fr/planete/article/2017/05/16/edouard-philippe-un-chef-de-gouvernement-pas-tres-vert_5128693_3244.html