Le monde a changé depuis le temps des premières organisations internationales des droits humains : aujourd’hui, la plupart des conflits ne se déroulent plus entre deux armées de deux états-nations et la plupart des conflits armés impliquent un ou plusieurs acteurs non étatiques ; par voie de conséquence, bien des violations des droits humains sont commis par des acteurs non étatiques.
Parmi ceux ci on trouve des mouvements politiques ratissant large, de très conservateurs à extrême droite, qui veulent le pouvoir politique mais agissent sous couvert de religion, connus comme « fondamentalistes ».
Ces mouvements existent sur tous les continents et utilisent toutes les religions pour camoufler leurs visées politiques. Ils ont constamment progressé depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
En voici quelques exemples non exhaustifs :
– La Droite Chrétienne aux USA, qui, par exemple, attaqua les cliniques pro-avortement et assassina les médecins qui pratiquaient des avortements, soutient et inspire actuellement la politique de Bush contre les programmes d’assistance sociale, contre les droits reproductifs, contre les droits humains des gays et lesbiennes, etc..., et prônent la guerre, l’enseignement du ’créationnisme’ dans les écoles, etc...
– La Droite Hindouiste, qui assassina Gandhi en 1948, a perpétré les massacres de masse de musulmans (le dernier en 2002, dans l’état du Gujrat), ainsi que des assassinats de chrétiens et des incendies d’églises et de couvents, soustend le RSS qui sert les ambitions électorales du BJP.
– L’Eglise Orthodoxe a conduit ces dernières années une offensive réussie en Europe Centrale, mettant fin à la laicité en Croatie depuis trois ans, et en Serbie cette année, par l’obtention d’une représentation politique spécifique ; en Russie, elle a rendu obligatoire l’enseignement de la religion dans les écoles ; en Lituanie, elle a obtenu la suppression des cours d’éducation sexuelle ; en Slovénie et en Pologne, elle a légalement établi le droit des professionnels de la médecine de refuser leurs soins pour des services qu’ils jugent immoraux.
– Des groupes Bouddhistes, au Sri Lanka, dont on ne parle guère, ont pourtant été mélés à l’assassinat du Premier Ministre par un moine en 1959 : ils ont ainsi réussi à mettre fin au processus qui devait conduire à un accord avec les dissidents Tamil en leur accordant plus d’autonomie ; ils réussirent aussi à obtenir la reconnaissance du Bouddhisme comme première religion du Sri Lanka dans la constitution de 1972, et poussent à présent à la guerre communautariste au Sri Lanka.
– On connaît mieux les Juifs Orthodoxes qui soutiennent la politique d’occupation et l’agression militaire d’Israël au Moyen-Orient,
– ainsi que les Musulmans fondamentalistes, montrés du doigt par tous les médias internationaux pour leurs sanglants attentats à la bombe en Europe et en Amérique du Nord . Ceux ci ont non seulement décimé dans les pays musulmans leurs opposants de gauche, les intellectuels, les artistes et les masses musulmanes qu’ils estiment « incroyantes » (kofr) quand elles n’adhèrent pas à leur programme politique, - comme ils l’ont fait en Afghanistan, au Soudan, en Iran, en Algérie, etc...- , mais ils ont aussi enterré la démocratie et imposé (ou tenté d’imposer) des théocraties.
Il est important de dire ici que, bien que je sois profondément convaincue que le fondamentalisme, utilisant diverses religions, est une disgrâce hélas répandue dans le monde entier, ce sont des exemples du fondamentalisme mususman qui sont cités ci dessous : la seule raison en est, que, en tant que citoyenne algérienne vivant maintenant en Europe, c’est la forme de fondamentalisme que je connais le mieux, aussi bien comme chercheure que pour l’avoir expérimentée pendant de longues années en tant que militante.
Dans tous les cas, ce ne sont pas des mouvements religieux que nous voyons à l’œuvre, mais des forces d’extrême droite manipulant les religions pour atteindre leur objectif politique et accéder au pouvoir politique. Les ambiguïtés et la lâcheté de la gauche, de l’extrême gauche et des forces progressistes en général à condamner les forces fondamentalistes - que ce soit en Occident ou dans le « Tiers-monde » - découlent de la confusion qu’ils entretiennent entre religion et politique. Les concepts et les instruments de droits humains conçus pour d’autres temps s’avèrent inefficaces face à la montée actuelle du fondamentalisme. Même quand la responsabilité des fondamentalistes en tant auteurs de violations des droits humains est dénoncée, leur identité politique en tant que forces d’extrême droite n’est pratiquement jamais mise en évidence, alors que les « saintes-alliances » qu’ils nouent par delà les divisions religieuses et nationales sont de clairs indicateurs de leur nature politique.
Nous avons vu ces « saintes-alliances » à l’œuvre, entre autres lors de la conférence mondiale de l’ONU sur la population au Caire (1993), où le Vatican et Al Azhar ont publiquement fait cause commune contre les droits reproductifs, ainsi que pendant la conférence mondiale de l’ONU sur les femmes qui s’est tenue à Pékin en 1996.
Mais plus éloquent encore est le soutien verbal que Le Pen, dirigeant du parti d’extrême droite ’Front National’ en France, et Haider, dirigeant du parti d’extrême droite ’Parti de la Liberté’ en Autriche, ont accordé au parti fondamentaliste algérien FIS (Front Islamique du Salut) en 1995, - c’est à dire à l’apogée des massacres perpétrés par les FIS/GIA/AIS ( Groupes Islamioques Armés/ Armée Islamique du Salut) contre la population civile durant cette décennie. Cela rappelle le soutien accordé par le Parti Nazi allemand à la Droite Hindouiste lors de son émergeance.
En dernière analyse, l’incapacité à identifier la nature politique des fondamentalismes, en dépit de leur projet politique, profite aux fondamentalistes : ils bénéficient souvent de la protection des organisations de droits humains, - au nom des droits religieux, des droits des minorités, des droits culturels, etc...
C’est d’autant plus vrai dans des situations où les fondamentalistes prétendent représenter une minorité opprimée, lorsqu’ ils sont confrontés à une répression de leurs propres gouvernements, ou lorsqu’ils sont menacés par des puissances impérialistes.
On en voit actuellement l’exemple éclatant avec les attaques US sur le Moyen-Orient et la guerre contre le terrorisme : elles ont des conséquences dévastatrices pour les forces démocratiques anti-fondamentalistes dans les pays musulmans et les communautés musulmanes, ainsi que pour les citoyens européens descendants d’émigrés de pays musulmans.
Examinons quelques unes de ces conséquences sur les droits humains et sur la démocratie.
- L’accent exclusivement mis sur la responsabilité des états par les organisations de droits humains, éxonère les acteurs non étatiques de toute responsabilité pour les crimes et les violations qu’ils commettent. Les fondamentalistes finissent par être considérés exclusivement comme victimes - ce qu’ils sont aussi dans certains cas -, alors qu’ils sont d’abord et avant tout des persécuteurs. S’ils sont et lorsqu’ ils sont persécutés par les états, ils doivent sans le moindre doute bénéficier de la protection de leurs droits humains fondamentaux ( pas de détention arbitraire, une protection contre la torture, un procès équitable, etc...) ; mais en tant que persécuteurs, coupables de nombreux crimes et violations, ils ne devraient pas pouvoir bénéficier de certaines des dispositions conçues exclusivement pour bénéficier aux victimes (tel le droit d’asile), et l’on ne devrait pas leur fournir une plateforme politique d’où propager leurs opinions. Leur double identité de victimes et de persécuteurs, est délibérement ignorée par la plupart des organisations de droits humains, qui n’osent pas regarder en face une telle situation et en tirer les conséquences.
– De plus, le fait de considérer les fondamentalistes exclusivement comme des victimes crée une hiérarchie entre victimes. Par exemple, les fondamentalistes algériens ont bénéficié de l’asile politique dans la plupart des pays européens, sur la base de ce qu’ils risqueraient d’être persécutés par l’état dans leur propre pays, alors que leurs victimes se voyaient refuser l’asile, au moment même où ils étaient massacrés et décimés en Algérie par le GIA (Groupes Islamiques Armés), arguant du fait que ce n’était pas l’état qui les attaquait, mais des acteurs non-étatiques.
De plus, en tant que victimes de la répression étatique, les fondamentalistes ont régulièrement été invités par les organisations de droits humains à s’exprimer dans leurs colloques et conférences, où leurs opinions sur la violence en Algérie furent seules représentées.
- La situation critique des forces démocratiques, qui luttent pour survivre non seulement dans des états non démocratiques mais de plus face à des forces fondamentalistes néofascistes, est froidement ignorée des forces progressistes qui auraient précisement dû être leurs alliées ; leurs luttes et leur résistance sont rendues totalement invisibles. Comme si certaines victimes (par exemple de l’impérialisme) avaient plus de légitimité que d’autres (par exemple des forces fondamentalistes d’extrême droite)
- Les fondamentalistes ont lancé une attaque contre la démocratie au sens littéral du terme : ils veulent imposer à tous les citoyens ce qu’ils prétendent être La Loi de Dieu (telle qu’ils l’interprètent), par définition a-historique et intangible, c’est-à-dire une théocratie - et éradiquer les lois du peuple, par définition modifiables de part la volonté et le vote du peuple, ce qui est l’essence même de la démocratie.
- En outre ils veulent imposer une identité religieuse à tous les citoyens, en fonction de leur lieu de naissance plutôt que selon leur choix, leur déniant ainsi liberté de pensée, liberté de religion et liberté de conscience. Ce qui est une insulte aussi bien aux croyants dont la foi personnelle est réduite à un destin, qu’ aux non-croyants auxquels on dénie totalement le droit de libre pensée. A titre d’exemple, les fondamentalistes musulmans ont réussi à persuader l’Europe de cataloguer « Musulmans » tous les immigrés en provenance de pays musulmans, y compris leurs descendants de la deuxième et troisième générations, indépendamment de leurs convictions religieuses personnelles. Nous voyons sous nos yeux une foi se transformer progressivement en une « race » - le seul précédent historique étant les Juifs pendant la seconde guerre mondiale.
– Tout comme nous l’avons été dans nos pays d’origine, nous sommes témoins en Europe de l’érosion de l’espace laïque, sous l’ énorme pression des fondamentalistes pour introduire des lois religieuses spécifiques aux minorités.
Les fondamentalistes musulmans font des demandes similaires dans différents pays d’ Europe : toutes sont centrées sur l’ apartheid sexuel ( des écoles séparées avec des programmes différents pour les garçons et les filles, en particulier le non enseignement de la biologie, l’art, la musique, les sports, et l’introduction de l’enseignement du créationnisme ; des blocs séparés pour les hommes et les femmes dans les hôpitaux publics, et du personnel médical exclusivement féminin pour soigner les femmes (une vraie plaisanterie en France où les hôpitaux publics n’ont déjà pas de personnel médical suffisant, qu’il soit masculin ou féminin) ; des piscines séparées pour les hommes et les femmes ; l’introduction de Lois de Statut Personnel Musulman (ou Codes de la Famille) pour les « Musulmans » ou supposés tels, à savoir des lois qui ciblent d’abord et avant tout les femmes car elles statuent sur le mariage, le divorce, la polygamie, la répudiation, la garde des enfants, l’héritage, etc... au bénéfice des hommes.
Après la hiérarchie entre victimes, voici une hiérarchie des droits où les droits des femmes passent en dernier, - après les droits des minorités, après les droits religieux.
– Pour la paix sociale, les gouvernements sont généralement prêts à sacrifier les droits des femmes - ce n’est pas une surprise ; mais les organisations de droits humains et la gauche en général composent aussi avec les fiondamentalistes, sur le dos des femmes, au nom de la tolérance et du relativisme culturel. Ils agissent ainsi malgré le tollé des femmes migrantes, dont beaucoup ont fui semblable situation oppressive dans leurs propres pays ou des femmes descendantes d’immigrés qui ont pris l’habitude plus de liberté et d’égalité. Ils agissent ainsi malgré les protestations de tous les laïcs descendants d’ immigrés, croyants et non-croyants. Ils agissent ainsi de peur d’être accusées d’ ’Islamophobie’, un concept inventé par les fondamentalistes pour réduire toute dissention au silence. Comme si les fondamentalistes néofascistes étaient les seuls vrais représentants légitimes de « l »’Islam’ et de tous les citoyens dont les parents sont un jour venus de pays musulmans.
– Cette situation conduit à une érosion de la citoyenneté au bénéfice des ’communautés’. Cela soulève un certain nombre de questions : qui parle au nom de la dite communauté ? qui parle au nom de la religion ? qui parle au nom de la culture ? Généralement ce sont des hommes, « leaders » autoproclamés, conservateurs, et religieux. Voilà un processus de représentation hautement anti-démocratique. Pourquoi la religion représenterait-elle toute une population ? Je ne vois aucun autre exemple dans le contexte européen, où des hommes de religion sont appelés à statuer sur des problèmes sociaux, sauf quand il s’agit de « Musulmans ». Les gouvernements font-ils appel au Vatican quand il y a une grève de mineurs ? ou bien négocient-ils avec les syndicats ?
- Avec l’érosion de la notion de citoyenneté, apparait une fragmentation croissante du peuple en entités de plus en plus petites. Alors qu’il y a quelques décennies, les immigrés en Europe s’unissaient et s’organisaient ensemble pour leurs droits avec force et succès, ce sont maintenant les « Musulmans », les « Sikhs », les « Hindous », etc..., qui revendiquent des droits spéciaux, des statuts spécifiques, une représentation séparée, et qui posent des revendications différentes. Comment ignorer que cette fragmentation du peuple affaiblit les luttes et, en dernière analyse, sert le capital ?
Ceci pourrait bien expliquer la tolérance dont jouissent les fondamentalistes en Europe, de la part des gouvernements. Mais que dire de la gauche et de sa défense à courte vue des fondamentalistes ?
Ce sont là les effrayantes conséquences du manque d’analyse politique à l’égard du fondamentalisme. Quand la gauche soutient les mouvements et les partis fondamentalistes sous le prétexte que ce sont des forces populaires opprimées par des états non-démocratiques ou par l’impérialisme, c’est qu’elle refuse de regarder leur programme politique et leur projet de société.
Populaires, certes ils le sont. Et populistes aussi. Tout comme les fascistes. Et Hitler, ne l’oublions pas, fut élu par le peuple.
A toute situation d’oppression, d’exclusion, de marginalisation, de racisme, etc..., il y a des réponses de gauche, des réponses progressistes ou révolutionnaires ; et il y a des réponses de droite, des réponses fascistes. Le fondamentalisme est une réponse d’extrême droite ; ce n’est pas une réponse légitime qui peut ou doit être soutenue.
Les oppositions progressistes laïques aux états non-démocratiques, à l’impérialisme et au capitalisme existent dans tous les pays musulmans et elles existent aussi parmi les immigrés et les citoyens descendant d’immigrés en Europe. Elles existent malgré la féroce répression des états, malgré l’élimination physique menée par les acteurs non étatiques fondamentalistes et malgré l’abandon de ceux qui devraient être leurs alliés naturels en Europe : les démocrates, les progressistes, les laïcs, les défenseurs des droits humains.
Au cours des dernières décennies, les forces progressistes des pays musulmans ont mis le monde en garde, quant à la nature fasciste du fondamentalisme. En vain, semble-t-il, la plupart du temps.
Nous nous sentons aussi seuls qu’ont dû l’être les anti-nazis allemands dans les années 30, quand ceux qui auraient dû entendre leur mise en garde étaient occupés à se compromettre à Munich, soit disant pour maintenir la paix dans le monde, alors qu’ un monstrueux Frankenstein se préparait à imposer sa loi à de nombreux peuples et nations.
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