Dans son hommage rendu à Françoise David, Amir Khadir n’a pas manqué de rappeler comment « son absence (...) à l’Assemblée nationale sera difficile à combler » et « comment on la regrettera beaucoup ». Comment aussi « manqueront le calme et la discipline » dont elle faisait preuve « au travail comme dans l’arène du combat, affrontant la furie malheureuse du pouvoir ou la frénésie médiatique ».
Mais il rappelait en même temps que l’alternative de gauche qu’incarnait QS avait commencé avant Françoise David et qu’elle pourrait donc continuer sans elle. Ne serait-ce que parce que QS appartient à ce courant historique de gauche bien enraciné au Québec, à cette longue tradition d’efforts collectifs s’employant à installer plus d’égalité là où tout concourt, depuis tant de temps, à la faire disparaître. Et plus particulièrement en ces temps de néolibéralisme et de montée du conservatisme.
C’est en ce sens que le départ de Françoise David nous interroge : comment dorénavant amener QS à faire un pas de plus, comment aller au-delà de ce qui s’est déjà construit depuis 2006, date de l’unification des forces de l’UFP et d’Option citoyenne et de la fondation de QS ?
Si en effet à travers ses 3 députés et les figures charismatiques d’Amir Khadir et de Françoise David, QS a acquis depuis 2006 une indéniable légitimité sur la scène politique québécoise, s’il est arrivé à peser parfois à la marge – avec ses près de 10% d’appui dans les sondages— sur l’échiquier politique du Québec, on est cependant encore loin d’imaginer QS au gouvernement, ou même simplement doté d’une importante députation.
À ce propos, bien des choses ont été écrites autour du départ de Françoise David, et comme à leur habitude bien des éditorialistes et chroniqueurs y sont allés de leurs commentaires à l’emporte-pièce, voyant par exemple en Françoise David une empêcheuse de toute convergence avec le PQ.
Une femme politique pragmatique
En fait Françoise David, au-delà même de son passage lointain à En lutte et de ses engagements féministes notamment à la tête de la Fédération des femmes, était devenue en politique ce qu’on pourrait appeler une « pragmatique ». Une pragmatique qui loin des idéologies de gauche du passé —quelque fois même en réaction viscérale à ces dernières--- a cherché à trouver une voie alternative entre les aspirations féministes, altermondialistes, écologiques, souverainistes d’une nouvelle gauche « post chute du mur de Berlin » et celles plus classiques d’une social-démocratie dépoussiérée. Une voie moyenne – pourrait-on dire — qui, sans rien exacerber des différences propres à ces multiples sensibilités, cherchait, tout en en atténuant les côtés tranchants, à leur trouver une base minimum commune et consensuelle.
Et sur cette base, ce qui la guidait, c’était l’idée maîtresse de faire naître et grandir —ici et maintenant au Québec — une force politique de gauche qui serait crédible, institutionnellement crédible, et qui tout en favorisant une unité grandissante, se ferait entendre, et bien entendre (avec professionalisme et dignité), mais en privilégiant d’abord et avant tout le terrain de la scène électorale. Avec bien sûr pour le futur, le projet de croître de manière notable, et sinon de former un gouvernement, tout au moins de faire élire un groupe important de députés capables de se muer en une force avec laquelle on devrait compter au Québec.
Un formidable obstacle politique
Or depuis les dernières élections d’avril 2014, c’est un peu l’os que QS doit ronger : malgré un succès d’estime, malgré de formidables efforts mis en branle lors de ces élections, malgré l’expérience acquise, QS semble plafonner, avoir de la difficulté en termes électoraux à quitter les marges et à être autre chose qu’une force d’appoint. Et cela, sans qu’il soit facile de trouver des solutions concrètes et immédiates à cet indéniable blocage ; des solutions allant dans le même sens de ce qui avait été fait jusqu’à présent. Comme si QS devait trouver — de la même manière que la gauche, un peu partout dans le monde — de nouvelles stratégies sur le moyen et long terme pour avancer et croître, tout en évitant de sombrer dans les dérives du néolibéralisme ou de l’intégration « affadissante » au système !
C’est dans ce contexte qu’on peut, peut-être aussi, interpréter le départ de Françoise David. Au-delà de l’âge, au-delà de la fatigue et des innombrables contraintes et lourdeurs propres au travail de député... toutes choses qui comptent bien évidemment... il y a ce formidable obstacle d’ordre politique, difficile à résoudre sur le court terme et qu’on pourrait dépasser qu’en osant questionner de front les limitations de cette approche pragmatique, consensuelle et à court terme qui a servi jusqu’à présent de boussole principale à QS.
D’où sans doute cette aspiration à passer la main assez rapidement en ce début de 2017, tout en profitant des aléas favorables de la conjoncture politique et en laissant ainsi suffisamment de temps à une personnalité comme Gabriel Nadeau Dubois ou d’autres pour faire ses classes lors d’une élection partielle et ouvrir ainsi la porte à une relève plus jeune capable d’affronter ces nouveaux défis.
Une mue nécessaire
Il n’en demeure pas moins que ces défis sont de taille, et qu’il n’est pas sûr que la soudaine arrivée – au sein de QS — d’une nouvelle personnalité politique — fut-elle accompagnée d’un afflux de sympathisants enthousiastes — permette d’y arriver facilement.
Au-delà même de la question de la convergence et des alliances électorales possibles avec le PQ, vis-à-vis desquelles la dernière conférence nationale a établi d’étroites balises et dont rien ne dit a priori que QS s’en sortira facilement gagnant, il y a des questions de fond qu’à QS, on ne pourra plus éviter longtemps.
Qu’il suffise par exemple de penser à la place réservée à l’indépendance dans les politiques de QS, ou encore à la nature exact du programme économique mis de l’avant ainsi qu’aux modalités de la vie démocratique du parti et de ses rapports incertains avec les mouvements sociaux, et en particulier le mouvement syndical. Tout ne reste-t-il pas encore bien flou et ambigü, en quelque sorte à géométrie variable, alors que l’habileté manoeuvrière du nouveau chef du PQ, Jean-François Lisée, exigerait pour que QS puisse tirer son épingle du jeu, d’être clair comme jamais ?
Et plutôt que de s’emballer passionnellement — la machine à rumeurs aidant — autour de la venue d’une possible personnalité de prestige, n’est-ce pas en osant se confronter sans concessions et de manière large et démocratique à ces 4 grandes questions d’ordre stratégique que l’on pourra faire effectuer à QS la mue tant nécessaire dont ce parti a besoin aujourd’hui ?
Pierre Mouterde
Sociologue et essayiste