Le 18 janvier 2016, des avocats, juges et juristes de nombreux pays et des organisations internationales ont écrit au président chinois Xi Jinping pour exprimer leur profonde préoccupation quant au mouvement de répression sans précédent que subissent les avocats défenseurs des droits de l’homme. Ce mouvement a commencé dans la nuit du 9 juillet 2015 avec les disparitions forcées des avocats Wang Y, Bao Longjun et leur fils de 16 ans. Il continue encore aujourd’hui avec la récente sortie de Li Chunfu de 500 jours de détention au secret dans un très grave état psychologique et physique.
Condamnations abusives
Depuis le 9 juillet 2015, et ce jusqu’à aujourd’hui, des centaines d’avocats, collaborateurs de cabinets d’avocats et leurs familles ont été soumis à des intimidations, des interrogatoires, des placements en détention, des condamnations abusives et des disparitions forcées.
Nous, avocats, juges et juristes signataires de ce texte, estimons devoir prendre la parole à nouveau pour partager notre préoccupation profonde et continue concernant les développements survenus en Chine depuis notre lettre du 18 janvier 2016, en particulier le traitement des avocats, de leurs assistants et de leurs proches collaborateurs, soutiens et familles que nous avions mentionnés.
Nous avons observé les développements suivants avec inquiétude :
– les autorités continuent de priver plusieurs de ces détenus, placés en détention incommunicado dans l’attente de leur procès, de tout accès à l’avocat de leur choix (parmi ces cas, Li Chunfu, Li Heping, Wang Quanzhang et jusqu’à récemment Xie Yang) ;
– des traitements médicamenteux inappropriés seraient administrés à certains des détenus (le cas de Li Chunfu montre qu’il s’est vu administrer un traitement contre l’hypertension artérielle, alors même que sa tension était normale selon un diagnostic médical indépendant) ;
– nous craignons que les détenus soient victimes de violences physiques de la part du personnel pénitentiaire (Xie Yang a été frappé juste avant son premier entretien avec son avocat en décembre et a témoigné avoir subi différentes méthodes de torture : des passages à tabac ; des positions de stress ; menaces de mort ; privation de nourriture, d’eau et de sommeil et de produits d’hygiène de base ; privation de traitement médical…) ;
– les autorités ont affirmé que les avocats désignés par les détenus ou par leur famille avaient été « révoqués » et remplacés par des avocats choisis par l’État (notamment dans le cas de Li Heping) ;
– certains détenus subissent une persécution judiciaire à travers des chefs d’inculpation et des condamnations invraisemblables tels que « subversion du pouvoir de l’État », « incitation à la subversion du pouvoir de l’Etat » et autres atteintes à la sécurité nationale et à l’ordre public (en août, Zhou Shifeng a ainsi été condamné à sept ans de prison pour subversion) ;
– plusieurs détenus, y compris Wang Yu, son époux Bao Longjun et Zhao Wei, ancienne assistante de Li Heping ont été « libérés » de centres de détention pour être transférés dans des résidences privées où ils sont surveillés et demeurent complètement isolés, sans contact avec leurs amis et collègues ;
– des médias officiels ont diffusé des déclarations écrites, orales et filmées dans lesquelles les détenus s’auto-incriminent ou renoncent à leurs droits, apparemment sous la menace des autorités (l’avocat Zhang Kai a ainsi été contraint de délivrer des « aveux » télévisés et de renoncer à son avocat ; il a rétracté ses déclarations en août en indiquant qu’elles avaient été prononcées sous la contrainte) ;
– les autorités ont fait pression sur les membres des familles des détenus – aussi bien les époux et épouses, que les frères et sœurs, les enfants ou les parents – afin qu’ils persuadent leur proche en détention d’« avouer » et de plaider coupable (Les parents de Li Chunfu et de Li Heping, par exemple, ont été forcés par des policiers d’enregistrer une vidéo dans laquelle ils demandent à leurs fils de reconnaître leur culpabilité) ;
– les familles des détenus subissent diverses formes de persécutions : les épouses de Li Heping, Wang Quanzhang et Xie Yanyi ont été placées sous surveillance policière et sont harcelées ; les enfants de Li Heping et Wang Quanzhang ont été expulsés de leur école après des menaces de la police ; les propriétaires des appartements où résident les familles de Wang Quanzhang et Xie Yanyi ont subi des pressions visant à les expulser ;
– les médias diffament les détenus à travers des reportages, des vidéos officielles et d’autres documents dans lesquels ils sont présentés comme des criminels et des ennemis de leur pays.
« Incitation à la subversion du pouvoir de l’État »
Par ailleurs, des médias officiels ont annoncé le 16 décembre que l’avocat des droits de l’homme Jiang Tianyong, disparu depuis le 21 novembre, était officiellement détenu pour plusieurs motifs, y compris « incitation à la subversion du pouvoir de l’État ». Collègue et ami de plusieurs autres avocats détenus, Jiang Tianyong a été soumis à une disparition forcée. Il a déjà été torturé à deux reprises dans le passé et sa santé demeure fragile, en raison des séquelles liées à ces sévices. Il existe de sérieuses craintes que ses droits fondamentaux, notamment en matière de protection contre la torture ou de droit à un procès équitable, aient été à nouveau violés.
Nous continuons à être particulièrement préoccupés par la situation des personnes qui ont dans le passé déjà été placées en détention, soumises à des disparitions forcées et/ou à des actes de torture. Parmi elles, Li Heping, son frère Li Chunfu, Wang Quanzhang et Jiang Tianyong, ainsi que Zhang Kai.
La Chine a signé et ratifié la Convention contre la torture
Le président chinois a affirmé à plusieurs reprises que « la Chine est un pays gouverné par la loi » et que « chaque cellule du Parti et chaque membre du Parti doit respecter la Constitution et les lois du pays et ne peut invoquer la direction du Parti comme un privilège qui les autoriserait à les violer ». Néanmoins, les événements décrits ci-dessus s’éloignent de plus en plus de ces engagements.
Nous rappelons respectueusement au président Xi Jinping que la Chine a signé et ratifié la Convention contre la torture et signé le Pacte international sur les droits civils et politiques. Par la détention et la disparition de ces avocats et employés de cabinets, la Chine viole ses obligations internationales ainsi que le droit et les principes constitutionnels chinois. Elle viole également les Principes de base des Nations unies relatifs au rôle du barreau, la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme et l’Ensemble de Principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement.
Superpuissance
Pour justifier sa revendication d’être considérée comme un membre responsable de la communauté internationale et obtenir le respect dû à son statut de superpuissance mondiale, il est indispensable que la Chine respecte ses engagements en matière de défense des droits de l’Homme. C’est pourquoi, nous exhortons les autorités à :
– assurer la libération des avocats et des autres personnes détenus ;
– garantir que tous ceux qui sont soupçonnés d’infractions pénales aient accès à un avocat ;
– indiquer le lieu où se trouvent les victimes de disparition forcée ;
– garantir que les droits des personnes détenues, notamment leur droit à recevoir des soins médicaux appropriés soient respectés ;
– garantir que les avocats en détention et leurs collègues soient à l’avenir protégés contre toute mesure de contrôle telles que : la filature, les violences, la détention temporaire, les déplacements temporaires contraints, les interrogatoires officieux, la détention administrative ou judiciaire, la disparition forcée, la torture ou encore l’enfermement dans un hôpital psychiatrique.
Les signataires de ce texte sont : Dominique Attias (vice-bâtonnière du barreau de Paris, secrétaire générale de l’Observatoire international des avocats en danger), Robert Badinter (ancien garde des Sceaux et président du Conseil constitutionnel), Gill H. Boeringer (représentant de l’International association of people’s lawyers (Australie) ), Laurence Bory (présidente de l’Union internationale des avocats (International) ), Edgar Boydens (ancien bâtonnier de l’Ordre néerlandais du barreau de Bruxelles, président d’Avocats sans frontières (Belgique) ), Kirsty Brimelow (directrice du Comité des droits de l’Homme du barreau d’Angleterre et du pays de Galle (Royaume-Uni) ), Jean-Pierre Buyle (président de l’ordre des barreaux francophone et germanophone de Belgique (Belgique) ), Reed Brody (avocat défenseur des droits de l’Homme (États Unis) ), David Collins (ancien président de l’American bar association (États Unis) ), Alexandre Couyoumdjian et Virginie Dusen (co-présidents de l’Association française des avocats et juristes arméniens (France) ), Elizabeth Evatt (ancienne présidente de la Commission australienne de réforme et des lois ; commissaire de la Commission internationale de juristes (Australie) ), Pascal Eydoux (président du Conseil national des barreaux, président de l’Observatoire international des avocats en danger (OIAD) ), Carlos Fuentenebro (bâtonnier de l’Ordre des avocats de Biscaye (Espagne) ), Ruthven Gemmell (président du Conseil des barreaux européens (Europe) ), Sonia Gumpert (bâtonnière du barreau de Madrid (Espagne) ), Patrick Henry (président du Comité des droits de l’Homme du conseil des barreaux européens et vice président), Asma Jahangir (juriste et présidente du barreau de la Cour suprême du Pakistan, membre fondateur de la Commission des droits de l’Homme du Pakistan (Pakistan) ), Grégoire Mangeat (bâtonnier de l’Ordre des avocats de Genève (Suisse) ), Michael Mansfield (avocat et professeur de droit à la City University de Londres (Royaume-Uni) ), Andrea Mascherin (président du Conseil national des barreaux italiens (Italie) ), Juan Mendez (ancien rapporteur des Nations unies sur la torture (Argentine) ), Marcus Mollnau (président du barreau de Berlin (Allemagne) ), Manfred Nowak (professeur de droit international et de droits de l’Homme à l’université de Vienne (Autriche) ), Victoria Ortega Benito (présidente du Conseil national des barreaux espagnols (Espagne) ), Christophe Pettiti (secrétaire général de l’Institut des droits de l’Homme du barreau de Paris (France) ), Stuart Russel (ancien juge administratif (Canada) ), Clive Adrian Stafford Smith (avocat défenseur des droits de l’Homme (Royaume Uni) ) et David J. Scheffer (ancien ambassadeur américain sur les crimes de guerre, professeur et directeur du centre des droits de l’Homme de la Pritzker School of Law de l’université Northwestern (États-Unis) )