Et si le conflit en mer de Chine se jouait aussi en Afrique ? On pourrait le croire à voir le ballet diplomatique incessant qui agite les chancelleries africaines ces derniers mois. Il ne se passe plus en effet une seule visite d’Etat en Chine sans que le sujet soit abordé. Les représentants africains étant fortement incités à soutenir publiquement la position chinoise. Pékin revendique en effet la souveraineté de la quasi-totalité de la mer de Chine méridionale. Un chapelet de rocailles en pleine mer tropicale situé à plus de dix mille kilomètres de l’Afrique, mais riche en ressources et cruciale pour le commerce mondial.
Pour appuyer ses prétentions, la Chine y mène d’énormes travaux de remblaiement, construisant des îles artificielles et des pistes d’atterrissage pouvant accueillir des avions militaires. Des opérations effectuées au grand dam des pays riverains, notamment du Vietnam, des Philippines, de la Malaisie ou de Brunei, qui ont également des revendications sur la zone. Les Etats-Unis s’y sont mêlés déployant deux porte-avions au large des Philippines.
Le soutien d’une vingtaine de pays africains
Mais la bataille se joue également sur le terrain diplomatique. La Chine revendique le soutien d’une vingtaine de pays africains, soit un tiers de ses alliés potentiels. Sur ces vingt pays que cite Pékin, seuls sept assument ouvertement leur soutien. Il s’agit de la Gambie, récemment rallié à la cause chinoise, du Kenya, de la Mauritanie, du Togo, du Burundi et plus récemment du Lesotho et du Niger.
Le Niger a pris position officiellement en mai. Une déclaration sibylline mais immédiatement interprétée comme un soutien sans faille à la cause chinoise par les médias officiels. L’ambassade ne souhaite pas s’exprimer sur le sujet.
Le Niger, comme les autres pays d’Afrique concernés, a certainement davantage à gagner d’un soutien que d’une opposition. Le géant étatique chinois des hydrocarbures CNPC a investi des milliards d’euros dans le pays, dont le secteur pétrolier est désormais presque entièrement dépendant des entreprises chinoises.
« Il s’agit là d’un exemple des nombreuses relations bilatérales que Pékin entretient, puis met à profit en cas de besoin », estime Deborah Brautigam, de l’université Johns-Hopkins et spécialiste de la Chinafrique.
Servir les intérêts diplomatiques de Pékin
« Les Chinois fournissent une aide officielle au développement principalement pour des raisons diplomatiques, assure-t- elle. Et lorsqu’il a besoin du soutien diplomatique d’un pays, le ministère des affaires étrangères le sollicite. Pour un pays africain, le ralliement à la Chine n’a que peu de répercussions diplomatiques et commerciales. »
Ce n’est pas la première fois que l’Afrique sert ainsi les intérêts diplomatiques de Pékin. A l’ONU, on avait déjà assisté à ce bras de fer pour lutter contre les velléités indépendantistes de Taïwan ou pour soutenir une résolution qui ne lui serait pas favorable. Il s’agit là du jeu classique de la diplomatie, mais rarement jusque-là Pékin avait su constituer une coalition aussi hétéroclite allant de l’Afghanistan au Niger. Dans cette « guerre de relations publiques », comme l’appelle Ashley Townshend, chercheur associé au Centre d’études sur les Etats-Unis à l’université de Sydney, tous les coups sont permis.
« Mais si l’on compare l’influence économique grandissante de la Chine en Afrique avec ce soutien très timide d’une poignée de pays à l’influence plus que discutable – voyez la Gambie, le Lesotho ou le Niger – alors on peut douter de la capacité qu’a la Chine de transformer sur le terrain diplomatique ses succès économiques », analyse cependant un diplomate en poste à Pékin. La Chinafrique reste encore un nain diplomatique.
Sébastien Le Belzic
chroniqueur Le Monde Afrique, Hongkong