Aujourd’hui s’ouvre à nouveau, au Luxembourg, le procès d’Antoine Deltour, Raphaël Halet et Édouard Perrin, les deux lanceurs d’alerte et le journaliste, grâce auxquels le scandale LuxLeaks a pu éclater au grand jour. En juin 2016, É. Perrin avait été acquitté mais le parquet luxembourgeois a décidé de faire appel. A. Deltour et R. Halet, quant à eux, condamnés respectivement à 12 mois et 9 mois de prison avec sursis et à des amendes, ont fait appel. Ce verdict est en effet tout simplement scandaleux, sanctionnant un acte citoyen courageux : la mise à jour d’un système de fraude fiscale de grande ampleur via des centaines d’accords secrets entre des multinationales et l’administration fiscale luxembourgeoise (« tax ruling »), par l’intermédiaire du cabinet d’audit Price waterhouse Coopers (PwC).
Un système d’évitement de l’impôt, qui représente de lourdes pertes pour les finances publiques. La Commission des finances de l’Assemblée nationale ne dit d’ailleurs pas autre chose dans un rapport d’information sur « la gestion et la transparence de la dette publique », publié en juillet 2016. Les rapporteurs y soulignent que, depuis 30 ans, la contraction des recettes fiscales contribue à aggraver le déséquilibre budgétaire de l’État. [1] Parmi les principaux facteurs amputant les recettes fiscales, l’évasion fiscale « représente, d’après l’évaluation de la Cour des comptes, 60 milliards d’euros par an de recette non perçue ». La Commission insiste également sur le fait que « la connaissance des détenteurs de la dette française est insuffisante » et que la « proportion de titres de la dette détenue dans des paradis fiscaux n’est pas connue ». Elle préconise alors de « renforcer la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, en veillant particulièrement à ce que la dette française ne puisse servir à enrichir des investisseurs installés dans des paradis fiscaux », à travers les intérêts de la dette payés par le contribuable.
Alors qu’Antoine, Raphaël et Édouard se retrouvent aujourd’hui sur le banc des accusés, J.C. Juncker, ancien premier ministre du Grand-Duché du Luxembourg de 1995 et 2013, ayant participé à ce vol organisé, est à la tête de la Commission européenne. Et de l’autre côté de la frontière s’annonce aussi un procès tout autant contestable puisque, le 9 janvier 2017, Jon Palais sera jugé à Dax suite à une « réquisition de chaises » de BNP Paribas visant à dénoncer l’évasion fiscale à laquelle participe cette banque, comme toutes les autres. [2]
Le tribunal ayant à juste titre reconnu lors du premier procès que les lanceurs d’alerte « ont agi dans l’intérêt général et contre des pratiques d’optimisation fiscale douteuses », c’est tout simplement la relaxe qui doit être prononcée pour Antoine et Raphaël, et confirmée pour Édouard.
La directrice du FMI, en procès
Parallèlement au procès Luxleaks une autre audience s’ouvre aujourd’hui en France : celle de Christine Lagarde. Accusée de « négligences graves » ayant permis de détourner des fonds publics, l’actuelle directrice générale du FMI, Christine Lagarde - qui a tout fait pour essayer d’y échapper - est à nouveau convoquée devant la Cour de justice de la République (CJR) pour un procès qui devrait se dérouler du 12 au 20 décembre. Madame Lagarde affirme qu’elle se mettra en congé de l’organisation internationale durant son procès qu’elle tente par ailleurs de reporter.
Christine Lagarde, dépositaire de l’autorité publique lorsqu’elle était ministre de l’Économie et des Finances de Nicolas Sarkozy est soupçonnée de complicité dans une affaire ayant mené au détournement de plus de 403 millions d’euros de fonds publics au profit de Bernard Tapie, en 2008, ce dernier estimant avoir été lésé par la banque Crédit lyonnais lors de la vente d’Adidas en 1993. De plus, outre Bernard Tapie, l’ex-directeur de cabinet de Christine Lagarde au Ministère des Finances et actuel PDG d’Orange, Stéphane Richard, fait l’objet d’une procédure pénale encore en cours pour « escroquerie en bande organisée » et « détournement de fonds publics ».
Lors de sa campagne pour son investiture au FMI, C. Lagarde prétendait que le dossier était vide et qu’il n’avait pas de « substance pénale ». Selon une nouvelle disposition dans sa lettre d’engagement au FMI, elle est censée « respecter les règles les plus élevées en matière d’éthique, en accord avec les valeurs d’intégrité, d’impartialité et de discrétion », un engagement plutôt sérieusement compromis qui ne l’a pas empêchée d’empiler un deuxième mandat de cinq ans à compter du 5 juillet 2016.
Depuis le début de l’affaire, le conseil d’administration du Fonds renouvelle sa confiance à Christine Lagarde. « Le conseil d’administration [...] continue d’exprimer sa confiance dans la capacité de la directrice générale de s’acquitter efficacement de ses fonctions », avait déclaré le 12 septembre le porte-parole du Fonds, Gerry Rice.
Le FMI n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai en ce qui concerne la protection et le soutien des délinquants financiers, puisque d’autres représentant.e.s de l’institution, avant Christine Lagarde, ont été inquiété.e.s par la justice. À commencer par Dominique Strauss-Kahn, contraint à la démission en mai 2011 après son arrestation pour tentative de viol à New York. Son prédécesseur, l’espagnol Rodrigo Rato, avait lui-même présenté sa démission avant la fin de son mandat au FMI pour rejoindre la banque Lazard à Londres avant de devenir PDG de Bankia en Espagne. En plus d’être poursuivi, lui aussi, pour détournement de fonds, il est sous le coup de la justice pour fraude fiscale et blanchiment, escroquerie, faux et usage de faux, dans l’affaire Bankia.
Le soutien infaillible du FMI à la délinquance en col blanc n’a rien de surprenant. Le respect de la légalité n’étant pas vraiment le fort du FMI lui-même… comme le montrent les innombrables conventions et règles de droit international, violées par l’institution à travers les plans d’ajustement structurel qu’elle impose aux pays. Ou encore dans le cas grec, où le FMI a encore prouvé la haute considération qu’il faisait du respect des règles, en proposant un premier accord de prêt, dont une des clauses stipule que l’accord s’applique même s’il s’avérait illégal ! Le fonds est même allé jusqu’à piétiner ses propres règles pour pouvoir débloquer un prêt à un État dont la dette était déjà insoutenable. [3]
La justice a-t-elle choisi son camp ? Le CADTM a choisi le sien depuis longtemps et soutient les initiatives visant à dénoncer le comportement d’une oligarchie toute puissante, qui se gave avec l’argent du contribuable, sans devoir rendre de comptes... Cette impunité a déjà trop duré, à nous d’y mettre un terme !
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