A Alep, l’écrasement de la rébellion syrienne
L’armée syrienne affirme être « dans les derniers instants avant la proclamation de la victoire ». Dans la ville, les combattants anti-Assad ne contrôlent plus qu’une minuscule poche.
lls auront résisté près de quatre ans et demi. Mais cette fois c’est fini. Les rebelles barricadés depuis l’été 2012 dans les quartiers orientaux de la capitale du nord de la Syrie ont succombé à l’offensive loyaliste. Après avoir reculé de quartier en quartier depuis le déclenchement de cette attaque, le 15 novembre, les combattants anti-Assad, terrassés par la puissance de feu de leur adversaire, ne contrôlaient plus, mardi 13 décembre, qu’une minuscule poche de territoire, au sud de la citadelle.
Un réduit d’une poignée de kilomètres carrés, centrés sur les districts de Seïf Al-Daoula et Al-Ansari, dont la reprise par les forces progouvernementales semblait imminente. « Nous sommes dans les derniers instants avant la proclamation de la victoire de l’Armée arabe syrienne dans la bataille d’Alep-Est, affirmait lundi après-midi une source militaire syrienne. Nous pouvons l’annoncer à tout moment. »
Alors que ce week-end, ses alliés russes, par conviction ou diversion, entretenaient encore l’idée d’une évacuation de dernière minute des rebelles, le régime Assad, visiblement décidé à frapper les esprits, a imposé son propre dénouement : l’écrasement inconditionnel de l’insurrection. La reddition ou la mort. Un épilogue d’une brutalité implacable, sur lequel flotte le spectre des massacres de masse, commis par l’armée syrienne, en réponse à des soulèvements islamistes : à Hama, en 1982, et à Alep – déjà – en 1980.
« La fin du monde »
Les journalistes présents dans la partie ouest relataient lundi que le pilonnage des quartiers orientaux était le plus intense de ces derniers jours. La télévision syrienne a diffusé des images du quartier de Salhine, tombé aux mains de l’armée, montrant une étendue de ruines, avec des cadavres jonchant le sol et quelques civils errant dans les décombres, en tenant par la main un enfant ou des bagages.
Selon Moscou, 2 200 insurgés se sont rendus depuis le début de la bataille d’Alep et 100 000 civils ont quitté les quartiers qu’ils tenaient. L’ONU parle pour sa part de 40 000 déplacés. L’Observatoire syrien des droits de l’homme affirme que l’offensive a fait 415 morts civils et 364 parmi les combattants de l’est. Un bilan que les militants locaux jugent largement sous-évalué, compte tenu du fait que de nombreux corps, prisonniers des décombres, n’ont pas pu être décomptés par les autorités médicales.
Sur les réseaux sociaux ou par l’intermédiaire des applications de messagerie électronique, auquel certains assiégés d’Alep ont encore accès grâce à un système d’Internet par satellite, des bribes de témoignages parviennent à l’extérieur. « Les gens courent entre deux bombardements pour échapper à la mort (…). C’est la fin du monde ici », racontait lundi Abou Amer Ikab, un ancien fonctionnaire de Soukkari, joint par l’agence Reuters, peu avant que les troupes pro-Assad n’investissent ce secteur.
« Les blessés meurent sous nos yeux. Il n’y a plus de médicaments, plus d’anesthésique », confiait dimanche Abou Assad, un infirmier, situé dans un centre médical de fortune, dans le quartier de Kalasa. Quelques heures plus tard, une rafale de messages désespérés arrivait d’un docteur, présent au même endroit. « Attaque au chlore. » « Nous sommes piégés. On ne peut plus respirer. » « Trois personnes sont en train de mourir. »
Exécutions sommaires
Le même jour, le docteur Farida, la dernière gynécologue en activité à Alep-Est, postait sur un groupe WhatsApp reliant des journalistes étrangers à des médecins et à des militants révolutionnaires d’Alep un récit poignant. « Un ami de la famille, du quartier d’Al-Ferdous, a amené son fils aîné au centre médical, pour faire examiner son œil. Cela a pris une demi-heure. Quand il est revenu chez lui, il a trouvé son appartement qui s’est effondré sur sa femme et ses trois autres enfants. Il a essayé de les sortir des gravats, mais il n’a pas pu, faute de matériel adéquat et du fait des tirs d’artillerie. Il veut juste voir les corps et les enterrer dignement. Je crois qu’il va devenir fou. »
Alors que les forces du régime de Bachar Al-Assad semblent en passe de reprendre le contrôle d’Alep, les Nations unies ont communiqué mardi 13 décembre sur des exécutions sommaires commises par les forces progouvernementales « probablement au cours des dernières quarante-huit heures ». Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH) s’appuie sur plusieurs témoignages en provenance de la partie est d’Alep, qui subit une terrible offensive depuis quatre semaines.
« Nous avons été informés que des forces pro-gouvernementales ont pénétré dans des habitations et tué les civils qui s’y trouvaient, y compris les femmes et les enfants », a dit le porte-parole du HCDH, Rupert Colville.
« En tout, hier soir, nous avons reçu des informations indiquant que des forces pro-gouvernementales avaient tué au moins 82 civils, dont 11 femmes et 13 enfants, dans les quartiers de Boustane Al-Qasr, Ferdous, Kallasé et Salhine », a-t-il ajouté, citant de « multiples sources dignes de foi ».
Rompant avec sa discrétion habituelle, le Comité international de la Croix-Rouge a publié un communiqué alarmiste, dans lequel il « implore toutes les parties à épargner la vie humaine ». Reconnaissant son échec à mettre en place des corridors d’évacuation à peu près sûrs, l’organisation humanitaire souligne le fait que « des milliers de personnes, sans rôle dans les violences, n’ont nulle part où se réfugier ».
Des cas d’arrestation de civils fuyant les combats émergent de plus en plus. Vendredi, le porte-parole du Haut-Commissariat pour les droits de l’homme de l’ONU, Rupert Colville, avait évoqué la disparition de « centaines d’hommes », séparés de leur famille, après être parvenus dans la zone occidentale d’Alep, sous contrôle gouvernemental. Le responsable onusien avait aussi accusé deux groupes rebelles radicaux, le Front Fatah Al-Cham, une émanation d’Al-Qaida, et les Brigades Abou Amara, d’avoir tué et kidnappé des civils tentant de se réfugier à l’ouest.
Messages d’adieu
« Nous savons que les forces du régime ont aménagé un centre de détention temporaire dans le quartier de Hanano, repris au début de l’offensive, affirme Saïd Eido, de l’Institut syrien pour la justice, une ONG alépine de défense des droits de l’homme. Nous avons entendu parler d’une douzaine de cas d’arrestations, d’hommes, mais aussi de femmes, parentes de membres de la rébellion. »
Les autorités syriennes ont démenti toute rafle, affirmant que les soldats se contentent de procéder à des vérifications d’identité. L’agence Reuters a diffusé des images d’hommes entre vingt et trente ans alignés contre un mur, face à des membres de la police militaire syrienne. Il s’agit de rescapés d’Alep-Est que l’armée syrienne s’apprête à incorporer de force dans ses unités.
Dans ce contexte, les militants anti-Assad, retranchés dans le dernier carré rebelle, se préparent au pire. Les appels au secours qu’ils diffusaient ces derniers jours sur WhatsApp ont fait place à des messages d’adieu. « Ça ressemble à la fin, les amis, écrivait lundi Monther Etaky, un journaliste-citoyen. On se défendra pour ne pas être exécutés. Racontez juste notre histoire au monde entier. Faites en sorte que mon fils soit fier de son père. »
Pendant ce temps, la télévision officielle syrienne diffusait des images de liesse dans les quartiers ouest, où des habitants distribuaient des friandises, pour célébrer la « libération » de leur ville.
Benjamin Barthe (Beyrouth, correspondant)
LE MONDE | 13.12.2016 à 11h26 • Mis à jour le 13.12.2016 à 14h13
http://www.lemonde.fr/syrie/article/2016/12/13/a-alep-l-ecrasement-final-de-la-rebellion_5048108_1618247.html?xtmc=benjamin_barthe&xtcr=2
Alep en passe de tomber, les témoins dénoncent des massacres
L’ONU affirme que les forces syriennes pro-gouvernementales ont tué au moins 82 civils, dont des femmes et des enfants.
La fin dans l’horreur ? Alors qu’Alep est sur le point de tomber totalement aux mains du régime, après quatre semaines d’une offensive dévastatrice contre les rebelles, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon s’est alarmé des informations y faisant état d’atrocités récentes contre des civils.
Des propos qui diffèrent largement des images officielles de la télévision d’Etat, montrant des scènes de liesse à Alep. Sur ces images, on voit des gens crier « Allah, Syrie et Bachar » et brandir des portraits de Bachar al-Assad et des drapeaux syriens. Il s’agirait en réalité de scènes filmées du côté ouest d’Alep, aux mains du régime. Une zone où des tirs de célébration ont été entendus par des journalistes de l’AFP.
Massacres de civils
A l’est de la ville, la situation serait autrement plus atroce. De nombreux témoins ont ainsi fait part de massacres de civils, notamment à l’arme blanche.
Selon Ismael, des massacres de civils sont commis notamment à l’arme blanche en ce moment à Alep-Est par les troupes de Bachar Al-Assad.
— Hugo Clément (@hugoclement) 12 décembre 2016
« Les forces du régime sont en train d’exécuter par balles des civils dans le quartier de Ferdous dans les secteurs assiégés d’Alep », affirme auprès de RFI un autre habitant d’Alep, militant de l’opposition à Bachar al-Assad.
"Parmi ces civils, il y a des femmes et des enfants. Les civils sont pris au piège. Ils subissent les bombardements et sont dans le viseur des tireurs embusqués. Ils sont en train de commettre un génocide. Ils tirent sur tout ce qui bouge et ne font aucune distinction entre un adulte et un enfant.
Des familles s’entassent dans les rues de ce qu’il reste encore des quartiers d’Alep-Est contrôlés par l’opposition. Et il y a aussi des dizaines de tirs d’obus. Les aviations russe et syrienne sont omniprésentes au-dessus de nos têtes... C’est la fin ici dans la zone assiégée."
D’autres témoignages font également état de civils brûlés vifs.
L’ONU affirme de son côté que les forces syriennes pro-gouvernementales ont tué au moins 82 civils, dont des femmes et des enfants, dans des quartiers d’Alep-Est.
Lors d’une conférence de presse à Genève, le porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme, Rupert Colville, a indiqué que ces victimes, parmi lesquelles figuraient 11 femmes et 13 enfants, avaient été tuées « probablement au cours des dernières 48 heures » dans quatre différents quartiers d’Alep.
Des adieux déchirants
Les derniers messages des témoins présents sur place, notamment la jeune Bana, ressemblent à de déchirants adieux.
« La bataille d’Alep touche à sa fin », a affirmé à l’AFP Rami Abdel Rahmane, directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH). De leur ancien bastion d’Alep-Est qu’ils contrôlaient depuis 2012, les insurgés ne tiendraient plus que deux principaux quartiers, Soukkari et Al-Machad, en plus d’une poignée de petits secteurs.
Comme à Grozny, la stratégie russe est simple : c’est la destruction totale
Dans le quartier d’Al-Machad, toujours sous contrôle rebelle, des témoins ont affirmé à l’AFP que de nombreux civils s’entassaient dans un même secteur faute d’abris. Des femmes et des enfants dorment dans la rue adossés à leurs valises. Les gens ont faim et sont à la recherche de pain, selon ces témoins.
En perdant ses dernières positions à Alep, la rébellion va essuyer son pire revers depuis le début de la guerre en mars 2011. La reconquête totale de la deuxième ville du pays offrira en effet au régime et à ses alliés le contrôle des cinq principales cités de Syrie avec Homs, Hama, Damas et Lattaquié. Et l’assurance de sa « victoire » finale.
Renaud Février
L’Obs 13 décembre 2016 - 08h59
Le silence règne sur la vieille ville d’Alep
ALEP (Syrie), 13 déc 2016
– La Vieille ville d’Alep, renommée pour ses souks animés et sa citadelle pluricentenaire, est aujourd’hui méconnaissable après des années d’une guerre sans merci qui a ravagé la deuxième ville de Syrie.
Durant des siècles, et jusqu’au début du conflit en 2011, la métropole septentrionale était la capitale économique du pays. Un important centre culturel attirant les touristes du monde entier pour admirer les sites historiques, vestiges des nombreuses civilisations qui s’y succédèrent dans une des plus anciennes villes au monde. Mais aujourd’hui, seuls des chats errants sont visibles dans les ruelles jonchées de gravats de la Vieille ville inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco.
La célèbre place al-Hatab, l’une des plus anciennes de la ville, est envahie par les barricades de sable et les carcasses calcinées de bus renversés. L’avocat et historien alépin, Alaa al-Sayyed, n’en croit pas ses yeux. « Je ne pouvais même pas la reconnaître, elle est tellement endommagée. Je me suis dis +ça ne peut pas être la place al-Hatab+ », confie l’historien.
Quatre années durant, la Vieille ville a été l’une des lignes de front. Ses vestiges antiques portent les traces des combats incessants ayant opposé rebelles des quartiers Est aux soldats du régime contrôlant les secteurs Ouest. Le 7 décembre, les insurgés ont été contraints de s’en retirer, débordés par l’offensive foudroyante lancée par le régime à la mi-novembre.
-’Héritage irremplaçable’-
Les pertes provoquées par les violences de ces dernières années sont inestimables. Le minaret seldjoukide de la mosquée des Omeyyades, datant du XIe siècle, s’est effondré. La citadelle, joyau de l’architecture militaire islamique du Moyen-Âge, dont la construction avait débuté au Xe siècle, a perdu une section de ses imposants remparts.
Et le souk, avec ses échoppes parfois centenaires, a été partiellement détruit par les flammes. Ce marché couvert était le plus grand au monde avec ses 4.000 échoppes et ses 40 caravansérails, qui attiraient depuis des siècles des artisans et des marchands venus des quatre coins du monde. Aujourd’hui, ses murs sont couverts d’impacts de balles et des traces des tirs de mortier et de roquettes. Le souk était « le cœur économique d’Alep, il fait partie d’un héritage irremplaçable », déplore M. Sayyed. S’y attaquer « c’est porter un coup décisif à l’économie d’Alep, puisque des milliers de familles, riches ou pauvres, dépendaient du souk pour leur gagne-pain ». Abou Ahmad, 50 ans, est là pour en témoigner. Ce commerçant possédait plusieurs échoppes dans la Vieille ville, où il vendait les étoffes aux couleurs vives qu’il fabriquait. Contraint par les combats d’abandonner son commerce florissant, il tient aujourd’hui un modeste kiosque dans le quartier central de Fourkane, préparant du café et autres boissons chaudes pour les passants.
« J’ai dû vendre les bijoux de ma femme pour acheter ce kiosque », se lamente Abou Ahmad, les larmes aux yeux. Il rêve de revenir à l’ancien souk, espérant voir une de ses boutiques encore debout. Sinon, il devra vendre sa voiture pour payer les réparations. « Je suis un commerçant et je ne veux pas abandonner mon commerce. Je veux le transmettre à mon fils », lance-t-il.
- Ville fantôme -
La guerre a ravagé le secteur touristique près de la citadelle, n’épargnant ni la mosquée Al-Sultaniya ni le Grand-Sérail, un élégant bâtiment administratif en pierre blanche datant du mandat français. Le Carlton Hotel, un palace, a été réduit en poussière en février 2014 lorsque des rebelles ont fait exploser des mines dans des tunnels. Et dans le quartier voisin d’Aqyul, les immeubles résidentiels détruits par les combats s’alignent à perte de vue. Aux fenêtres, dont les vitres ont été soufflées par les explosions, des lambeaux de rideaux bleus battent au vent.
Un chat errant déambule parmi les décombres, s’arrêtant pour renifler un corps décomposé au milieu de la route. Même le cimetière local n’a pas échappé aux combats. Les pierres des sépultures brisées gisent dans l’herbe sèche. Dans le quartier de Bab al-Hadid, où se trouve l’une des portes de l’Alep médiéval, le silence règne. Près de la place éponyme, datant de 1509, le drapeau de l’opposition, doté de trois étoiles rouges, est peint sur les devantures des boutiques. Sur un mur du quartier désert, un graffiti : « De l’Houran (région du sud) à Alep, la révolution continue ».
Dépêche AFP – AFP 131354 DEC 16
L’ordre ignominieux d’Alep
Bachar Al-Assad, la Russie et l’Iran sont les grands vainqueurs de la bataille pour la deuxième ville de Syrie. Détruite, Alep risque d’être l’objet d’une sordide épuration politico-confessionnelle.
L’ordre poutino-assadien règne à Alep. Le principal fief de la rébellion était, mardi 13 décembre, en passe de tomber sous les coups de boutoir des avions russes et syriens, le déluge d’obus de l’armée ainsi que les assauts des multiples milices chiites – des Libanais du Hezbollah aux Afghans en passant par les Irakiens – encadrées par des officiers iraniens et russes. Jamais l’armée syrienne n’aurait pu, seule, venir à bout des insurgés d’Alep, qui ont ¬contrôlé la moitié orientale de la ville pendant plus de quatre années. Cette victoire n’est pas seulement celle, incontestable, de Vladimir Poutine, elle est celle de la République islamique d’Iran, qui poursuit une politique d’implantation dans le monde arabe lourde de conséquences et de tensions à venir.
Bachar Al-Assad est l’autre grand vainqueur d’Alep. Nul n’imaginait, il y a un an et demi seulement, qu’il puisse reprendre l’initiative sur le terrain militaire. Nul n’imaginait même, cet été, alors que le siège du réduit insurgé débutait, que le sort d’Alep serait scellé en moins de six mois. Mais de quelle victoire s’agit-il ?
Une ville dévastée
Si Moscou et Téhéran se moquent d’établir leur férule sur un champ de ruines, le régime, lui, récupère une ville exsangue. Ce qui fut, il n’y a pas si longtemps, la capitale économique de la Syrie n’est plus qu’un cimetière dévasté et déserté. Les quartiers ouest, régulièrement bombardés par les ¬rebelles, restent quasi intacts, mais la zone industrielle d’Alep l’industrieuse, pillée par la rébellion, n’est plus – tout comme les vieux souks, brûlés dans les combats.
Les faubourgs populaires sont vides et l’on se demande qui va reconstruire Alep, tant le régime est plus soucieux de chasser la majorité sunnite, suspecte de sympathie pour les rebelles, que de convier les réfugiés à revenir au pays. Alep risque de subir le sort d’Homs, dont les quartiers détruits restent désertés et où l’on incite des ré¬fugiés afghans chiites venus d’Iran à venir s’installer pour prendre la place des ¬Syriens qui ont fui la guerre. La chute d’Alep, qui ne s’est accompagnée d’aucun plan de protection des civils, va être suivie d’une épu¬ration politico-confessionnelle du type de celles observées dans les années 1990 en ex-Yougoslavie. Déjà, on parle de camps de regroupement pour les femmes et les enfants, et de disparitions en masse des hommes de moins de 40 ans. Terrible réminiscence.
Les Occidentaux en spectateurs effarés
Mais alors que l’enjeu de sécurité – sans même parler de morale – est aussi grand qu’en ex-Yougoslavie pour les Occidentaux, ceux-ci sont restés, cette fois-ci, spectateurs effarés du drame. Alep aura été l’un des tombeaux du droit international, de l’ONU, du minimum de décence et d’humanité. La grande majorité des habitants d’Alep-Est ont vécu (et péri) sous les bombes, dans les privations et à la merci des exactions de la rébellion, plutôt que de subir la torture et la dictature du régime Assad. C’est dire ce qui attend les survivants et l’ampleur du rejet du régime syrien dans une bonne partie de la population.
Tout comme la chute de Srebrenica a été un tournant dans la guerre de Yougoslavie, la dernière ignominie qui a fini par réveiller la communauté internationale, celle d’Alep marquera un tournant aussi. Mais il n’y a rien de bon à en attendre. Et ceux qui jugent utile de s’en accommoder risquent de subir pendant longtemps les conséquences de l’ordre ignominieux qui vient de triompher à Alep.
Editorial du « Monde ».
LE MONDE | 13.12.2016 à 11h36 • Mis à jour le 13.12.2016 à 13h06