Une participation record pour ce type d’objet. Un peu moins de 70% d’Italien.ne.s (65.5% si on y ajoute les Italien.ne.s de l’étranger) sont allés voter cette fois-ci, contre 34.% en 2001 et 53.8% en 2006. Du jamais vu pour ce type de consultation depuis une vingtaine d’années. Le Non l’emporte pratiquement dans toute l’Italie avec des pourcentages particulièrement élevés dans le Sud ; en Sicile (71.2%), en Sardaigne (72.5%), en Campanie (68.4%) ou dans les Pouilles (67.2%). Dans le Nord, c’est en Vénétie, fief de la Lega Nord de Matteo Salvini, que le Non fait son score le plus élevé (61.8%). Seules trois régions font exception : la Toscane de Matteo Renzi, vote Oui à 52.4%, l’Emilie Romagne à 50.3% et le Trentin à 57%. Sans surprise, les Italien.ne.s de l’étranger ont eux.elles aussi soutenu la refonte de la Constitution à 60.24% (Repubblica, 6 décembre 2016).
« J’assume l’entière responsabilité de la défaite… »
En bref, 6 Italien.ne.s sur 10 ont dit Non à Matteo Renzi en rejetant massivement la réforme qui était au cœur de son programme politique et des alliances qu’il avait passées, notamment avec Silvio Berlusconi, dès après son arrivée au pouvoir en février 2014. Beaucoup ont insisté sur l’« erreur » du président du Conseil d’en avoir fait sa bataille politique majeure, quitte à risquer sa place. Et il est vrai que la campagne a été menée tambour battant, multipliant les publicités dans les rues italiennes, les meetings, les interviews et débats télévisés… Peu ont en revanche relevé que les Italien.ne.s n’ont pas seulement clairement rejeté Matteo Renzi, mais aussi les politiques qu’il a défendues et menées durant les 1000 jours de son gouvernement.
Sa démission est la conclusion logique de la désaffection grandissante d’une population italienne qui s’appauvrit massivement. Une désaffection qui s’est récemment exprimée dans les urnes lors des élections administratives locales de juin dernier. Le PD a alors perdu 12 chefs lieux. Virginia Raggi et Chiara Appendino, deux jeunes femmes issues des rangs du Mouvement 5 étoiles (M5S), ont été largement élues, respectivement à la mairie de Rome et de Turin. On s’en souvient, Matteo Renzi avait alors souligné le caractère « local » de ces élections, annoncé qu’il ne changerait pas de politique, et proclamé qu’il était bien décidé à rester jusqu’en 2023. Une bravade face à un PD en perte de vitesse et dont le programme politique entre en contradiction radicale avec le quotidien de l’écrasante majorité des Italien.ne.s, et en particulier des classes populaires. A Rome, par exemple, Virginia Raggi avait été plébiscitée dans les quartiers populaires, contre le candidat démocrate largement élu dans les quartiers cossus de la ville.
Le Non de la révolte
Au sortir des urnes, les journalistes ont tous relevé chacun à leur manière la signification fortement politique de ce vote : un vote sanction. Mais de qui est constitué ce « peuple de la révolte » dont parlait le directeur du journal patronal La Stampa au sortir des urnes ?
Selon les dernières données, les chômeurs.euses se sont prononcés à plus de 70% pour le Non ; une portion donc significative dans un pays où le taux de chômage est particulièrement élevé (11.6%). Ont également rejeté la refonte de la Constitution les indépendants (76%), catégorie assez floue qui peut renvoyer à tous ceux (commerçants, conducteurs de taxi, petits paysans, petits entrepreneurs…) qui peinent à joindre les deux bouts et parmi eux, le large secteur dit de la « débrouille ». A cela s’ajoutent les femmes au foyer (66%), c’est-à-dire celles qui mieux que tout autre connaissent les effets du food social gap, c’est-à-dire des écarts sociaux qui se reflètent de plus dans en plus dans la baisse de la part destinée à la nourriture dans le budget familial (les femmes sont par ailleurs ici comme ailleurs parmi les plus touchées par le chômage). Ainsi, selon Caterina Pasolini, au cours de ces 7 dernières années, cette dépense a diminué en moyenne de 12%, mais le taux monte à 19% dans les familles ouvrières et à plus de 28% pour les chômeurs.euses (cf. la Repubblica, 5 décembre 2016). Et c’est en particulier le cas dans le Sud de la Péninsule (16.6% de moins) qui connaît également le plus fort taux de chômage.
Le Non l’a aussi clairement remporté dans la catégorie des plus jeunes frappés de plein fouet par la crise ; l’Italie est l’un des Etats de l’UE avec le plus haut taux de chômage des jeunes. Plus de 61% des 18 à 29 ans s’est prononcé contre la refonte de la Constitution ; parmi ceux-ci 58% d’étudiant.e.s. Un pourcentage qui monte à 69% pour les 30 à 44 ans. Finalement, les seuls à s’être prononcé en faveur de la refonte sont les retraité.e.s (55%) et parmi ceux-ci bien sûr ceux.celles de l’étranger, sans doute largement influencé par leur presse locale.
La fin du « moindre mal » ?
Le référendum sur la refonte de la Constitution se serait donc réduit à un référendum sur Matteo Renzi. Les partisans du Oui n’avaient-il pourtant pas défendu à chaque étape la nécessité d’un vote positif sous peine d’instabilité politique « fatale » à l’Italie [1]. Si la « peur » a été instillée par le PD, son leader, les marchés, et l’UE, elle n’a cette fois pas fait peur aux électeurs.trices. Matteo Renzi avait pourtant tenté de dramatiser cette consultation populaire en en fixant la date au 4 décembre, c’est-à-dire précisément le jour de l’élection du président autrichien, pour laquelle le candidat de l’extrême droite était particulièrement bien placé.
Il est vrai, l’écrasante majorité des partis politiques se sont prononcés contre la réforme constitutionnelle et ils ont été suivis par leur électorat. 88% des électeurs.trices de la Lega Nord et du M5S ont voté Non. A gauche de l’échiquier politique 68% des électeurs.trices de Sinistra Italiana (SI), de Sinistra ecologia e Libertà (SEL) et de la gauche radicale se sont prononcés contre la réforme. Les indécis ont également joué un rôle important ; 60% d’entre eux se seraient prononcés contre la réforme. Le Non a également grignoté les électeurs.trices du PD (quelques 15% d’entre eux). Signe des temps et de la fin de ce que Alberto Meloni appelle « la culture politique du long et pacifique après-guerre », la colère des Italien.ne.s a trouvé le moyen de s’exprimer dans ce vote. C’est sans doute pourquoi, les politiques voient avec crainte les référendums, en les envisageant comme un « instrument de dissolution de l’autorité » constituée (Le Monde 5 décembre 2016).
Et maintenant…
« Le Non n’est guère enthousiasmant parce que nous nous trouvons en curieuse compagnie » avait confié la fondatrice du Manifesto, Rossana Rossanda appelant néanmoins à s’opposer à la réforme constitutionnelle. Il est évident que la constellation large du Non va avoir de la peine à se saisir de l’opportunité politique qu’ouvre la chute du gouvernement.
A droite, les forces sont divisées : la Lega Nord, sans doute bientôt rebaptisée « Lega degli Italiani » pour répondre aux velléités nationales du parti de Matteo Salvini, se pousse déjà au portillon ; à mi-novembre, il était crédité de 10% d’intention de vote, soit moins 5 points par rapport aux estimations de juin 2015 mais la victoire du Non peut lui donner quelques ailes. Le parti de Silvio Berlusconi, Forza Italia, est lui aussi estimé à quelques 12%.
Mais c’est surtout le M5S qui, en l’état bénéficierait des prochaines élections. Ce mouvement est aujourd’hui devenu le porte bannière de l’opposition à Matteo Renzi. Il balaie un spectre très large de la population italienne, allant puiser ses voix auprès des électeurs.trices de droite, de gauche et du centre. Jusqu’ici défini comme le parti des jeunes, le M5S a élargi sa base électorale au 35-55 ans. En remportant les mairies de Rome et Turin, il s’est affirmé selon Beppe Grillo comme un parti « capable de gouverner » [2]. Ce dernier n’a d’ailleurs pas cessé de chercher à rassurer les forces politiques et économiques qui comptent : « Si le M5S va au pouvoir, il n’arrivera rien […] que les marchés se rassurent ».
C’est ce mouvement que le PD, la Lega, FI veulent contrer. Mais le M5S constitue aussi une difficulté supplémentaire à la tâche pourtant si nécessaire de la recomposition d’une gauche de gauche en Italie, un peu à l’image de la « confiscation » par le mouvement de Beppe Grillo, de la place phare des luttes ouvrières turinoises lors du tout dernier meeting du Non. Comment une gauche de gauche va-t-elle pouvoir engranger les fruits de cette victoire ? Là se situe le nœud du problème.
Il s’agit bien entendu d’entendre la volonté populaire ; c’est-à-dire d’en appeler à la dissolution du Parlement et à un retour aux urnes rapides. Mais il s’agit aussi, quoiqu’en disent les médias, de prendre la mesure du vote qui vient d’avoir lieu. La discussion sur la Constitution n’a pas été oubliée lors des débats, la sanction a aussi porté sur les modifications au contenu du cadre légal de la République italienne. La population ne s’est donc pas uniquement fiée à son « ventre », comme le clamait le leader du M5S, Beppe Grillo, mais aussi à sa tête. On ne peut ainsi tout simplement exclure le fait que le vote de dimanche soit aussi l’expression d’une volonté politique projetée vers l’avenir. Une volonté qui peut offrir l’occasion, comme le soutient dans son dernier communiqué Sinistra anticapitalista, « de la reprise de la mobilisation sociale et des luttes sur les lieux de travail, dans les écoles, les universités, pour la défense des droits, de l’environnement et de l’amélioration de vie et de travail du plus grand nombre ».
Stefanie Prezioso