La « démocratie étasunienne » a tranché : battu par sa rivale au nombre de voix mais aidé par un système électoral d’un autre âge, un milliardaire sexiste, raciste, islamophobe, complotiste, homophobe, climato-négationniste, populiste, démagogue et menteur – on en passe et des meilleures – sera le Président et le chef d’armées de la superpuissance qui domine le monde depuis trois quarts de siècle à coups de pressions, de chantage et de guerres impérialistes. C’est tout simplement effrayant.
Un tournant
C’est à coup sûr un tournant. On ignore ce que sera vraiment la politique de Trump, car ce qui lui tient lieu de programme est assez sommaire. Mais une chose est certaine : les pouvoirs présidentiels étant considérables, et le Parti républicain disposant d’une majorité au Congrès et au Sénat, la politique US va passer sous la coupe d’un cocktail des droites les plus réactionnaires, cyniques et brutales. Une situation d’autant plus inquiétante que l’hégémonie US est mise à mal ces derniers temps par ses échecs en Afghanistan et en Irak, d’une part, et par la montée en puissance du capitalisme chinois, allié à la Russie capitaliste délabrée mais puissamment armée, d’autre part.
Un Brexit à la puissance dix
La plupart des observateurs étaient catégoriques : Donald Trump ne pouvait pas gagner, car son protectionnisme allait à l’encontre de la doxa néolibérale et qu’il avait contre lui Wall street, Hollywood, les faiseurs d’opinion, les porte-parole des communautés noires et hispaniques ainsi qu’une partie non négligeable des responsables de son propre parti. Tous étaient unis derrière la candidate de la continuité capitaliste, Hillary Clinton. En réalité, c’est précisément parce que le capitalisme mainstream ne voulait pas de cet histrion que le capitaliste Trump l’a emporté. Non pas en dépit de ses provocations déstabilisatrices, mais grâce à celles-ci.
Trump a gagné parce qu’il a su, seul contre tous, faire le plein des mécontentements et des frustrations de toutes sortes. Par son protectionnisme, l’homme d’affaires, l’exploiteur capitaliste, est apparu comme le défenseur paradoxal des victimes ouvrières de la mondialisation. Mais ce n’est qu’un élément d’explication, car les plus pauvres, les femmes et les minorités ont voté majoritairement pour Clinton. Il faut donc prendre pleinement en compte l’adhésion à l’image fascistoïde machiste et raciste de Trump, ainsi qu’à ses menaces contre les sans-papiers et les réfugiés. Son électorat – blanc, croyant pratiquant et majoritairement mâle – se recrute dans toutes les classes sociales. Mutatis mutandis, le vote Trump présente beaucoup de similitudes avec le Brexit. Mais c’est un Brexit à la puissance dix.
Peste populiste et choléra néolibéral
C’est dans la profonde crise de la société américaine, dans le discrédit de l’establishment – républicain et démocrate – et dans la déroute du Parti démocrate qu’il faut chercher l’explication de la victoire de Trump. Le milliardaire capitaliste l’a emporté parce qu’il avait en face de lui la candidate de la continuité du capitalisme néolibéral en général, et de la politique d’Obama en particulier. Un président noir n’a en rien empêché la flambée des violences contre les Noirs, en quoi une femme présidente mettrait-elle fin aux violences contre les femmes quand elle est au sommet d’un système qui les génère au quotidien ? L’électorat susceptible de battre Trump dans les couches populaires ne s’est pas mobilisé, ce qui explique en partie les 50% d’abstention. Une fois de plus, comme en Grande-Bretagne, la preuve est faite que la peste populiste, même quand elle est incarnée par un bouffon déséquilibré, ne peut pas (plus) être battue par le choléra des partisans soi-disant « éclairés » et « modernistes » du marché libre, de la finance et de la mondialisation. Le « moindre mal » est un leurre.
De lourdes menaces, partout, dans tous les domaines
L’élection de Trump fait peser de lourdes menaces. Aux Etats-Unis, d’abord, car les travailleurs, les pauvres, les non-blancs, les sans-papiers, les musulmans, les femmes, les gays et lesbiennes, les malades, les environnementalistes… sont dans le collimateur. Dans le reste du monde, ensuite, car il ne faut pas s’y tromper : le protectionnisme de Trump, sa volonté de dénoncer les traités commerciaux, ses déclarations sceptiques sur l’OTAN, son profil bas face au soutien russe à la guerre d’El Assad contre le peuple syrien – voire ses velléités de retrait de la scène moyen-orientale, ne doivent pas être interprétés comme une rupture avec le projet impérialiste. Le soutien de Trump à Jérusalem comme capitale d’Israël et son agressivité vis-à-vis de l’Iran indiquent qu’il n’en est rien. Le slogan « Rendre sa grandeur à l’Amérique » porte en lui la guerre comme la nuée l’orage, et les promesses trumpistes d’investissement massif dans l’armement sont cohérentes avec cette perspective.
Impasse de Bernie Sanders et potentiel pour l’alternative
La campagne de Bernie Sanders pour les primaires démocrates a montré la possibilité et la nécessité d’une alternative. Mais elle a montré aussi qu’une stratégie au sein du Parti démocrate mène à l’impasse. Le néolibéralisme sécuritaire et le populisme protectionniste sont du même sang. Le second est le produit du premier. Répondre à la fois à l’un et à l’autre requiert la construction « par en-bas » d’une force politique radicalement pacifiste, démocratique et sociale. Une force à l’écoute des victimes du capitalisme, du patriarcat et de l’arrogance néocoloniale/post esclavagiste. Une force anticapitaliste qui fait passer inconditionnellement la paix, la satisfaction des besoins sociaux, le respect des femmes et des minorités et la protection de l’environnement avant la course au profit. La preuve est faite que la construction d’une telle force n’est pas davantage possible au sein du Parti démocrate étasunien qu’elle ne l’est au sein de la social-démocratie européenne. Elle demande une démarche nouvelle, créatrice de convergence pluraliste des gauches politiques et sociales. Une convergence à ancrer dans la pratique des luttes pour l’émancipation. Toutes les luttes.
Des urnes à la rue
Les manifestations qui ont éclaté tout de suite après le résultat de l’élection le montrent : ces luttes ne tarderont pas aux Etats-Unis. Pour l’emploi et contre le démantèlement de la (maigre) protection sociale. Contre les violences racistes et sexistes et pour le droit des femmes à l’interruption volontaire de grossesse. Pour l’environnement et contre la relance de l’exploitation charbonnière, la reprise du projet de pipeline Keystone XL, le climatonégationnisme. Contre les projets répressifs et militaristes de Trump et ses probables aventures guerrières au nom de la lutte contre le terrorisme. Contre les expulsions massives (deux millions !) de sans-papiers et le projet de mur entre les USA et le Mexique. La situation est à bien des égards explosive. Ce qui a été perdu (et ne pouvait qu’être perdu) dans les urnes peut être gagné dans la rue. La classe dominante risque de se retrouver très vite confrontée à ce qu’elle redoutait : l’éclatement du bipartisme et de tout ce qui, depuis des décennies, verrouille la lutte des classes dans ce pays. Voilà pourquoi l’appareil démocrate s’est empressé de prôner l’unité de la nation et la collaboration patriotique avec Trump. Même Sanders offre sa collaboration au nouveau Président ! Mais il n’est pas sûr que cela suffise à empêcher l’incendie.
Pour une alternative anticapitaliste, internationaliste, féministe, antiraciste, écologiste
Trump a été choisi par moins d’un électeur étasunien sur quatre. Mais les USA restent la principale puissance impérialiste du monde. Du coup, cette élection crée un fort appel d’air propice à tout ce que la planète compte de machos, de dictateurs, de démagogues et de cinglés prêts à fiche la planète en l’air pour continuer à brûler des combustibles fossiles au nom du profit. De ce point de vue, Trump est loin d’être un épiphénomène : son succès s’inscrit dans la tendance autoritaire qui est à l’œuvre partout dans le monde capitaliste, de la Chine au Brésil, de la Russie à la France, en passant par l’Egypte, la Hongrie, Israël et les Etats du Golfe… Le ver du trumpisme pourrait bien ronger la pomme capitaliste où il est né comme produit des politiques néolibérales sécuritaires, génératrices d’inégalités croissantes.
En particulier sur le vieux continent, on sent bien le danger que le despotisme néolibéral du proto-Etat européen, détesté à juste titre, cède la place au despotisme populiste nationaliste des Viktor Orban, des Marine Le Pen, des Geert Wilders, de l’AFD allemande et du FPÖ autrichien – qui ont le vent en poupe aujourd’hui. Profitons de l’indignation soulevée par la victoire de Trump pour relancer les luttes contre ces démagogues et contre le système qui les a engendrés. Face aux internationales capitalistes du néolibéralisme et du populisme, construisons l’internationale anticapitaliste des luttes démocratiques, sociales, féministes et écologiques !
LCR (Belgique)