Les leaders de plus de 50 Premières Nations du Canada et des États-Unis viennent de signer un traité « contre l’expansion des sables bitumineux » et contre les projets qui permettent de transporter ce pétrole, dont les pipelines. Un geste qui pourrait compliquer les choses pour les promoteurs de ces projets.
« Ce que signifie le traité, c’est que du Québec, nous travaillerons avec nos alliés autochtones en Colombie-Britannique pour arrêter le pipeline de Kinder Morgan et nous lutterons aussi avec nos alliés autochtones du Minnesota contre l’expansion de la Ligne 3 d’Enbridge, et nous savons que nous aussi nous pourrons compter sur leur aide contre le projet Énergie Est », a résumé le Grand chef de Kanesatake, Serge Simon, dans le cadre d’une cérémonie de signature tenue jeudi à Montréal.
Selon le chef de l’Assemblée des Premières nations du Québec et du Labrador (APNQL), Ghislain Picard, cette entente « représente seulement le commencement d’une longue lutte ». Leur message est sans équivoque. Pour les nations autochtones, l’industrie pétrolière provoque déjà des impacts négatifs significatifs, notamment en aggravant la crise climatique, qui affecte directement les territoires des Premières Nations.
Or, la production de pétrole des sables bitumineux doit connaître une croissance marquée au cours des prochaines années. Les projets d’expansion actuellement en développement devraient faire croître la production du secteur de plus de 40 % d’ici 2025. L’industrie produirait alors 3,4 millions de barils par jour, contre 2,4 millions à l’heure actuelle. Une telle croissance est impossible sans la construction de nouveaux pipelines, mais aussi un recours accru au transport par train.
Territoires interdits
Le « Traité autochtone » prévoit donc que les Premières nations signataires, dont certaines du Québec, s’engagent à « interdire » l’utilisation de leurs « territoires » pour des projets qui faciliteraient l’expansion de la production pétrolière albertaine. Cela inclut le transport par pipeline, par navire ou par train.
« Nous savons que les infrastructures qui entraînent l’expansion des sables bitumineux sont, à la fois, complètement irresponsables et incompatibles avec les objectifs du Canada de réduire ses émissions de gaz à effet de serre », a fait valoir jeudi le Grand chef Stewart Phillip, président de l’Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique.
Dans l’est du pays, les autochtones s’opposent notamment au projet de transport de pétrole par train, à travers le Québec, vers un port qui serait situé à Belledune, au Nouveau-Brunswick. Selon les plans de l’entreprise Chaleurs Terminal, des convois totalisant 220 wagons chaque jour traverseraient le sud du Québec, dont l’île de Montréal, pour y acheminer du pétrole brut destiné à l’exportation.
Le traité affirme par ailleurs que les Nations autochtones signataires « souhaitent devenir des partenaires de premier plan dans le cadre de la transition vers une société plus durable ».
Non au Québec
L’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) avait déjà annoncé en juin qu’elle s’oppose catégoriquement à la construction du pipeline Énergie Est. Ce refus constitue d’ailleurs un coup dur pour TransCanada, puisque les autochtones ont promis de défendre leur position devant les tribunaux si le gouvernement Trudeau décide malgré tout d’autoriser le projet d’exportation de pétrole des sables bitumineux.
Pour l’avocat Jean Baril, la prise de position très ferme de l’APNQL risque effectivement de peser lourd dans la balance. « C’est une prise de position très importante, c’est une nouvelle épine dans le pied de ce projet, en raison des droits fondamentaux qui sont reconnus dans la Constitution canadienne. Il y a un poids politique et juridique énorme qui vient s’ajouter dans le débat », selon le professeur au Département de sciences juridiques de l’UQAM.
Alexandre Shields