Un an après la vague de détentions de plus de 250 avocats des droits de l’homme, les premières condamnations tombent. Mercredi 3 août était jugé Hu Shigen par la seconde cour intermédiaire de Tianjin, dans l’est de la Chine, qui l’a condamné à une peine de sept ans et demi de prison pour avoir « nui à la sécurité nationale et porté atteinte à la stabilité sociale ». Ce militant de longue date avait déjà été condamné en 1994 pour avoir « organisé un groupe contre-révolutionnaire ». Il est membre de la même Eglise protestante souterraine qu’un autre défenseur des droits dont le procès doit s’ouvrir dans la semaine, Guo Hongguo.
La veille, le juriste engagé Zhai Yanmin, employé du cabinet Fengrui, avait été condamné à une peine de trois ans de prison, suspendue pendant quatre années de mise à l’épreuve. Il était accusé de « subversion du pouvoir de l’Etat » pour avoir brandi des banderoles et crié des slogans lors de quatre manifestations depuis 2014, afin d’attirer l’attention sur des affaires sensibles. La cour l’a notamment jugé coupable d’avoir « exagéré des affaires dans le but de déstabiliser le gouvernement chinois », selon le verdict cité par l’agence officielle, Chine nouvelle.
Un quatrième inculpé doit également passer devant les juges dans les prochains jours. Il s’agit de Zhou Shifeng, le patron du cabinet Fengrui, qui s’est illustré en défendant aussi bien des membres du mouvement religieux Falungong, honni par Pékin, que des paysans expulsés de leurs terres.
Tous ont été arrêtés lors d’une vaste opération d’intimidation contre les avocats osant se saisir de cas touchant aux droits de l’hommee, lancée le 9 juillet 2015. Au moins 248 avocats, assistants et militants avaient été détenus. La plupart ont été rapidement relâchés, mais une vingtaine reste en détention.
Liberté très conditionnelle
Une autre figure du cabinet Fengrui, Wang Yu, a été libérée sous conditions lundi 1er août. Cette avocate avait notamment défendu l’intellectuel ouïgour Ilham Tohti, condamné à perpétuité en 2014 pour « séparatisme ». Elle est apparue dans une interview diffusée par des médias hongkongais proches de Pékin, rappelant les confessions forcées de « criminels » à la télévision d’Etat. Dans la vidéo, tournée dans un jardin, elle reconnaît que le cabinet Fengrui a participé à des sessions de formation organisées par des groupes étrangers « pour attaquer le gouvernement chinois » et « instiller des valeurs occidentales ».
C’est une liberté très conditionnelle, ironise Nicholas Bequelin, directeur d’Amnesty International pour l’Asie de l’Est : « Cela implique que la personne cesse de communiquer avec les médias étrangers, avec ses anciens collègues, parfois même avec certains membres de sa famille, jusqu’à ce que les autorités jugent qu’elle peut retrouver une vie normale. Tout cela dans la logique de son arrestation, qui était de la réduire au silence. »
L’avocat de Wang Yu, Wen Donghai, n’a pas pu échanger avec elle. « Pour être honnête, je n’en sais pas plus que vous au sujet de ma cliente. La police nous a complètement exclus de la procédure », indique M. Wen. Il souligne le soin des autorités à donner l’illusion du respect des procédures légales et en pointe les irrégularités : « L’avocat et la famille de Zhai n’ont pas pu assister à une audience présentée comme publique. »
L’épouse de Zhai Yanmin n’a en effet pas pu être présente à son procès, expédié en trois heures mardi. Les deux frères de Hu Shigen ont, quant à eux, été détenus à leur arrivée à Tianjin, lundi 1er août, avant le procès de mercredi, et renvoyés aussitôt dans leur ville d’origine, dans le sud de la Chine.
L’agence Chine nouvelle fait son propre récit de ces procès. A l’en croire, M. Zhai aurait déclaré : « Je veux rappeler à tout le monde de se frotter les yeux pour voir clairement l’affreux visage des forces étrangères hostiles », « ne vous laissez pas tromper par les idées de “démocratie”, de “droits de l’homme” et “d’intérêt du public” ».
Pour Nicholas Bequelin, cette mise en scène marque un changement d’attitude du pouvoir par rapport aux mouvements contestataires. « La Chine préférait auparavant condamner dans la clandestinité et hors du regard public. Elle adopte ici l’approche inverse, donnant un maximum de publicité à l’affaire, tout en s’assurant que seule la version du pouvoir soit diffusée », explique-t-il. « Cette stratégie de diabolisation est accompagnée par une expansion sans précédent du cadre juridique visant à punir les crimes qualifiés d’atteinte à la sécurité de l’Etat et par l’introduction de restrictions drastiques pour les ONG », ajoute M. Bequelin.
Simon Leplâtre (Shanghaï, correpondance)
Journaliste au Monde