DECISION : LIGNE DE CONDUITE RELATIVE A L’OBLIGATION DES ÉTATS DE RESPECTER ET PROTEGER LES DROITS HUMAINS DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DU SEXE ET DE LES LAISSER EXERCER CES DROITS
Le Conseil international
DEMANDE au BEI d’adopter une ligne de conduite dont l’objet est d’obtenir une protection maximale des droits humains des travailleurs et travailleuses du sexe, par un certain nombre de mesures, dont la dépénalisation du travail du sexe, en tenant compte des éléments suivants :
1. La prévention des violations des droits humains des travailleurs et travailleuses du sexe et l’obtention de réparations en sont le socle, notamment la nécessité pour les États de ne pas se contenter de réviser et d’abroger les lois qui rendent ces personnes vulnérables aux atteintes aux droits humains, mais en plus de s’abstenir d’adopter de telles lois.
2. Amnesty International est déterminée à faire évoluer l’égalité entre les genres et les droits des femmes.
3. L’obligation des États de protéger toute personne relevant de leur compétence juridique contre les politiques, lois ou pratiques discriminatoires, car les discriminations de statut ou de fait constituent souvent en soi des facteurs importants conduisant au travail du sexe, de même qu’elles accroissent la vulnérabilité aux atteintes aux droits humains des personnes pratiquant le travail du sexe et réduisent leurs possibilités de cesser volontairement ce travail.
4. Le principe de réduction des dommages.
5. Les États ont l’obligation d’empêcher la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle, de lutter contre cette activité et de protéger les droits humains des victimes.
6. Les États ont l’obligation de veiller à ce que les travailleurs et travailleuses du sexe soient à l’abri de l’exploitation et puissent recourir au droit pénal pour sanctionner l’exploitation.
7. Tout acte entraînant l’exploitation sexuelle d’un enfant doit être érigé en infraction pénale. Il faut donc reconnaître que tout enfant impliqué dans le commerce du sexe est une victime de l’exploitation sexuelle autorisée à recevoir un soutien, obtenir des réparations et accéder à des voies de recours, conformément au droit international relatif aux droits humains, et que les États doivent prendre toutes les mesures appropriées pour empêcher l’exploitation sexuelle et la maltraitance des enfants.
8. Les faits établissent que les travailleurs et travailleuses du sexe se lancent souvent dans le secteur des services sexuels en raison de leur marginalisation et de choix limités ; par conséquent, Amnesty International exhortera les États à prendre les mesures nécessaires afin que toute personne puisse exercer ses droits économiques, sociaux et culturels de manière à ce qu’aucune d’elle ne soit contrainte à faire ce travail contre sa volonté ou en dépende pour assurer sa subsistance, et veiller à ce que toute personne puisse cesser ce travail si elle le veut et quand elle le veut.
9. Veiller à ce que l’objet de cette ligne de conduite soit de maximaliser la protection de tout l’éventail des droits humains – et pas uniquement l’égalité entre les genres, les droits des femmes et la non-discrimination – liés au travail du sexe, en particulier la sécurité de la personne, les droits de l’enfant, l’accès à la justice, le droit à la santé, les droits des peuples autochtones et le droit à des moyens de subsistance.
10. Reconnaître et respecter la capacité des travailleurs et travailleuses du sexe de s’organiser à partir de leur vécu et de définir eux-mêmes les solutions les plus aptes à garantir leur bien-être et leur sécurité, tout en respectant les principes des droits humains pertinents au niveau international, notamment concernant la participation aux décisions, comme le principe du consentement libre, préalable et éclairé des peuples autochtones.
11. Les résultats de diverses recherches, dont celles d’Amnesty International, portant sur le vécu des travailleurs et travailleuses du sexe et sur l’impact des lois et de la réglementation pénales régissant le travail du sexe.
12. La ligne de conduite sera parfaitement cohérente avec les positions d’Amnesty International relatives au consentement à exercer des activités sexuelles, notamment ses positions concernant l’abus de pouvoir ou les personnes exerçant une autorité.
13. Amnesty International ne se prononce pas sur la question : le travail du sexe doit-il être formellement reconnu comme un travail par la législation ? Les États peuvent imposer des restrictions légitimes à la vente de services sexuels, dans la mesure où ces restrictions respectent le droit international relatif aux droits humains, ce qui implique en particulier que ces restrictions aient un but légitime, qu’elles soient prévues par la loi, qu’elles soient nécessaires et proportionnelles au but légitime recherché et qu’elles ne soient pas discriminatoires.
La ligne de conduite devra pouvoir être appliquée de manière souple et adaptée sous tous les régimes juridiques, et reconnaître que les entités d’Amnesty International peuvent entreprendre un travail sur les différents aspects de cette ligne de conduite et adopter une approche progressive de ce travail (dans le respect de ses limites) compte tenu des politiques et du contexte législatif dans lequel elles agissent.
Le BEI veillera à ce que, suite à la production du rapport de recherche final et avant l’adoption du projet final de la ligne de conduite, les sections et structures aient la possibilité d’examiner et de commenter ce projet.
Le Conseil international d’Amnesty International
Prostitution : le Conseil International d’Amnesty InternationaI a pris une décision
11/08/2015. Texte mis à jour le 15/08/2015
Faire respecter les droits humains des personnes en situation de prostitution est une nécessité, ces personnes étant particulièrement vulnérables et discriminées partout dans le monde. L’objectif de la démarche d’Amnesty International est d’avoir une ligne de conduite pour déterminer comment défendre au mieux les droits humains de ces personnes.
Amnesty International reconnait que ce qui amène des personnes à rentrer dans la prostitution est souvent dû à une oppression, liée à leur genre, à leur situation socio-économique, ou à des violences subies préalablement. Il est donc indispensable de combattre ces causes, et de tout faire pour aider ces personnes à sortir de la prostitution si elles le souhaitent.
« 8. Les faits établissent que les travailleurs et travailleuses du sexe se lancent souvent dans le secteur des services sexuels en raison de leur marginalisation et de choix limités ; par conséquent, Amnesty International exhortera les États à prendre les mesures nécessaires afin que toute personne puisse exercer ses droits économiques, sociaux et culturels de manière à ce qu’aucune d’elle ne soit contrainte à faire ce travail contre sa volonté ou en dépende pour assurer sa subsistance, et veiller à ce que toute personne puisse cesser ce travail si elle le veut et quand elle le veut. »
Extrait de la ligne de conduite votée au CI
Amnesty International met l’accent, parmi d’autres mesures, sur la dépénalisation du « travail du sexe », ce qui recouvre bien entendu les personnes prostituées, mais aussi les clients et les tiers. Cette formulation peut prêter à confusion et fait dire par certains qu’Amnesty International a pris le parti des proxénètes et valide l’exploitation des personnes en situation de prostitution. Ce n’est bien sûr pas le cas : lorsqu’il y a abus, violences, exploitations sexuelles, ces violations des droits doivent être poursuivies. Par contre, dans de nombreux pays, le proxénétisme recouvre également des prestations de service à des personnes prostituées, comme la location d’un appartement y compris à but d’habitation, ou le fait pour un chauffeur de taxi de conduire une personne prostituée à un rendez-vous, ou pour un garde du corps d’assurer sa sécurité... Le fait que toutes ces prestations soient considérées comme délictuelles conduit souvent à des violations des droits des personnes prostituées.
« 6. Les États ont l’obligation de veiller à ce que les travailleurs et travailleuses du sexe soient à l’abri de l’exploitation et puissent recourir au droit pénal pour sanctionner l’exploitation. »
Extrait de la ligne de conduite votée au CI
En outre, la position d’AI recommande la dépénalisation uniquement pour les personnes âgées de plus de 18 ans en situation de prostitution par choix librement consenti sans coercition, exploitation ou abus. Hors de ce contexte, le cadre réaffirme les politiques déjà adoptées par Amnesty International concernant la traite des êtres humains, la violence contre les femmes et l’exploitation sexuelle des enfants, et y renvoie.
"2. Amnesty International est déterminée à faire évoluer l’égalité entre les genres et les droits des femmes.
5. Les États ont l’obligation d’empêcher la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle, de lutter contre cette activité et de protéger les droits humains des victimes.
7. Tout acte entraînant l’exploitation sexuelle d’un enfant doit être érigé en infraction pénale."
Extrait de la ligne de conduite votée au CI
Dans ce cadre, l’impératif de sortir les personnes prostituées de la clandestinité, qui en soi les rend plus vulnérables, conduit AI à recommander la dépénalisation à la fois des clients, et des tiers. Par contre lorsqu’il y a exploitations ou violences, elles doivent être sanctionnées.
Certes, la section française partage pleinement la conviction qu’il est nécessaire de dépénaliser les personnes en situation de prostitution, mais conserve de nombreuses interrogations sur l’efficacité et l’impact potentiel d’autres dimensions de la politique adoptée, et s’interroge notamment sur la notion de « libre choix », et la pertinence de la formulation sur la dépénalisation des tiers.
Un aspect central du débat porte sur la réelle capacité de libre choix d’une personne prostituée. Certains tiennent à ce que la capacité de libre choix de l’individu soit reconnue dans l’absolu, et d’autres pensent que la nature même du travail sexuel ne peut être le résultat d’un choix libre.
Par ailleurs, la décision fait usage des termes de « travail du sexe » et « travailleuses et travailleurs du sexe ». Un choix sur lequel Amnesty International France (AIF) avait exprimé de fortes réserves car il implique que la prostitution serait un travail comme un autre, question sur laquelle AI ne s’est pas prononcée. Néanmoins ces termes ont été conservés au niveau international afin de traduire la volonté des représentants de sections d’AI dans de nombreux pays.
Après cinq jours de Conseil international marqués par d’intenses débats, la ligne de conduite définissant un cadre a été adoptée lors du vote final par une large majorité des délégués, et c’est sur cette base qu’une politique sera finalisée par le Bureau Exécutif International (BEI). Nous respectons l’issue de ce débat démocratique. Certes, la décision prise ne correspond pas totalement à notre position, et il est maintenant important de connaître la politique qui sera définie par le BEI et comment elle sera mise en œuvre.
C’est sans certitude de détenir la vérité, mais forts de quelques convictions fondamentales, que nous souhaitons poursuivre ce débat pour tenter d’améliorer la pertinence et la lisibilité de la position d’AI sur ce sujet extrêmement complexe.
Compte tenu des débats internes au sein d’AIF, de la décision de son AG de 2014 critique à l’égard d’une dépénalisation de la prostitution, du contexte français, et du fait qu’Amnesty International laisse à chaque section nationale le choix de ne pas travailler activement sur la question, à ce stade Amnesty International France, en accord avec le Secrétariat International, ne travaillera pas sur l’évolution législative en France sur le sujet.
AIF est consciente que sa position est complexe, surtout lorsqu’il s’agit de l’expliquer au public et dans les médias où le propos est parfois schématique, voire simpliste. Mais la complexité et la subtilité sont inévitables et nécessaires lorsqu’il s’agit d’élaborer une politique sur un sujet aussi sensible dans le champ des droits humains, comme AI a eu le courage de le faire.
Section française d’Amnesty International - AIF