En Allemagne, le débat est tendu… mais pour le moment, il n’a rien à voir avec l’hystérie politique actuellement mise en scène, de notre côté du Rhin. Si l’Allemagne comme la France discutent et polémiquent actuellement sur les conséquences qu’il faudrait tirer des récentes attaques violentes (d’inspiration plus ou moins vaguement djihadiste), c’est surtout le débat français qui confine en partie à la folie politique. A l’heure où Nicolas Sarkozy évoque une « guerre totale », où le député LR en ancien juge Georges Fenech propose littéralement « un Guantanamo à la française » et où Henri Guaino suggère de doter la police de… lance-missiles, le débat allemand semble presque marqué par la modération. « Presque ». Mais ça ne semble pas trop difficile à côté de ces délires flagrants : au royaumes des aveugles, le borgne fait figure de roi...
Certes, la droite est aussi la droite en Allemagne ; certes, certains participants au débat suggèrent aussi un « lien avec l’immigration », et d’autres joyeusetés existent également dans le débat. Mais ce sont bien des politiciens français qui décrochent actuellement la palme, à l’heure où Frédéric Lefebvre (LR) parle d’instaurer l’état de siège, pour la première fois depuis septembre 1939, et d’interdire le foulard musulman dans la rue.
Trois jours après qu’à Nice, la folle expédition d’un homme violent (et apparemment fasciné par l’ultraviolence du soi-disant « Etat islamique »… sans être religieux du tout), ait tué 84 personnes, l’Allemagne a elle aussi connu une attaque horrible. Certes, il n’y a pas eu de dizaines de morts comme sur la Côte d’Azur. Mais l’acte violent d’un adolescent de 17 ans, de nationalité afghane, arrivé en Allemagne comme réfugiés mineur isolé, a tout de même produit des images avec beaucoup de sang coulant. Brandissant un couteau et frappant avec une hache, à bord d’un train régional à proximité de Würzburg (Bavière), il a blessé cinq personnes, dont deux se trouvent dans un état grave. Quatre parmi les victimes appartiennent à une même famille chinoise de Hong Kong, qui se trouvait en visite en Allemagne.
Selon les enquêteurs, ça pourrait être la mort d’un ami proche en Afghanistan qui aurait déclenché le passage à l’acte du jeune homme. Ils ont trouvé un drapeau de Da’ïch – du soi-disant « Etat islamique » - à son domicile, drapeau qu’il avait fabriqué lui-même, mais restent très réserves sur l’existence d’un lien autre que virtuel avec l’organisation djihadiste. Ils privilégient plutôt l’idée d’un individu qui s’est radicalisé tout seul, en se projetant sur les images que l’ « Etat islamique » fait circuler dans le monde entier. Telle est la thèse défendue publiquement, entre autres, par le ministre de l’Intérieur fédéral Thomas de Maizière, qui ne croit pas à une infiltration par des membres de l’organisation djihadiste qui contrôle des territoires en Syrie et en Iraq. Il part plutôt de l’hypothèse d’une « inspiration », sous forme d’une projection sur une réalité virtuelle. A l’instar de ce qui semble avoir été le cas pour le tueur de Nice, qui avait commencé très récemment (entre le 1er et le 13 juillet) à s’intéresser aux images du djihadisme visionnées sur son ordinateur. Images qui semblent constituer un message à des individus fragiles.
L’appartenance du jeune homme d’origine afghane à la population des migrants récemment arrivés en Allemagne, aurait pu constituer un élément susceptible d’ouvrir un boulevard aux adeptes des thèses racistes. Certes, les tenants d’un tel discours ne manquent pas. Ainsi l’hebdomadaire d’extrême droite Junge Freiheit (« Jeune Liberté », plutôt national-conservateur et intellectuel) titre actuellement sur « Cette terreur importée », à la Une. Un titre suggérant – évidemment – un lien entre Nice, Würzburg et l’immigration en tant que telle.
Sur son blog, l’avocat et journaliste Nicolaus Fest durcit même plus encore le ton. Fest a été pendant quelques mois, en 2013 et 2014, rédacteur en chef adjoint du journal tabloïd dominical Bild am Sonntag (BamS). Mais bien qu’il s’agisse d’un journal ancré à droite et souvent qualifié de « populiste », Fest a quitté son poste en septembre 2014, officiellement à sa propre demande… mais officieusement pour avoir publié en juillet 2014 un article hostile aux musulmans « non intégrables à cause de leur culture ». Au sein de la puissance économique hégémonique en Europe, la maison de presse aux plus forts tirages veille aux équilibres politiques, dans certaines limites. Depuis, le discours public de Nicolaus Fest s’est encore radicalisé. Il s’est rapproché du mouvement opposé à « l’islamisation et (à) l’immigration », PEGIDA ou « Européens patriotiques contre l’islamisation de l’Occident », un mouvement qui a su mobiliser des foules dans la rue – surtout en ex-Allemagne de l’Est, nettement moins à l’Ouest – pendant quelques mois en 2014/15, mais se trouve actuellement sur le déclin. (Le noyau dur autour du principal fondateur, Lutz Bachmann, prévoit actuellement sa « transformation en parti politique », selon ses propres termes pour bénéficier d’un statut juridiquement protecteur. Mais il risque alors de chasser sur les terres du parti AfD, « Alternative pour l’Allemagne »…).
Dans un récent article publié sur son Blog, Nicolaus Fest, qui reste une personnalité en vue, prend prétexte de la tuerie de Nice ou de l’agression de Würzburg pour inciter à la haine contre les populations musulmanes. Il écrit ainsi : « L’islam n’est pas raisonnablement séparable de l’islamisme », et : « La terreur vient bien directement de l’islam. »
Mais de telles voix sont bien minoritaires, à l’heure actuelle. La chancelière Angela Merkel a bien pris soin de déclarer, tout en condamnant évidemment l’attaque de Würzburg, à travers son porte-parole Steffen Seibert : « L’acte horrible d’un individu ne peut pas jeter le discrédit sur un grand groupe humain » (en parlant des musulman-e-s). Le « ministre de la chancellerie » Peter Altmaier de la CDU (droite), une sorte de directeur de cabinet d’Angela Merkel, s’était déjà exprimé de façon similaire.
Un autre débat est celui sur les moyens mis en œuvre par la police pour « neutraliser » l’attaquant. Celui-ci avait été tué d’une balle dans la tête. La députée berlinoise Renate Künast (Les Verts) et le journaliste Jakob Augstein, souvent qualifié de « populiste de gauche », avaient suggéré publiquement qu’il aurait pu suffire de blesser et d’interpeller l’assaillant. Cela a provoqué l’ire d’une partie de la droite, alors que plusieurs dirigeant-e-s des Verts – sans se mettre autant en colère - avaient aussi pris leurs distances. Ces derniers faisant remarquer que l’image d’un homme brandissant et coupant avec une hache pouvait rendre compréhensible la décision de tirer. Depuis, la députée Künast, notamment, fait l’objet de moqueries dans certains organes de presse et dans une partie de la droite.
Mais personne n’a encore revendiqué l’état de siège, ni n’a évoqué une « guerre totale », termes qui réveilleraient des souvenirs extrêmement mauvais en Allemagne…
Bertold du Ryon