La cible officielle de l’intervention US aux Philippines est le groupe Abu Sayyaf, qui a pour principale base d’opération l’île de Basilan, au large de Zamboanga. Abu Sayyaf est à l’origine d’un mouvement islamiste radical qui a sombré, derrière le vernis religieux, dans le banditisme. Avec pour spécialité l’enlèvement et pour marque de fabrique la décapitation d’otages dont la rançon n’a pas été payée. Il aurait eu dans le passé des contacts avec le réseau Al -Qaida, mais rien ne semble indiquer une véritable coopération internationale, politique et récente. Ce groupe pose un très grave problème de police. Il est cependant difficile de le qualifier de « terroriste » au sens où on l’entend actuellement. A moins de considérer comme tel le grand banditisme, pour peu qu’il se réclame de l’islam.
L’enlèvement est devenu aux Philippines, et pas seulement à Mindanao, une industrie florissante dont les Chinois font d’abord et souvent les frais. Et dans laquelle trempe parfois la police elle-même. Mais si les preneurs d’otages sont des chrétiens qui ne prônent pas le séparatisme, seront -ils pardonnés par Washington ?
Les Etats-Unis interviennent donc en terre étrangère, pour « instruire » et « appuyer » les militaires philippins dans une opération de police interne (il ne s’agit pas seulement de libérer deux otages étatsuniens). Ils le font dans une région où opèrent des groupes armés de tout ordre : contrebandiers et rançonneurs, milices fondamentalistes islamistes et chrétiennes (certaines milices protestantes sont réputées pour leur férocité), fronts musulmans de libération à la forte légitimité politique, forces d’autodéfense des tribus « lumads », guérilla du Parti communiste des Philippines, unités de protection d’autres organisations d’extrême gauche (dont nos propres camarades du Parti révolutionnaire des travailleurs de Mindanao), multiples formations paramilitaires et paragouvernementales, « commandos perdus », hommes de main assassins et armées privées des grands propriétaires ou des firmes multinationales...
Abu Sayyaf n’est qu’un point d’entrée. Que deviendra à l’avenir le « cahier des charges » des GI ? De fait, les Etats -Unis reprennent pied dans leur ancienne colonie. Dans cette « Asie latine », christianisée, qui leur est plus familière que le reste de la région. Là où ils avaient établi, au temps de leur protégé, le dictateur Ferdinand Marcos, un très important complexe de bases militaires, qu’ils ont dû délaisser au début des années quatre-vingt-dix.
Washington s’inquiète de l’instabilité chronique des Philippines. Ce pays occupe, à ses yeux, une place stratégique irremplaçable : celle d’un pivot pour le contrôle du Sud-Est asiatique, avec ses détroits maritimes entre océans Indien et Pacifique. Le drapeau de l’antiterrorisme couvre mal les visées du gendarme impérialiste.