Elle était encore une adolescente de 16 ans quand elle est venue, ce samedi 21 mai, retrouver son petit ami, « Petao », dans une favela de la zone ouest de Rio de Janeiro. Quelques heures plus tard, « Mina » (« nana », qui veut aussi dire « mine »), comme la décrit atrocement l’un de ses agresseurs, n’était définitivement plus une enfant. Cette nuit-là, la jeune Brésilienne fut droguée, violée et violentée. La police tente de mettre la main sur trente-trois suspects. Oui, trente-trois. Quatre ont été arrêtés.
Au sordide s’est ajoutée la bestialité quand les violeurs ont posté, mardi, une vidéo de la victime, nue et endormie (ou inconsciente), dans laquelle ils se vantent, entre deux éclats de rires, d’avoir été « plus de trente » à l’agresser. « Plus de trente » à avoir « creusé un tunnel dans la mine », a tweeté un certain@michelbrazil7, activement recherché et dont le compte Twitter a été fermé.
Choqué, le Brésil est en émoi. Le crime est relayé par la presse internationale. Déjà, le Times of India, y voit une version brésilienne du « cas Nirbhaya », l’affaire de cette jeune étudiante indienne morte en 2012 à la suite d’un viol collectif.
Un autre cas similaire dans l’Etat du Piaui
Le Brésil n’est pas l’Inde. Mais il s’est réveillé mercredi avec un profond sentiment de malaise. Selon l’annuaire brésilien de sécurité publique, 47 646 viols ont été recensés en 2014 : cinq par heure, un toutes les onze minutes. Un chiffre sans doute bien en deçà de la réalité. Selon l’Institut de recherche économique appliquée (IPEA) seuls 10 % des cas de viols seraient notifiés à la police. L’institut estime ainsi que 527 000 personnes sont violées chaque année au Brésil, parmi elle 89 % de femmes, dont 70 % d’enfants et d’adolescentes.
Vendredi, la presse se faisait l’écho d’un autre cas similaire : une jeune femme de 17 ans, victime d’un viol collectif dans l’Etat du Piaui, par cinq jeunes, âgés de 15 à 18 ans. Là encore, la jeune femme était inconsciente, saoulée. La police a identifié quatre mineurs suspects, qui nient les faits, mais admettent avoir vu l’homme de 18 ans avoir une relation sexuelle avec la victime. « Tous trouvaient normal de voir un homme majeur avoir une relation sexuelle avec une jeune femme endormie », a commenté au journal Folha de Sao Paulo l’un des enquêteurs, visiblement atterré.
L’organisation des Nations unie pour les femmes au Brésil, ONU Mulheres, a manifesté son soutien, jeudi, aux victimes de ces crimes « barbares » et prémédités, appelant à une réaction des autorités et soulignant que l’exposition des méfaits auprès du public était une atteinte à la dignité de la personne.
Très vite, la présidente Dilma Rousseff, éloignée du pouvoir après l’ouverture d’une procédure de destitution à son encontre, a elle aussi fait part sur Twitter de son effroi appelant, jeudi, « à combattre, dénoncer et punir » cette « barbarie ».
Une « culture du viol »
Il aura fallu vingt-quatre heures de plus et une vague d’indignation sur les réseaux sociaux pour que son suppléant, Michel Temer, réagisse à son tour et affirme rejeter « avec la plus grande véhémence le viol de l’adolescente de Rio de Janeiro. Il est insensé qu’en plein XXIe siècle l’on doive cohabiter avec des crimes d’une telle barbarie ». Pris de court, l’ancien coéquipier de Dilma Rousseff a promis de créer un département au sein de la police fédérale pour s’occuper spécifiquement des violences faites aux femmes.
La proposition fait ricaner les féministes. « Je ne crois pas qu’un gouvernement qui a supprimé le ministère de la femme soit réellement préoccupé par cette question », raille Cynara Menezes auteure du blog Socialista morena. Michel Temer s’était déjà attiré les foudres des défenseurs de la cause féminine en nommant le 12 mai un gouvernement exclusivement masculin.
Le viol de Rio fera-t-il changer les esprits ? Mme Menezes en doute. « Il règne une “culture du viol” au Brésil », se désole-t-elle comme nombre d’internautes. « A chaque cas d’agression, quelqu’un vient souligner que la femme portait une jupe courte, qu’elle aime le “baile funk” [les soirées de la jeunesse dans les favelas] ou consomme de la drogue. Au Brésil, on entend souvent dire que les femmes, les Indiens, les Noirs “se victimisent” », s’agace-t-elle.
Selon une enquête de l’IPEA datée de 2014, 26 % des personnes interrogées considéraient que les femmes portant des vêtements laissant voir le corps méritent d’être attaquées. 65,1 % pensaient aussi qu’une femme agressée par son partenaire qui reste, malgré tout, avec lui aime être frappée.
Claire Gatinois (Sao Paulo, correspondante)
Journaliste au Monde