Qui encercle qui en Asie orientale ? Grâce à sa Navale, Pékin a pris possession d’archipels ou de récifs revendiqués par d’autres pays riverains ; et se projette bien au-delà de sa sphère d’influence immédiate. La superpuissance états-unienne consolide ses alliances anciennes (Philippines) ou nouvelles (Vietnam) sur le pourtour de la mer dite de Chine et réaffirme sa présence dans l’océan Pacifique. Non loin de ses côtes, au cœur même du « tablier – ce goban où les joueurs placent leurs jetons –, le contrôle du régime pékinois sur le territoire taïwanais est menacé alors que des « séparatistes » donnent de la voix à Hong Kong.
La partie dans laquelle Chine et Etats-Unis sont engagés se mène dans la longue durée ; mais chaque mois la physionomie du jeu se modifie, parfois significativement comme, aujourd’hui, dans le détroit de Formose [1].
Tsai à Taïwan. Pour la première fois, le Kuomintang (KMT) a perdu les élections présidentielles et législatives au profit du Parti progressiste démocratique (DPP), permettant à Tsai Ing-Wen d’accéder à la présidence. Le coup est dur pour Pékin.
Longtemps, le KMT, parti de la contre-révolution chinoise, fut l’ennemi juré du PCC. Après la mort de Mao Zedong et de Tchang Kaï-chek (président dictateur à vie de Taïwan), puis la renaissance d’une bourgeoisie en Chine continentale, il a finalement noué une alliance entre « bureaucraties capitalistes », assurant à Pékin une influence majeure sur l’île. La victoire de Tsai exprime un rejet de cette mise sous tutelle. La « terreur blanche » longtemps exercée à l’encontre de la population autochtone par le régime « immigré » du Kuomintang [2] est dorénavant officiellement dénoncée.
La nouvelle présidente n’a pas repris à son compte le « consensus de 1992 » selon lequel il n’y aurait qu’une seule Chine – divisée – que chaque gouvernement prétendait représenter en totalité. Vu le rapprochement KMT-PCC, ce consensus annonçait aux yeux de nombreux Taïwanais une réunification à l’avantage de Pékin. En filigrane, les élections du 16 mai annoncent le choix d’ « Une Chine – un Taïwan » ; inacceptable pour le PCC qui, en guise d’avertissement, mène des exercices militaires dans le sud-est du pays et rompt la trêve diplomatique, nouant avec la Gambie des relations diplomatiques exclusives.
Obama au Vietnam. Quarante et un ans après la victoire vietnamienne de 1975, un lent et tardif processus de normalisation des rapports entre Washington et Hanoï s’achève. A l’occasion d’une visite de quatre jours, commencée le 22 mai, Barack Obama a annoncé la levée de l’embargo américain sur les ventes d’armes au Vietnam. L’embargo économique avait été levé en 1994 et les relations diplomatiques rétablies en 1995.
Or, le Vietnam est en le seul pays d’Asie du Sud-Est qui conteste « physiquement » la main mise de Pékin sur les archipels Spratleys et Paracels – une confrontation toujours inégale où ses navires de guerre sont menacés d’être « malencontreusement » coulés.
Hongkong, Philippines. A Hongkong, l’étouffement de la « révolte démocratique des parapluies » a ouvert un espace qu’une droite indépendantiste tente aujourd’hui d’occuper, surfant notamment sur le rejet par une partie de la population locale des immigrés venus du continent. Hong Kong étant une pièce maîtresse dans l’intégration au monde « globalisé » de l’économie chinoise, Pékin ne tolèrera pas l’expression d’un quelconque séparatisme ; mais cela introduit un facteur de crise dans la gestion de ce petit territoire.
Aux Philippines, le nouveau président Duterte a annoncé qu’il ferait un casus belli de l’occupation par l’armée chinoise du récif de Scarborough, au large de Palawan. Tout en défendant le principe d’un Etat fédéral dans l’archipel, il s’affiche ardent nationaliste et cherchera probablement à mener à ce sujet une diplomatie agressive. La présence des Etats-Unis dans son ancienne colonie est très profonde, tant sur le plan économique que géopolitique (utilisation de l’archipel par la VIIe Flotte, bases de surveillance électronique…). Rodrigo Duterte vient d’un « clan politique » géographiquement marginal par rapport aux « grandes familles » qui font traditionnellement la politique philippine. Son élection est un coup d’éclat, longtemps imprévu. Washington doit donc composer avec ce « parvenu » présidentiel ; mais qui n’est pas pour autant un inconnu : les services spéciaux états-uniens étant particulièrement actif à Mindanao (d’où vient Duterte), ils ont déjà eu l’occasion de collaborer...
Dans l’ensemble, la situation reste certes telle qu’elle est : politiquement, Washington ne peut pas chasser l’armée chinoise des îlots qu’elle occupe ; mais Pékin ne peut pas empêcher la VIIe Flotte de cingler dans des eaux qu’elle proclame relever de sa souveraineté exclusive. Dans ce contexte très tendu cependant, il n’est par rare que des avions de combat ou des navires de guerre se coupent la route – au risque d’un accident aux implications difficiles à prévoir. Or, de nouveaux « points chauds » apparaissent. L’escalade de la tension se poursuit, coup de go après coup de go.
Pierre Rousset