Imaginez. Une cité sans police, sans gouverneur. Une ville où les voisins et les grévistes décident. Un endroit où les barricades ont pris la place des feux de signalisation. Non, ce n’est pas la Commune de Paris. C’est celle d’Oaxaca, à 500 kilomètres de Mexico, en 2006. Depuis cinq mois, dans la capitale de l’État d’Oaxaca, la rue gouverne. Mais le gouvernement a décidé d’en finir avec ce mouvement qui pourrait créer un précédent. Vendredi 27 octobre, les forces de la police fédérale et des groupes paramilitaires sont entrés dans la ville pour en reprendre le contrôle. Au menu : gaz lacrymogènes, matraques, tirs à balles réelles, arrestations arbitraires. La violence de la répression a atteint un niveau tel qu’une centaine de militaires ont déserté. Malgré la mobilisation et les exhortations du Parlement et du Sénat à sa démission, le gouverneur, rebaptisé « Ruiz le Rat », affirme qu’il ne partira pas.
À l’origine de l’insurrection, une occupation d’enseignants, à la mi-juin, pour défendre des revendications salariales (lire Rouge n°2172). Rien d’exceptionnel pour les habitants, car cette mobilisation a lieu tous les ans, juste avant les vacances d’été. Mais, cette année, le très impopulaire gouverneur Ulises Ruiz, issu du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, parti au pouvoir pendant 70 ans), veut en finir avec les profs rebelles. Il envoie la police déloger les occupants. Bilan : une femme a dû avorter du fait des gaz, deux enfants sont morts asphyxiés, deux professeurs sont tués... La ville est entièrement barricadée, et des assemblées de professeurs, de paysans, d’ouvriers et d’étudiants se réunissent un peu partout. En quelques jours, les commissariats sont vidés de leurs occupants, les bâtiments publics sont pris d’assaut, l’université publique est bloquée par les étudiants.
Malgré les attaques, les Oaxaquenos parviennent à contrôler deux radios. En cinq mois, une équipe de chroniqueurs, de reporters et d’animateurs du mouvement se forme sous la direction des maestros. Sous leur direction, mais grâce à la solidarité d’une grande partie des habitants, les grévistes, qui ne touchent plus de salaires, mangent à leur faim. « Quelquefois mieux que d’habitude », affirment les médecins volontaires. Pour empêcher les pillages et les agressions, les voisins organisent des tours de garde. En cas de flagrant délit, les délinquants sont ligotés en pleine rue. Les occupants affirment « que les rues sont plus sûres » et les responsables de campement sont fiers de montrer que, dans les bâtiments publics, rien n’a été volé ni dégradé.
En l’absence de l’État, la vie, durant ces cinq mois, s’est complètement réorganisée. Notamment sous l’impulsion des enseignants organisés dans le Syndicat national des travailleurs de l’éducation (SNTE) et majoritaires dans le gouvernement populaire d’Oaxaca, l’assemblée populaire des peuples de Oaxaca (Appo). Cette instance, élue collégialement par les assemblées de quartier, composée de professeurs, d’ouvriers, d’étudiants et de paysans, est chargée de négocier avec les autorités et de diriger le mouvement. Comme elle est dirigée en bonne partie par les membres du syndicat de l’éducation, les détracteurs du mouvement l’affirment largement influencée par le PRD, le parti social-libéral de Lopez Obrador.
Aujourd’hui, sous le coup d’une répression sanglante, les peuples d’Oaxaca en appellent à la solidarité internationale - pétitions, communiqués, rassemblements devant les ambassades du Mexique - pour mettre un terme à la répression et obtenir ce pour quoi ils se battent depuis cinq mois : la démission du gouverneur.