Hier, 20 mars, se tenait à la Bellevilloise à Paris la première réunion du « Printemps républicain », orchestrée par Laurent Bouvet, auteur de L’insécurité culturelle. Sortir du malaise identitaire français, ouvrage dont Roger Martelli avait regretté que, loin d’éloigner la gauche du « piège identitaire », il tendait à l’y précipiter [1].
À l’origine, un manifeste prétendument apolitique, intitulé « Manifeste pour un Printemps républicain », publié début mars par Marianne ainsi que par Causeur, signé par des « personnalités de gauche qui veulent défendre la laïcité […] face aux attaques contre la République ». Ils entendent en faire « un lieu de débat et de pluralisme dans le cadre accepté par tous les participants du manifeste », un « mouvement du bas [qui] ne part pas des institutions mais de la société civile ». La liste des signataires donne des indications sur le « bas » dont il s’agit.
Pour la caution « de gauche », les signatures de quelques élus et figures du PS (dont les frondeurs Emmanuel Maurel et Jérôme Guedj, ainsi que Fleur Pellerin ou Frédérique Calendra, maire du 20e arrondissement de Paris), d’EE-LV ou encore et du PCF pouvaient faire leur effet. Il en est d’autres plus embarrassantes, comme celle d’Élisabeth Badinter, qui affirme à Marianne avoir retrouvé dans ce manifeste « l’expression politique de la troisième voie », entre « d’un côté, le racisme qui diabolise les Arabo-musulmans, et, de l’autre, le déni pratiqué par les islamo-gauchistes à l’égard de la montée en puissance de l’islamisme radical » [2]. Si l’usage de l’expression « islamo-gauchistes » ne suffisait pas, Élisabeth Badinter juge que « Manuel Valls défend la même République que les signataires du Manifeste »…
Une laïcité agressive
Que propose cette gauche républicaine et laïque ? Selon celle-ci, la France est menacée par les religions, les journalistes, les politiques, tous ceux qui, par idéologie ou par « déni », en veulent à la laïcité. Car nous aurions abandonné les valeurs nationales, à commencer par cette laïcité « remise en cause de toutes parts, manipulée à des fins politiques par certains, attaquée à des fins religieuses par d’autres, ignorée de beaucoup par indifférence, elle ne semble plus défendue que par quelques-uns, dont nous sommes, bien évidemment ».
Dans ce manifeste, on peut aussi lire ceci : « L’extrême droite comme l’islamisme politique sont à la manœuvre pour tenter de jouer avec les peurs et les tensions qui traversent la société française. » On pourrait donc s’attendre à un front républicain contre deux extrémismes : le FN et l’islamisme radical. Sauf que le FN fait figure de grand absent parmi les cibles désignées, malgré tout ce qu’il y aurait à dire sur le parti d’extrême droite et la laïcité. Mais non. Il semble moins grave d’attaquer la laïcité au nom de l’héritage judéo-chrétien qu’avec une barbe et une djellaba.
Car nous arrivons au problème numéro un en France, très abordé ce dimanche par les orateurs du « Printemps » : le voile. Au passé le débat sur le voile à l’école, le voile dans les administrations, les candidates ou élues voilées, etc. Désormais, il faut bannir le voile partout, dans les places, les rues, dehors, partout. « Toute discrimination à raison de l’identité de la personne est par définition antirépublicaine et antilaïque », était-il pourtant écrit dans le manifeste, qui affirme aussi lutter contre le racisme ou l’antisémitisme. Las, le combat semble surtout porter contre le concept d’islamophobie [3].
Laurent Bouvet @laurentbouvet
« Nous ne voulons pas de concept d’islamophobie, qui ne sert qu’à museler toute critique de l’islam ». #PrintRep
17:36 - 20 Mars 2016
Laurent Bouvet @laurentbouvet
« radicalisation et islamophobie forment un couple qui nous empêche de penser la réalité » #PrintRep
17:24 - 20 Mars 2016
Et, incidemment, au cours d’une soirée où se croisent Richard Malka, Gilles Kepel, Patrick Kessel, Marc Cohen, Gilles Clavreul ou Fadela Amara, on se croit revenu en janvier 2015, quand Fox News évoquait les « no go zones », endroits où la charia régnerait à Paris (le conducteur de bus qui s’exprime ci-dessous désigne cependant ses collègues, pas les passagers).
PrintempsRépublicain @printempsrepub
« Dans le nord de Paris, il y a une ligne de bus où il est difficile de rentrer si on est pas barbu » #PrintRep
16:24 - 20 Mars 2016
Derrière la laïcité, le Printemps républicain ne proposerait-il que rejet de l’autre, préjugés et autorité ? Ironie du sort, le jour même, le gouvernement lançait sa campagne « Tous unis contre la haine » avec ce message : « Le racisme, ça commence par des mots. Ça finit par des crachats, des coups, du sang ».
PrintempsRépublicain @printempsrepub
@f_calandra :« Il ns faut combattre les racismes, les fascismes, mais égalemt les assignations identitaires, l’intersectionnalité » #PrintRep
15:20 - 20 Mars 2016
De la République à la Nation
Très vite, le discours ne porte plus tant sur la République et ses valeurs à défendre, que sur l’idée d’appartenance à un pays, une histoire, une nation.
PrintempsRépublicain @printempsrepub
Intervention de Fatiha Boutjahlat, secrétaire nationale du MRC : « on s’est interdit d’assumer son goût de la patrie » #PrintRep
17:39 - 20 Mars 2016
Laurent Bouvet @laurentbouvet
Fatiha Boudjahlat : « Le patriotisme s’apprend quand il s’enseigne. Je ne suis pas une indigène ». #PrintRep
17:43 - 20 Mars 2016
Fleur Pellerin avait souhaité « ne pas dépassionner le débat mais le poser de manière sereine ». Raté. Nadia Remadna, de la Brigade des mères de Sevran, estime que « nos banlieues sont islamisées et arabisées ». Finalement, dans le brouhaha et l’excitation ambiante, un homme, Mehdi Ouraoui, membre du conseil national du PS, a émis sur Twitter ce propos mesuré et apaisant :
Mehdi Ouraoui @mehdiouraoui
Faire refleurir la République, c’est désigner un avenir commun, pas seulement ses ennemis. Inventer ensemble, pas se vivre assiégés.
19:57 - 20 Mars 2016
Sauf que les mots « commun » ou « ensemble », ne semblent pas faire partie de la terminologie du Printemps républicain. Un mouvement pourtant si accueillant.
Loïc Le Clerc