Un sujet gênant
Parmi les sujets conflictuels liés à la guerre d’Algérie, le sort que la France a réservé aux anciens supplétifs « musulmans » est certainement celui qui provoque aujourd’hui les plus vifs débats. Or, dans ces controverses, la question des harkis restés en Algérie sans y être tués est complètement absente. Peut-être parce qu’elle constitue, en France comme en Algérie, une gêne beaucoup trop profonde. Gêne pour les harkis rapatriés et leurs amis d’admettre qu’il était peut-être possible de rester en Algérie. Gêne encore plus grande pour la société algérienne de reconnaitre l’ampleur du nombre d’Algériens qui se trouvaient du côté de l’armée française honnie. Et d’accepter que ces harkis et leurs descendants constituent une partie non négligeable de la population actuelle.
Oppression coloniale
Ceux qu’on appelle aujourd’hui les « harkis » sont le produit d’une occupation coloniale qui s’est étendue sur 132 années. En Algérie, comme dans ses autres colonies, l’Etat français s’est toujours appuyé sur certains éléments du peuple colonisé afin d’exercer son pouvoir sur l’ensemble de la population. D’où le très grand nombre et la très grande diversité de tous ceux qui ont participé au système d’oppression coloniale : militaires (spahis, goums, enfants de troupe, tirailleurs, soldats et officiers de carrière, appelés au service militaire, supplétifs, etc.) ; ou fonctionnaires dotés d’un pouvoir répressif (caïds, aghas, bachaghas, gendarmes, policiers, membres du corps préfectoral, etc.).
Idées reçues
Si on y intègre leur famille, on obtient un chiffre supérieur au million de personnes – sur une population de 9 millions d’Algériens en 1962. Dès lors, un livre sur les « harkis » (supplétifs et autres) restés en Algérie est non seulement d’une grande originalité, mais force toutes les parties à remettre en question leurs idées reçues. Que se soit sur leur nombre, les motivations de leur engagement, ou leur sort au moment de l’indépendance.
Une longue enquête
Pendant deux années, Pierre Daum a multiplié les séjours en Algérie, parcourant en bus et en voiture des milliers de kilomètres, munis de quelques vagues contacts disséminés aux quatre coins du pays – le plus souvent dans des villages reculés du bled (la campagne) et du djebel (la montagne). Au terme de cette vaste enquête totalement inédite, il a réussi à recueillir le témoignage d’une soixantaine d’anciens « harkis » qui n’avaient jusqu’alors jamais raconté leur passé. Confrontant ces récits à différents documents d’archives, ainsi qu’à quelques témoignages d’anciens moudjahidine qui n’avaient jamais parlé du sort réservé aux « harkis », le livre dévoile une réalité complètement différente de celle racontée jusqu’à présent.
Des parcours très divers
En 1962, des dizaines de millier de « harkis » sont rentrés chez eux, sans être véritablement inquiétés. D’autres sont passés par des tribunaux populaires devant lesquels une grande partie réussit à s’en sortir, expliquant n’avoir « rien fait de mal », ou avoir « été forcée par les Français ». D’autres, reconnus coupables de violences à l’égard de la population civile, ont été soumis pendant quelques semaines à des travaux forcés. Certains passèrent plusieurs années en prison, avant d’être libérés. En général, seuls les plus coupables (de torture, de viols, d’exactions en toute genre) ont été exécutés. Mais cela n’empêcha pas, en cette période de chaos de l’été/automne 1962, de nombreux crimes aveugles, vengeances sordides, exécutions sommaires d’avoir lieu, sur des hommes bien plus innocents que d’autres.
Le fardeau de la honte
Quoiqu’il en soit, la grande majorité des « harkis » retournèrent habiter dans leur village où, laissés vivants, ils subirent cependant différentes formes de relégation sociale : refus d’accès aux emplois de l’Etat (les seuls stables et rémunérateurs) et aux logements sociaux, brimades, stigmatisations, insultes, etc. Aujourd’hui, leurs enfants portent souvent ce fardeau de la honte, vivant souvent d’un seul espoir : que le passé de leur père leur offre un visa pour la France.
Ultimes victimes
A travers ce livre, on comprend que l’histoire des « harkis » s’inscrit au cœur d’un système colonial qui opprima le peuple algérien pendant 132 années. Aujourd’hui, un demi-siècle après la fin de l’occupation française en Algérie, ces hommes, leurs épouses et leurs enfants apparaissent comme les ultimes victimes d’un passé colonial dont les plaies ne sont toujours pas cicatrisées, ni en France, ni en Algérie.
Archives du colonialisme
Le dernier tabou, les « harkis » restés en Algérie après l’indépendance, est publié aux éditions Actes Sud, dans la collection « Archives du colonialisme », dirigée par Michel Parfenov.
Pierre Daum
Communiqué de presse
On pense en général que les harkis, ces Algériens intégrés à l’armée française pendant la guerre d’indépendance, ont soit réussi à s’enfuir en France, soit été « massacrés » en 1962. En réalité, la plupart d’entre eux n’ont pas été tués, et vivent en Algérie depuis un demi-siècle. Une réalité historique di cilement dicible en Algérie comme en France. Pendant deux ans, Pierre Daum a parcouru des milliers de kilomètres à travers toute l’Algérie a n de retrouver les témoins de cette histoire occultée. Des témoins qui, pour la première fois de leur vie, ont accepté de parler.
La soixantaine de témoignages que l’auteur a recueillis — auprès d’anciens supplétifs, mais aussi d’anciens soldats de l’armée régulière, et d’anciens civils « profrançais » — bouleversent plusieurs idées reçues des deux côtés de la Méditerranée. Que se soit sur leur nombre (450 000), les motivations de leur engagement, ou leur sort au moment de l’indépendance.
Précédés d’une longue introduction historique, ces récits de vie permettent de comprendre que l’histoire des « harkis » (supplétifs et autres) s’inscrit au cœur d’un système colonial qui opprima le peuple algérien pendant 132 années. Aujourd’hui, un demi-siècle après la fin de l’occupation française en Algérie, ces hommes, leurs épouses et leurs enfants apparaissent comme les ultimes victimes d’un passé colonial dont les plaies ne sont tou-jours pas cicatrisées, ni en France, ni en Algérie.
Journaliste, ancien correspondant de Libération en Autriche puis en Languedoc- Roussillon, Pierre Daum a aussi collaboré à plusieurs journaux européens : Le Monde, L’Express, La Libre Belgique, La Tribune de Genève, etc. En 2009, Actes Sud publie sa première enquête historique, Immigrés de force, les travailleurs indochinois en France (1939-1952), qui révèle l’utilisation forcée de 20 000 paysans vietnamiens dans les usines d’armement de métropole. Le livre, préfacé par Gilles Manceron, a été adapté au cinéma par le réalisateur franco-vietnamien Lam Lê dans Công Binh, la longue nuit indochinoise, sorti en 2013. En octobre 2014, un Mémorial national aux travailleurs indochinois a été inauguré en Camargue.
En 2012, Pierre Daum publie chez Actes Sud Ni valise ni cercueil, les Pieds- noirs restés en Algérie après l’indépendance, avec une préface de Benjamin Stora. Ce livre révèle une autre page enfouie de l’histoire coloniale française. Alors que tout le monde pensait que tous les Français d’Algérie avaient quitté leur pays en 1962, Ni valise ni cercueil décrit la vie de 200 000 d’entre eux qui ont choisi de vivre dans l’Algérie indépendante.
Parallèlement à ses travaux de recherche sur le passé colonial de la France, Pierre Daum effectue régulièrement des grands reportages pour Le Monde diplomatique.