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- Continuité des contre-réformes
- Le rôle de l’Union européenne
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À en croire le gouvernement socialiste et sa ministre de la Santé, Marisol Touraine [1], la France était à la fin de l’année 2015 à la veille d’avancées majeures en matière d’accès aux soins grâce à l’instauration du « tiers payant » pour les consultations médicales et l’entrée en vigueur d’une assurance « complémentaire santé obligatoire » dans les entreprises du secteur privé :
► Le tiers payant évite au patient de faire l’avance de sa consultation quand il se rend chez le médecin. C’est la « mesure phare » de la loi dite de « modernisation du système de santé » adoptée définitivement par le Parlement le 18 décembre dernier.
► L’instauration de l’assurance « complémentaire santé obligatoire » est le résultat d’un accord interprofessionnel de 2013 entre le patronat et certains syndicats. Depuis le 1er janvier 2016, chaque employeur du secteur privé est tenu de faire bénéficier ses salariés et leur famille d’une assurance santé complétant le régime de base qu’est la Sécurité sociale La participation de l’entreprise devra au moins s’élever à 50 % de la cotisation.
Derrière ces effets de communication, se cache la réalité de contre-réformes. Leur fonction est d’accélérer, tout en l’aménageant, la privatisation de la Sécurité sociale et celle du système de santé.
Complémentaire santé obligatoire, un pas de plus vers la destruction de la Sécurité sociale
En 1945, la Sécurité sociale était fondée pour permettre à tous salariés de se soigner, d’élever leurs enfants de bénéficier d’une retraite. Sa branche santé, l’assurance maladie, voulait créer pour tous et toutes un droit aux meilleurs soins.
Les salariés et les classes populaires ont ainsi pu bénéficier, grâce à la Sécurité sociale et à l’hôpital public des progrès intervenus dans le domaine de l’investigation médicale et du soin. C’est certainement l’une des grandes avancées sociales des 70 dernières années.
Mais 30 ans de contre-réformes libérales font désormais sentir leurs effets : l’accès aux soins devient problématique pour une partie croissante de la population – une personne sur quatre renonce à des soins pour raison financière.
La part des soins courants (consultations médicales, soins pratiqués sans hospitalisations, médicaments, soins dentaires, optique....) remboursée par la Sécurité sociale n’est plus que de 54 %. Le reste est à la charge du malade ou de son assurance complémentaire s’il en possède une. Et même pour les soins hospitaliers, la part non remboursée par l’assurance maladie (forfait hospitalier de 18 euros par jour, franchise, suppléments divers) devient vite prohibitive, si elle n’est pas couverte par une mutuelle ou assurance complémentaire, ce qui est le cas pour 4 % des assurés sociaux [2].
En rendant obligatoire l’adhésion à une complémentaire santé d’entreprise financée au moins à 50 % par l’employeur, le gouvernement prétend répondre à ce besoin. Il ne le fait pourtant que très partiellement.
► Seuls les salariés du secteur privé (400 000 sur 3 millions de personnes n’ayant pas de complémentaire) en bénéficieront. Les chômeurs et personnes « hors marché du travail », les salariés du secteur public, les travailleurs indépendants, les étudiants ne sont pas concernés.
► Les contrats, parfois négociés au moindre coût par les assureurs, risquent d’augmenter rapidement. Ils n’offrent parfois qu’une couverture limitée. Il faudra alors les compléter, pour ceux qui le pourront, par une deuxième assurance (dite « surcomplémentaire »). Elle sera totalement à la charge de l’assuré. À l’arrivée, la facture pèsera lourd dans le budget des salariés.
► Au moment du passage à la retraite, l’entreprise cessera de contribuer à la complémentaire obligatoire, les retraités verront leur assurance santé augmenter, alors même que leurs revenus baissent et que leurs besoins de soins augmentent avec l’âge.
Mais l’essentiel est ailleurs. Le journal patronal les Échos le disait sans détours : « La création d’un service minimum de complémentaire santé est, de fait, une machine de guerre contre la Sécurité sociale puisqu’elle officialise le fait que le système de solidarité nationale n’a pas vocation à prendre en charge la totalité des dépenses de santé » [3].
L’instauration de la complémentaire santé obligatoire accentue la transformation de la Sécurité sociale en un simple « filet de sécurité », ne permettant plus à lui seul de se soigner. Pour ceux qui le peuvent, une autre assurance devient indispensable comme le constate le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie [4].
Le remplacement de la Sécurité sociale par des assurances est créateur d’inégalités face aux soins, il sanctionne l’abandon de cet acquis fondamental qu’était la possibilité de se soigner selon ses besoins et non selon ses moyens. C’est par contre une affaire très juteuse pour les organismes d’assurance.
La généralisation de la complémentaire santé obligatoire a ouvert un marché estimé à 4 milliards d’euros, sur lequel s’affrontent mutuelles (à but non lucratif), institutions paritaires de prévoyance (cogérées par les syndicats et le patronat) et compagnies commerciales d’assurances.
Le chiffre d’affaires des complémentaires (31,4 milliards d´euros) est en hausse de 77 % par rapport à 2001. Si les mutuelles y occupent encore la place prépondérante (54 %), celle-ci est en baisse par rapport aux sociétés d’assurance (28 %) et aux institutions de prévoyance (18 %).
Sous le fouet de la concurrence et des exigences de l’Union européenne, la distinction entre opérateurs commerciaux et mutualistes s’atténue.
Les mutuelles (à l’inverse des compagnies d’assurances) n’ont certes pas d’actionnaires et ne sélectionnent pas leurs adhérents selon le risque qu’ils présentent, elles fixent néanmoins des critères d’âge pour adhérer et proposent des contrats différenciés selon le niveau de cotisations.
Pour faire face aux exigences de l’Union européenne, qui ne distingue pas entre assurances et mutuelles, les regroupements et fusions s’accélèrent. Les mutuelles étaient 5 780 en 1995, 481 en 2013 et il n’y en aura probablement plus qu’une centaine 2018. Mutuelles et institutions de prévoyance fusionnent : La MGEN (mutuelle historique des enseignants) avec Harmonie Mutuelle, Malakoff Médéric avec la Mutuelle Générale ou AG2R la Mondiale avec Réunica.
Guillaume Sarkozy [5], ancien délégué général de Malakoff Médéric, pronostique : « il y aura, à mon sens, dans quelques années, entre 4 et 6 réseaux nationaux de complémentaires santé. Moins de 4, cela me paraît exclu, en raison des règles antimonopole... Mais plus de 6, pour 65 millions d’habitants, cela me paraît trop. Pour investir, pour mieux gérer les risques, nous avons besoin d’une grande mutualisation ».
La loi Touraine, nouvelle étape dans la privatisation du système de santé
Complétant la loi Bachelot (2009), adoptée par la droite sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la loi Touraine (2015) crée des outils nouveaux pour privatiser le système de santé.
Un catalogue de mesures – parfois positives [6] – de santé publique et une disposition emblématique – le tiers payant – ont permis au gouvernement de détourner le débat politique du cœur du projet qui se structure autour de quatre volets essentiels :
• La suppression de la place spécifique et déterminante de la Sécurité sociale dans le système de santé ;
• L’accélération des restructurations hospitalières ;
• L’organisation d’un réseau privé de professionnels de « premier recours » palliant l’absence ou la disparition du service public, qui prépare la création de réseaux de soins privés sous la coupe des assurances ;
• La redéfinition du rôle de l’État.
La Sécu, une « assurance santé » parmi d’autres
Une disposition de l’article 1er de la loi a peu retenu l’attention. Elle est pourtant essentielle : « Art. L. 1411-2. Dans le cadre de leurs compétences et dans le respect des conventions les liant à l’État, les organismes gestionnaires des régimes d’assurance maladie concourent à la mise en œuvre de la politique de santé et des plans et programmes de santé qui en résultent ».
D’un trait de plume, la Sécurité sociale disparaît comme élément structurant l’organisation du système de santé. Il ne subsiste plus que des « organismes gestionnaires des régimes d’assurance maladie ». La Sécu n’est plus qu’une assurance parmi d’autres et en concurrence avec elles.
La porte est ainsi ouverte à un marché où s’affrontent les assurances santé et leurs réseaux de soins.
Hôpital public : des restructurations obligatoires
La loi Bachelot avait aboli toute distinction entre établissements de santé publics et privés. Comme F. Hollande s’y était engagé, la loi Touraine réintroduit la notion de service public, mais sans grandes conséquences pratiques. Les établissements privés auront toujours la possibilité d’assurer le service public, elles devront simplement respecter l’ensemble des règles de celui-ci.
Pour accélérer la fermeture des hôpitaux de proximité, le regroupement et la « mutualisation » des services de l’hôpital public, la loi Bachelot/Sarkozy avait créé des « communautés hospitalières de territoire ». L’adhésion était facultative. La loi Touraine passe à la vitesse supérieure. Tout établissement public doit obligatoirement adhérer à un « groupement hospitalier de territoire » sous peine de lourdes sanctions, voire de retrait de ses autorisations.
Ces « groupements » contribueront à la mise en œuvre des 22 000 suppressions de postes prévues d’ici 2017 dans les hôpitaux.
« Communautés professionnelles » : remplacer le service public et préparer des réseaux de soins privés
En France, les soins dits de « premiers recours » (sans aller à l’hôpital) sont dispensés pour l’essentiel par des professionnels libéraux (médecins généralistes et spécialistes, infirmières libérales...). Les médecins libéraux disposent de la liberté d’installation, c’est-à-dire du droit de s’installer là où ils le souhaitent (et non là ou se trouvent les besoins). Il en résulte une répartition très inégale sur le territoire. Au fil des années, des « déserts médicaux » se sont constitués dans certaines régions rurales ou dans des banlieues. Les cabinets médicaux y sont rares et éloignés pour les patients.
La situation s’est aggravée du fait des fermetures de petits hôpitaux de proximité et de leurs services d’urgences. Un rapport prévoit la fermeture de 67 d’entre eux sur les 650 encore existants.
Ajoutons que les médecins libéraux jouissent d’une autre liberté – la liberté tarifaire, qui leur permet, en particulier aux spécialistes, de dépasser les honoraires remboursés par la Sécurité sociale. Même encadrée, cette liberté crée de sérieux obstacles au droit à se soigner pour les patients peu fortunés.
La situation est telle que François Hollande avait dû s’engager à agir lors de sa campagne électorale de 2012. La loi Touraine se limite à proposer une meilleure coordination des acteurs libéraux (encore faut-il qu’il en existe suffisamment), sous la responsabilité des Agences régionales de santé, au sein de « communautés professionnelles territoriales de santé ». Elles sont censées répondre à l’absence ou la disparition du service public. Cette « solution » bien dérisoire préfigure en outre ce que pourraient devenir demain les soins de proximité. Les communautés professionnelles pourront favoriser l’émergence de réseaux de soins privés sous la coupe des assurances santé, qui occupent une place décisive dans le remboursement des soins de ville. De tels réseaux existent déjà pour l’optique et les soins dentaires, peu remboursés par la Sécurité sociale. Ils pourraient s’étendre à l’ensemble des soins « hors hôpital ». On entrerait alors dans un système « à l’américaine » de réseaux de professionnels rattachés à une assurance. Les assurances et mutuelles s’y préparent.
Guillaume Sarkozy (déjà cité) traçait très explicitement cette perspective le 3 juin 2014, à l’occasion des « amphis de la santé ». Il préconisait la mise en place de « réseaux de médecins qui répondraient à un cahier des charges intégrant la mesure du risque ». Prenant l’exemple du réseau de soins dentaires mis en place par Malakoff Médéric il ajoutait « plus d’un client sur deux se laisse guider vers le réseau de soins que nous lui conseillons, qui pourrait s’étendre et devenir obligatoire d’ici à cinq ans ».
Pourquoi le tiers payant généralisé ?
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’instauration du tiers payant, par la loi Touraine.
Aujourd’hui le patient doit payer au médecin le prix de sa consultation, qui lui est ensuite remboursée. Avec le tiers payant, il n’aura plus à le faire : la Sécurité sociale et les complémentaires rémunéreront directement le praticien (ce système fonctionne déjà pour les médicaments). Cette mesure lève une partie des obstacles financiers à l’accès aux soins, l’avance même provisoire du coût de la consultation étant dissuasif pour les patients et familles dont les budgets sont serrés [7]. Elle doit évidemment être soutenue, face à la mobilisation réactionnaire des syndicats médicaux libéraux, qui n’ont cessé de réclamer son retrait.
Le gouvernement, habituellement si prompt à reculer devant les lobbies réactionnaires, a cette fois, refusé de céder. Imposer cette mesure populaire lui permet de mieux occulter les contre-réformes contenues dans le reste de la loi.
En outre, en favorisant les possibilités d’accès aux soins, le tiers payant permet d’amortir les effets de l’absence d’un service public et gratuit. Il résume finalement assez bien l’esprit de la loi Touraine : organiser la privatisation du système de santé, tout en essayant d’en limiter certaines conséquences négatives.
Il reste néanmoins à voir les conditions de mise en œuvre du tiers payant, loin d’être encore précisées.
L’État organise la privatisation et l’accompagne
Les syndicats de médecins libéraux et les patrons de cliniques privées se sont également mobilisés contre la loi Touraine en dénonçant une « étatisation » de la santé. Leur critique ne porte évidemment pas sur le démantèlement du service public qu’elle organise et dont ils sont les premiers bénéficiaires. Leur opposition tient au refus d’accepter en contrepartie certaines contraintes d’un service public qu’ils prétendent remplacer.
Il n’est pas un instant question pour ce gouvernement (social ?)-libéral d’un retour à un nouvel âge d’or de « l’État providence ». L’heure est à l’austérité, à la réduction des dépenses publiques, à la « baisse du coût » du travail. Le « pacte de responsabilité » adopté en 2014 avec ses 50 milliards d’euros de réduction de crédits, dont 10 concernent la santé, en est l’illustration. L’État, au nom de la lutte contre les « déficits » et la dette cherche à réduire la dépense publique par tous les moyens.
Dans un pays ou les dépenses de protection sociale et de santé sont essentiellement publiques et ou l’hôpital joue encore un rôle déterminant, seule une intervention politique peut permettre la privatisation. Telle est la fonction des contre-réformes entreprises depuis 1988. Les fonds de pensions ne peuvent éclore qu’une fois les retraites publiques « par répartition » ont été réduites à des retraites de misère. Les assurances santé privées ne peuvent prendre leur essor que si la Sécurité sociale rembourse mal les soins. Les chaînes de cliniques privées ne peuvent prospérer qu’aux dépens d’un hôpital public réduit au rôle d’hôpital du pauvre et des cas les plus graves. Le premier rôle des politiques libérales est donc d’organiser, par les coupes budgétaires, le dysfonctionnement de ce qui fonctionnait de manière plus ou moins satisfaisante jusqu’alors.
Ayant ainsi ouvert la voie à la privatisation, l’État doit en même temps essayer de l’encadrer, pour limiter les dérives inévitables des lois du marché. C’est le rôle des Agences régionales de santé (ARS) créées par la loi Bachelot et sur lesquelles s’appuie la loi Touraine.
De « social », structurant le système de santé autour du service public, l’État est devenu libéral, commanditaire (via les ARS) de prestations à des acteurs publics ou privés, dont il exige à la fois « l’efficience » et le respect d’un « cahier des charges ».
Continuité des contre-réformes
Les contre-réformes engagées par les gouvernements du PS et de ses alliés, depuis 2012, sont en parfaite continuité avec celles qui ont été menées depuis la fin des années 1980 par tous les gouvernements, de droite comme de gauche, qui se sont succédé.
On ne peut qu’être frappé, à 20 ans d’intervalle de la similitude entre le « plan Juppé » (du nom du Premier ministre de droite du président Jacques Chirac), qui tenta d’imposer une contre-réforme globale de la protection sociale de la santé, et les réformes « socialistes » de François Hollande et de ses gouvernements depuis 2012 : intervention de l’État pour liquider la Sécurité sociale, attaques contre les retraites par répartition et rationnement des soins remboursés par la Sécurité sociale, mise en place de filières et réseaux de soins permettant la privatisation....
Le plan Juppé s’était lui aussi, à l’époque, heurté à l’opposition des syndicats de médecins ultralibéraux, qui y voyaient un plan « colbertiste » et « étatiste » laissant planer l’ombre du « Gosplan » soviétique (!) [8]. Mais en 1995 cette opposition passa presque inaperçue, alors que des millions de salariés s’opposaient pendant plusieurs semaines par la grève et les manifestations à une attaque majeure contre leurs droits à la retraite, à la santé et leur protection sociale. Telle n’a pas été le cas en 2015, où seules les actions des syndicats médicaux libéraux ont accompagné le vote de la loi Touraine, en l’absence de toute mobilisation significative du mouvement ouvrier.
Le rôle de l’Union européenne
L’Union européenne apporte une contribution significative au démantèlement des services publics de santé et des systèmes de protection sociale, bien que ces questions n’entrent pas officiellement dans son domaine de compétence.
Elle le fait à la fois en fixant des orientations pour les États membres et en utilisant les leviers dont elle dispose pour les contraindre à s’y plier.
Ainsi en 1997, la Commission européenne a-t-elle publié un « livre vert » sur les retraites complémentaires où elle formulait, sous le nom de stratégie « des 3 piliers » [9], une perspective de démantèlement des systèmes de retraite, jusqu’alors essentiellement publics.
Selon la Commission européenne, les régimes de retraite devaient désormais reposer, non plus sur un seul « pilier » public mais sur « 3 piliers » :
• Un régime de base public par répartition limitée ;
• Des régimes professionnels par capitalisation ;
• Une épargne retraite individuelle, au choix de chacun pouvant s’y ajouter.
Un schéma identique est préconisé pour la santé. Il a trouvé son illustration en 2004, en France avec le rapport Chadelat, lors de la réforme de l’assurance maladie. On y retrouve la même architecture en « 3 piliers » :
• Un régime de base public assurant un « panier de soins » minimum – l’AMO (assurance maladie obligatoire), c’est-à-dire la Sécurité sociale ;
• Une assurance maladie complémentaire de base (AMCB), sous forme de régimes d’entreprise ;
• Une assurance complémentaire facultative, pour ceux qui voudraient compléter le dispositif.
L’Union européenne ne se contente pas de tracer des orientations, elle dispose de moyens contraignants pour les imposer.
Les exemples récents de la Grèce, du Portugal ou de l’Espagne viennent de le prouver de manière particulièrement brutale : au nom du remboursement de la « dette » et de la réduction des déficits publics, la troïka a imposé partout des réductions des financements publics se traduisant par le démantèlement des services publics de santé, l’impossibilité d’accéder aux soins, le recul de l’âge de la retraite, la baisse des pensions…
Les mêmes tendances sont à l’œuvre, de manière moins visible, dans les autres pays de l’Union.
Un autre partage des richesses
Nous avons essayé de dégager la cohérence des contre-réformes de la santé et de la protection sociale : l’intervention de l’État pour réduire massivement les dépenses publiques de protection et la place des services publics de santé, n’est pas le contraire de la privatisation, elle en est la condition.
Les gouvernements des pays européens présentent néanmoins leurs politiques d’austérité comme le moyen de « défendre notre modèle social » et de « le sauver » contre l’implosion dont il serait menacé par l’accroissement indéfini des dépenses. Dans un contexte de difficultés économiques et de faible croissance, l’austérité et la réduction des droits sociaux seraient le seul moyen de préserver l’avenir et d’éviter une privatisation source d’inégalités. On retrouve la petite musique qui fut déjà entendue lors des réformes des retraites.
Des prévisions démographiques catastrophistes servaient alors à démontrer l’impossibilité de maintenir pour tous des pensions, prolongeant le salaire, tout en maintenant l’âge de départ à la retraite [10]. Le même refrain est aujourd’hui repris pour la santé : le vieillissement de la population accompagné de son lot de problèmes de santé, de maladies chroniques, de dépendance, ne permettrait plus à une Sécurité sociale, déjà « déficitaire » de faire face à ses obligations. La seule issue serait donc de limiter les soins remboursés par l’assurance maladie. Dans un cas comme dans l’autre ces présentations font l’impasse sur l’essentiel : la part des richesses produites, du temps de travail disponible, que la société décide d’affecter à des besoins fondamentaux.
Seule la logique du profit et de l’accumulation du capital s’oppose à ce qu’une partie croissante de la richesse produite ne soit affectée à payer des pensions de retraites ou à assurer des soins gratuits, de qualité pour tous ou à financer la perte d’autonomie. Cette perspective loin d’être une catastrophe serait une anticipation de la société socialiste que nous voulons construire.
Jean-Claude Laumonier