Allait-il en parler ? Et, si oui, en quels termes ? Jeudi 31 décembre 2015, c’est principalement sur la question de la déchéance de la nationalité qu’était attendu François Hollande à l’occasion de ses vœux télévisés, les avant-derniers de son quinquennat. La réponse est venue au bout de trois minutes : « J’ai annoncé une révision de la Constitution (…) pour déchoir de la nationalité française les individus condamnés définitivement pour crimes terroristes. » Le message était clair : à ceux qui, à gauche, sont de plus en plus nombreux à réclamer l’abandon de cette mesure proposée de longue date par la droite et l’extrême droite avant d’être défendue par le président de la République au lendemain des attentats du 13 novembre, celui-ci a décidé d’opposer une fin de non-recevoir.
Tenir bon plutôt que se dédire. Telle est donc la posture qu’a choisi d’adopter M. Hollande, manifestement convaincu qu’il avait plus à perdre en renonçant qu’en assumant. Prudent, le chef de l’Etat n’est toutefois pas allé plus loin dans la défense de la mesure si controversée au sein de son propre camp. « Il revient désormais au Parlement de prendre ses responsabilités. Le débat est légitime. Je le respecte. Il doit avoir lieu », s’est-il aussitôt empressé d’ajouter. Une façon pour lui de se mettre dans une position d’arbitre plutôt que d’avocat, autrement dit de se protéger en laissant entendre qu’il se tiendrait désormais à distance d’une polémique dont il sait qu’elle peut lui coûter fort cher politiquement.
Cette position, résolument au-dessus de la mêlée, est au fond celle que s’est efforcé de tenir M. Hollande pendant les dix minutes de son allocution. Il faut dire que le thème central de celle-ci s’y prêtait : en choisissant – mais pouvait-il en être autrement ? – de la consacrer principalement à la lutte contre le terrorisme, le chef de l’Etat ne pouvait que naturellement endosser le costume du rassembleur et du protecteur de la nation. Ce qu’il ne s’est pas privé de souligner. « Mon premier devoir, c’est de vous protéger. (…) Quand il s’agit de votre protection, la France ne doit pas se désunir. Elle doit prendre les bonnes décisions au-delà des clivages partisans et en conformité avec nos principes essentiels. » Autant de phrases somme toute assez convenues mais qui, par petites touches, semblaient tout autant dessiner un portrait de président qu’ébaucher un programme de candidat.
« Etat d’urgence économique et social »
A maintenant seize mois de l’élection présidentielle, M. Hollande sait en effet que le temps lui est compté. Et que, pour préparer au mieux sa future candidature, il ne peut se contenter d’attendre les résultats d’une politique qui a plus que tardé à porter ses fruits, sur le terrain économique au premier chef. D’où sa volonté de continuer à afficher un volontarisme sans faille en la matière. « S’il y a un état d’urgence sécuritaire, il y a aussi un état d’urgence économique et social », a ainsi déclaré le président de la République, qui a fait de la baisse du chômage une des conditions de sa candidature en 2017.
Rappelant les lois à venir pour « simplifier le code du travail » et « saisir les nouvelles opportunités économiques » du numérique, il a également annoncé de nouvelles mesures, comme la « généralisation » du service civique, de « nouvelles aides à l’embauche » en direction des petites et moyennes entreprises, la mise en place de « 500 000 » formations supplémentaires proposées aux demandeurs d’emploi, le développement des « filières de l’apprentissage », ainsi qu’un programme de « grands travaux » pour la « croissance verte » dans la foulée de la COP21.
Autant de dispositifs dont certains ont un air de déjà-vu mais dont le président espère sans doute qu’ils rassureront ceux qui, dans sa majorité, s’inquiètent d’une politique désormais trop exclusivement axée sur la sécurité, au risque de laisser au second plan les enjeux économiques et sociaux. « La lutte contre le chômage reste ma première priorité », a ainsi rappelé M. Hollande, qui devrait détailler cette série d’annonces le 18 janvier, à l’occasion d’un discours prononcé au Conseil économique, social et environnemental.
« L’amour de la patrie »
Pour le reste, le chef de l’Etat s’est adressé implicitement à ceux qui pourraient être ses adversaires lors de la campagne présidentielle de 2017. « Les événements que nous avons vécus nous l’ont confirmé : nous sommes habités par un sentiment que nous partageons tous. Ce sentiment, c’est l’amour de la patrie. La patrie, c’est le fil invisible qui nous relie tous. » Difficile de ne pas voir dans cette envolée une réponse à Marine Le Pen et une volonté de ne pas laisser celle-ci s’arroger le monopole du patriotisme, moins d’un mois après la poussée spectaculaire du Front national aux élections régionales et à l’heure où sa présidente veut imposer l’idée que le principal clivage qui structure la vie politique est celui qui oppose les « patriotes » aux « mondialistes ».
De la part de M. Hollande, l’accent mis sur la patrie – plus encore désormais que sur la République – semble être devenu une constante. « Il y a quelque chose qui nous dépasse tous, c’est la patrie », avait-il déjà affirmé lors de son intervention télévisée du 14 juillet 2015. « Je ne suis pas pour la France crispée, rabougrie, qui devrait se diviser », avait-il ajouté ce jour-là. C’est dans ce même champ lexical qu’a puisé à nouveau le chef de l’Etat pour ses vœux de fin d’année : « La patrie (…) c’est celle qui s’accomplit dans l’ouverture au monde (…) et jamais dans le repli, la fermeture, la discrimination ou la nostalgie. »
Au total, il y a peu de chances pour qu’une telle allocution fasse bouger les lignes politiques. Compte tenu du choix fait par M. Hollande de ne pas céder sur la question de la déchéance de nationalité, il y a même au contraire de forts risques qu’elle les fige. C’est là le paradoxe de ces vœux. Des vœux au cours desquels le président de la République a célébré « l’unité nationale » et enjoint les Français de ne pas se « désunir », mais dont le principal message aura été le maintien d’une mesure extrêmement clivante au sein même de son propre camp.
Bastien Bonnefous
Journaliste au Monde
Thomas Wieder
Rédacteur en chef - chef du service France